Algérie

Poussée de fièvre au square Port-Saïd



Depuis juin, date d'une reprise progressive des vols internationaux, l'euro et le dollar renaissent de leurs plus bas taux pour retrouver leurs niveaux d'avant la pandémie de Covid-19, voire bien au-delà des records précédant la pandémie.L'euro et le dollar s'envolent sur le marché parallèle des changes, dont la volatilité ne connaît plus aucun répit depuis maintenant plusieurs semaines. Le consensus des cambistes s'attendait en tout cas à cette hausse des valeurs, dans un contexte de reprise des voyages, alors que le phénomène de thésaurisation ne semble pas marquer le pas, profitant des perspectives plutôt moroses pour la valeur de la monnaie nationale. Le dinar n'a cessé de perdre du terrain depuis juillet, face aux principales devises. Hier, tôt le matin, c'est sous un ciel plutôt grisâtre que les cambistes du square Port-Saïd débattent et spéculent sur les perspectives de la valeur du dinar, pariant sur une multiplication des incertitudes à court terme, sur fond de reprise de la pandémie, ça et là, et une projection baissière du taux de change officiel du dinar par rapport aux devises d'échange.
Si la reprise des cours de l'euro et du dollar "était plutôt attendue après la reprise, depuis juin dernier, des vols internationaux, la hausse des dessertes aériennes de et vers l'Algérie a contribué à la flambée des valeurs des principales devises ces dernières semaines", explique Mehdi, la trentaine, mais qui cumule déjà neuf ans sous les arcades du square Port-Saïd. Pour lui, cette grosse poussée des valeurs est, bien entendu, la bienvenue, puisqu'elle rompt avec près de deux années de crise qui ont réduit l'activité de change à quelques transactions sporadiques. Depuis juin, date d'une reprise progressive des vols internationaux, l'euro et le dollar renaissent de leurs plus bas taux pour retrouver, en un laps de temps de quelques semaines seulement, leurs niveaux d'avant la pandémie de Covid-19, voire bien au-delà des records la précédant. Le billet vert s'échangeait, hier, contre 194 DA ; du jamais vu au square Port-Saïd. Peu après la reprise des vols internationaux, le dollar américain oscillait encore autour de 170 et 168 DA avant de se fixer sur un cap résolument haussier.
Ces décisions qui encouragent l'informel
De juillet à novembre, le billet vert a gagné plus de 20 DA, aggravant ainsi les peines de la monnaie nationale sur le marché parallèle. L'euro est passé, en revanche, de 187 DA début juin à 219 DA, hier, au square Port-Saïd, soit une hausse de plus de 30 DA en cinq mois seulement. La baisse de la valeur du dinar s'accentuait au fur et à mesure que l'activité voyages retrouvait des couleurs, entraînant de facto une hausse de la demande en devises. "La hausse de la demande en devises a été accentuée par la décision de faire payer tous les voyages retour en devises. Les voyages retour sont désormais payés exclusivement en devises. Pour pouvoir faire la réservation au profit de nos clients, nous sommes contraints d'aller nous approvisionner en devises au square, lesquelles sont versées à la banque en contrepartie de la somme en dinars et d'une attestation de cession des devises. L'établissement bancaire se chargera ensuite de verser les devises aux compagnies aériennes", nous confie le propriétaire d'une agence de voyages.
Notre interlocuteur confirme une "véritable ruée sur les devises du square Port-Saïd de la part des voyagistes. Notre agence achète pour l'équivalent de 10 000 à 15 000 euros par mois pour pouvoir effectuer les réservations". Un autre voyagiste, établi non loin du square Port-Saïd, parle d'une importante demande de voyages business, notamment à destination d'Istanbul et de Dubaï, les deux adresses privilégiées des commerçants algériens. "Les vols sur Dubaï affichent complet jusqu'à la fin de l'année. Un de nos confrères a vendu un billet Alger-Dubaï à 550 000 DA", soutient notre interlocuteur, comme pour exprimer un fort regain des demandes de voyages sur les destinations prisées par les commerçants. De retour aux arcades du square Port-Saïd, la crainte qu'il puisse y avoir un second "reconfinement" est déjà sur toutes les lèvres, mais les cambistes écartent l'option d'une "refermeture" des frontières.
Projections baissières
"La valeur des principales devises ne reviendra pas à son niveau d'avant-juin. Tout laisse à croire que même si de nouvelles mesures venaient à être prises pour contrer la nouvelle vague, une nouvelle fermeture des frontières aériennes et maritimes serait improbable. Cela signifie que la demande en devises va croître davantage et les cours sont appelés à grimper aussi", estime Saïd, dont le sentiment des meilleurs jours se lisait aisément sur son visage. Pour lui, à l'avenir, la valeur des devises ne devrait pas connaître de nouveaux mouvements baissiers, étant donné la situation de la demande et de l'offre. Mais pas seulement. La thésaurisation en monnaies étrangères ne s'essouffle pas, encouragée, en partie, par les projections à la baisse de la valeur du dinar au change officiel. L'Exécutif a, une nouvelle fois, plaidé en faveur de la dépréciation de la valeur de la monnaie nationale, anticipant, dans le projet de loi de finances 2022, une poursuite de l'érosion monétaire amorcée il y a quelques années déjà avec, au tableau, un taux de change du dinar de 149,3 DA pour un dollar l'an prochain, de 156,8 DA/dollar en 2023 et 164,6 DA/dollar en 2024. La dépréciation du dinar était autrefois un exercice de paramétrage macroéconomique dont l'objectif était d'amortir un tant soit peu l'effet du choc externe. La période 2022-2024 connaîtra ainsi une nouvelle diminution progressive du dinar, alors que le gouvernement fait montre de sa détermination de renchérir les importations et, par la même, de relever le niveau des recettes libellées en dinar.
Cependant, cette nouvelle série de dépréciation en vue fait peser des menaces inflationnistes. Toute dévaluation de cette ampleur aurait des conséquences inévitables avec un effet domino sur l'ensemble des agents économiques. Les dépréciations de ces dernières années "ont contribué à accroître le ressentiment de citoyens désemparés face à des décisions qui ébranlent leur quotidien en matière de pouvoir d'achat, de liquidités et d'emploi", estime Yassine Benadda quant à l'effet pervers des dépréciations à répétition du dinar de ces dernières années.


Ali Titouche


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