«Écrire, c'est
prescrire, conduire, transmettre, soumettre. L'Å“uvre tire son pouvoir non du
Pouvoir mais de la voix de l'Autorité morale.»Régis Debray (Le Scribe)
Le thème de
l'intellectualité revient régulièrement dans les colonnes de la presse
nationale en raison de son importance toujours pressante. En dépit de sa
ritournelle cyclique, elle n'a pas pris une seule ride.
Sa lecture reste
toujours tout aussi attrayante parce que motivante, intelligente. Rien de plus
normal parce qu'il s'agit de l'intérêt, voire de la destinée de tout notre
peuple. L'intellectuel algérien est conscient de son rôle et de sa
responsabilité morale vis-à-vis de sa nation.
Son audience est
large auprès de ses compatriotes. « Il refuse, comme disait Jean Paul Sartre,
d'être le moyen d'un but qui n'est pas sien.» Son influence tient en trois
points cardinaux:
1/. Il exprime,
souvent et avec précision, le fond de la pensée de son peuple.
2/. Sa parole
dépasse, parfois, son aire géographique et son ère temporelle pour devenir
universelle.
3/. Il parle au
nom de la Vérité
scientifique – et non démagogique - en ce que l'organisation de sa société
repose, pour l'essentiel, sur la priorité de l'expérimentation.
Telle devait être
la nouvelle méthodologie de gestion. Le Savoir doit être l'élément essentiel de
toute innovation politique et croissance économique à même de garantir une
promotion sociale. Elle doit envisager d'abord l'univers des moyens avant celui
des fins qui sont, quelquefois, justifiées en fonction des intérêts de quelques
décideurs.
A l'instar de
toutes les nations en mutation, il y a une effervescence évolutionnaire patente
dans la nôtre, particulièrement chez la frange juvénile en tant que promesse de
l'avenir qui s'est traduite par les Révolutions dans le «cadre du printemps
arabe.» Les générations diffèrent, les envies et les appétits aussi. La
génération de l'Internet, du numérique, du téléphone mobile, du scanner… n'est
plus la même que celle des amulettes que portaient nos aînés sous leurs
vêtements pour se prémunir contre les « mauvais esprits ». La première mutation
est d'abord d'ordre intellectuel avant d'être culturel afin de battre en brèche
toute forme d'obscurantisme politique et/ou religieux qui conduit en droite
ligne vers une autocratie ou un fondamentalisme souvent paranoïaque et,
parfois, sanguinaires. Il faut, donc, mettre à profit l'avantage de la Science et son corollaire la Raison cartésienne pour une meilleure
organisation sociale.
Une société peut
s'affecter d'arthrose chronique si que le Pouvoir en place renie son
intelligentsia, marginalise ses intellectuels, refuse de reconnaître les
compétences.
Un tel
comportement favorise, dès lors, les frictions dans les rapports entre les
membres qui la composent. De ce fait, toutes décisions prises en haut de la
sphère de l'État restent inopérantes parce qu'elles n'ont aucun impact sur
l'adhésion populaire. Selon Proudhon, « Le droit sacré à gouverner appartient
plutôt à la société qui […] est censée s'auto-organiser.
»
Le rôle de l'État devient, donc, régulateur.
Il organise la vie de la société. Or, les systèmes diffèrent. Un système
démocratique respecte l'entité humaine, protège les biens du citoyen et son
intégrité physique et morale. Par contre, les systèmes totalitaires développent
plutôt « le mécanisme de la tyrannie » (A. Bullock),
conditionne la société au moyen de différentes techniques des répressions
(physique, morale, idéologique…) jusqu'à la robotiser, par la terreur. Telle
est le cas dans tous les pays arabes dont les régimes sont outrageusement
despotiques. Ce qui est, en soi, un outrage caractérisé à l'encontre des Droits
de l'Homme et de leurs compatriotes.
Cependant, face à
la loi lourdement pesante de la bureaucratie, se développe « le système D» afin
de louvoyer avec la rigueur imposée par des lois sclérosées et, souvent,
scélérates. S'ouvrent, alors, les portes des abus sur toutes leurs aberrations.
Ce qui favorise des crises sociales à répétition en tant qu'appel au
changement. Le printemps arabe peut être lu sous cet angle.
Ce schéma
d'analyse est, peut-être, réducteur. N'empêche que le Pouvoir, par son autisme,
contribue, sciemment ou inconsciemment, à entretenir le blocage de toute une
société en ce que nombre de difficultés inhibent la vie sociale qui se
manifestent par des maux sociaux récurrents en l'occurrence le despotisme, le
népotisme, l'injustice sociale, la corruption, le trafic d'influence, les abus
de pouvoir, la répartition inéquitable des richesses nationales… qui
empoisonnent le cadre de la vie quotidienne du citoyen.
Par ailleurs et
en dépit de l'embelli financière du pays (plus de 100 dollars le baril de
pétrole, quelle manne providentielle!!!), le niveau de vie du citoyen ne cesse
de se dégrader et son pouvoir d'achat de s'éroder. Cela se voit à l'Å“il nu au
niveau du professeur (en titre) d'université qui a du mal à se tenir debout,
encore moins à joindre ses deux bouts. Les dernières augmentations ne sont que
de la poudre aux yeux et un marché de dupes devant la flambée effrénée des
prix. Le mensonge et la fuite en avant sont devenus l'ADN de la politique
nationale et la méthode de gestion officielle maintenue et protégée pour
empêcher tout changement et toute forme d'ouverture sociopolitique.
