Algérie

Premier acte



Premier acte
«Il ne faut pas vendre la peau de l'ours...» La Fontaine«Quand on raconte une histoire, il ne faut pas tout dire dès le début. Il faut laisser le lecteur mariner dans l'ambiance de la vie quotidienne. C'est cette ambiance malsaine qui s'est installée entre les locataires qui va influer ou façonner le caractère de chacun. Au départ, Méziane était un brave petit gars qui ne demandait qu'à gagner honnêtement sa vie. Le mariage, s'il lui a réglé un problème, lui en a créé d'autres. Et c'est le comportement de ses parents et des autres locataires, ceux qui ont occupé ou ceux qui ont «vendu» les caves, qui vont le pousser à devenir méfiant, individualiste et hypocrite. L'hypocrisie est d'ailleurs ce qui caractérise les rapports entre les locataires: ne rien voir, ne rien entendre, ne rien dire, pour éviter les conflits. Tout cela parce que les locataires traînent depuis plus de deux décennies un lourd handicap: bien qu'ayant payé leurs logements depuis longtemps, l'administration ne leur a pas toujours remis d'acte de propriété. Cette défaillance de l'Etat a rendu les gens fatalistes ou les pousse à enfreindre lois et règlements. Et c'est ainsi que Meziane est très à l'aise dans son statut de chauffeur de taxi clandestin et de futur occupant de cave. Le premier épisode de la série commencera par un matin d'été: Méziane est en train de régler le manoeuvre qui avait fait les gros travaux de nettoiement à l'intérieur et sur l'espace vert qui borde la cave. Méziane a troqué son bleu «shanghaï» pour une salopette et il est décidé, pour économiser quelques sous, à remplacer le manoeuvre. Tête baissée, sous le regard critique et réprobateur des voisins et des voisines, il fait des va-et-vient entre la cave et le parking où sont amoncelés des sacs remplis de gravats. C'est surtout cette vision de gravats et de tuyaux plastiques qui gêne les voisins: cela fait courir un risque supplémentaire à leurs enfants qui ont l'habitude de jouer là. De plus, ces gravats occupent une place de stationnement d'une voiture. Méziane ayant pris soin de délimiter la sienne avec des piquets et une chaîne cadenassée. Et c'est en faisant grincer sa brouette qu'il aperçut le jovial facteur, un jeune homme brun aux traits fins, qui inlassablement, fait sa tournée. Il salue chaleureusement Méziane en lui agitant de loin un pli blanc qui ressemble à une lettre. Le coeur ne fait qu'un bond: et si c'était çà' Il s'empresse au-devant du porteur de message et prend la lettre avec avidité. Son regard s'éclaire: le pli porte effectivement le sceau de l'APC. Il devient rouge et se confond en remerciements. «Si c'est ce que j'attends vraiment, je te paierais un café où tu veux. A l'aéroport si cela se trouve» dit Méziane qui a perdu depuis longtemps (depuis son mariage exactement), de payer des pots à ses amis. «Je souhaite que ce soit ce que tu attends vraiment. Mais, à mon avis, avec l'administration, il ne faut jamais vendre la peau de l'ours», répondit le facteur, avec un sourire qui dévoilait la blancheur de ses dents.
Cette remarque n'inquiéta pas outre mesure Méziane qui avait déchiré l'enveloppe pour déchiffrer la lettre: c'était une convocation du service social de la mairie. Son coeur faillit s'arrêter: on lui demandait de passer «dans les plus brefs délais». Cette dernière mention qui était soulignée ravivait l'espoir de Méziane. Sans prendre le soin de ranger la brouette, il monta les escaliers quatre à quatre et courut porter la bonne nouvelle à son épouse qui était seule dans la cuisine: la mère était partie au marché s'approvisionner en légumes et en cancans tandis que le père était parti assurer sa présence au cercle des joueurs de dominos. Il profita de cette solitude pour exprimer son affection à une épouse qui était ainsi devenue sa complice. «Ne le dis surtout à personne!», lui souffla-t-elle tandis qu'il se changeait pour se rendre à la mairie.


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