Beaucoup
d'universitaires, notamment ces derniers temps, n'ont pas manqué de souligner
l'effondrement de l'université. Au lieu d'être « le cinquième pouvoir » dans le
pays, elle se voit systématiquement éliminée de la course au moyen d'une
centralisation étouffante par des « boureaucrates » à
desseins inavoués. Elle a même perdu de son prestige intellectuel, son image de
marque et plus particulièrement ses Lettres de noblesse d'antan. Elle est sous
l'égide d'un système tel qu'il rejette, voire interdit toute forme de
concurrence. Son manque d'autonomie fait qu'elle soit en passe d'être « une sous-université » vu le nombre pléthorique d'étudiants,
chaque année sans cesse croissant (54% de réussite au bac en 2008 contre 53% en
2007, 54% en 2011) et une carence, chaque année chronique, de professeurs de
rang magistral hautement qualifiés qui partent s'installer dans un ailleurs
meilleur –(au vu et au su des pouvoirs publics qui semblent n'en avoir cure)-
où ils sont, non seulement très bien rémunérés, mais en sus, beaucoup mieux
considérés. L'université algérienne est devenue une institution qui garantie
plus l'obtention d'un diplôme (en tant que document) que de dispenser une
formation idoine. Quand on ne frappe pas très fort au portillon du savoir, l'on
ne doit pas s'étonner d'atteindre un pareil niveau de décrépitude politique,
social, culturel et …une indigence inqualifiable du niveau de formation.
Pourtant,
l'université est censée former les gestionnaires de demain lorsque les
décideurs d‘aujourd'hui ne seront plus de ce monde. Quelle Algérie
hériteront-ils à la postérité ? La gestion de l'université – la vraie – refuse
toute forme d'ingérence et d'influence de quelle autorité que ce soit. De ce
fait, elle est mise en face de ses responsabilités pour assurer un enseignement
supérieur ès qualité à la hauteur des espérances de la population estudiantine
et garantir une formation performante aux cadres de demain qui devraient être
les « meilleurs continuateurs» de leurs «meilleurs devanciers.» Son but
principal, à côté de la formation, c'est aussi de cautionner la promotion de la
société et son émancipation.
L'université est
l'unique porte du développement. Elle est aussi l'unique arme à même de
combattre le roi de tous les maux : « l'obscurantisme » au moyen de la
luminescence du Savoir loué par l'Omniscient Lui-même. Le verset « Lis ! Ton
Seigneur est le très Noble. Celui qui enseigna par la plume qui enseigna à
l'homme ce qu'il ne connaissait pas. » Dès la première Révélation, l'Omniscient
(Gloire à Lui) fait l'éloge de «la plume» en tant qu'instrument de la
connaissance humaine. N'a-t-Il pas dit encore : « Nul
n'en connaît l'interprétation [du Coran] à part Dieu et ceux qui sont bien
enracinés dans la science. »
Avec un pareil
style de gestion rationnel et intelligent, chaque citoyen se voit attribuer une
place qui lui convient selon ses aptitudes et ses compétences. De ce fait,
toute la société se rattache définitivement au train d'un avenir radieux, à son
grand bonheur. Les destins de l'université et la société sont intimement liés
pour le meilleur et/ou le pire. Elles sont appelées à vivre en symbiose. Aucune
ne peut fonctionner sans l'autre tant elles forment un seul corps social.
Aujourd'hui,
l'université est non seulement sinistrée mais atrophiée, presque sous perfusion
en raison de l'hémorragie de ses meilleurs cadres à compétences avérées. Son
mode de gestion, plus bureaucratique que scientifique, encore moins relationnel
(quel paradoxe!), semble être loin de la réalité. Son manque d'imagination et
d'adaptabilité à son environnement sociétal aggrave son « arthropathie.»» Ce
qui rend difficile la prescription d'un traitement d'attaque, c'est surtout le
refus d'un diagnostic clinique qui peut se résumer en quatre points :
1/. Le style
relationnel université/société.
2/. Problème de
la culture en perte de vitesse dans notre pays.
3/. Rôle et place
de l'intellectuel dans son environnement social immédiat.
4/. Statut
juridique, social et politique de l'élite intellectuelle et les moyens pour la
maintenir dans le pays.
La solution à ces
problèmes relève de la seule volonté politique qui semble absente. La
communauté universitaire (enseignants/ étudiants), fidèle à ses principes, est
prête à porter sa contribution pour éclairer davantage les décideurs à dessein
de promouvoir l'évolution, l'épanouissement et le rayonnement de ce que nous
avons de meilleur : «notre université.»
En se pliant aux
exigences de l'université en tant que sanctuaire de Savoir, l'État algérien ne
fait qu'obéir à l'injonction divine : « Lis » avec toute la charge sémantique
que peut porter son acception au sens littéral du terme et dans tous les sens.
Faire de la société algérienne une société moderne, évoluée et savante
relève-t-il de l'utopie ? Ou… doit-on s'interdire
d'envisager un avenir qui ne semble pas encore poindre à notre horizon ?
Rappelons juste
que les politiques ne parviendront jamais à «détourner le fleuve» de l'Histoire
de … son «lis.»
*Maître de
Conférences Docteur ès lettres Université de Chlef
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Posté Le : 15/12/2011
Posté par : sofiane
Ecrit par : Mohammed GUETARNI*
Source : www.lequotidien-oran.com