Algérie

Pourquoi les réformes sont-elles retardées ?



Il y a quelques jours, le colloque organisé par le Conseil de la Nation, sur le thème de « la défense économique » de l?Algérie, a été l?occasion de souligner un certain nombre de vulnérabilités de l?économie algérienne, notamment son extrême dépendance vis-à-vis des importations alimentaires. L?Algérie importe plus de 70 % de ses besoins alimentaires, et dans un contexte de hausse importante des prix de certaines denrées, la facture s?est considérablement alourdie. Même si l?on ne peut dé-corréler la flambée du prix du pétrole de celle de certains biens alimentaires, il faut bien admettre que si le sol algérien n?était pas si riche en ressources naturelles, l?Algérie aurait, tout comme d?autre pays, vécu des émeutes de la faim. Cela dit, sans sa richesse en hydrocarbures, il est fort probable que l?Algérie serait plus développée qu?elle ne l?est aujourd?hui, mais ceci est une autre histoire...

Il faut tout de même remarquer que des émeutes ont effectivement secoué le pays, et sont, selon toute vraisemblance, le fait d?un marasme économique qui contraste avec l?accumulation de réserves de change. Ce marasme économique et plus généralement l?extrême vulnérabilité sont le résultat de réformes structurelles avortées, mal ciblées ou non encore mises en place, alors qu?elles sont absolument indispensables pour créer les conditions du développement économique. La question que tout Algérien est donc en droit de se poser est pourquoi ces réformes tardent-elles à être mises en place ? Comme il est inutile de vouloir réinventer la poudre et que l?Algérie ne fait pas figure d?exception dans le monde en perpétuelle voie de développement, la recherche académique nous apporte une grille de lecture et un certain nombre d?éléments de réponses. On pourrait tout d?abord invoquer le fait que les gouvernants ne savent pas nécessairement quelle stratégie de réforme mettre en place, selon quelle séquence, à quel rythme etc. Mais comme cet argument n?est pas recevable, puisqu?il y a d?une part l?expérience d?autres pays qui peut aider à structurer notre propre package de réformes, d?autre part, il y a notamment des économistes qui sont à même d?apporter leur expertise. Et s?il advenait que l?on ne veuille pas systématiquement faire appel à l?expertise étrangère (ce qui serait souhaitable), il y a nombre d?Algériens, en Algérie et à l?extérieur, qui peuvent apporter une contribution certaine en la matière. On pourrait également invoquer l?insuffisance de ressources financières. Cet argument est encore moins recevable et ce, pour deux raisons majeures. D?une part, l?Algérie a souvent disposé, au cours de son histoire, de ressources financières conséquentes, sans que celles-ci ne profitent suffisamment à son économie. D?autre part, les réformes essentielles ne sont pas nécessairement consommatrices de ressources financières. Venons en, enfin, à ce qui est certainement l?explication la plus plausible et qui a beaucoup été documentée dans la littérature académique. Si les réformes tardent à être mises en place, c?est sans doute parce qu?il y a des blocages. On a souvent observé, dans un certain nombre de pays, le retard de la mise en place de réformes urgentes. Même si les réformes sont à même de générer des gains substantiels pour la collectivité, elles engendrent bien souvent des perdants et des gagnants. Ainsi, si les perdants ont suffisamment de pouvoir (pouvoir politique notamment) ils peuvent bloquer les réformes. Prenons un exemple simple. Supposez que la mise ne place d?une réforme puisse engendrer un gain de 100 pour la collectivité (peu importe l?unité que l?on prend), mais qu?elle fit perdre 10 à un groupe. Au total, si l?on somme les gains plus les pertes, cela fait un gain net de 90. Mais si le groupe qui perd 10 a suffisamment de pouvoir, il préfèrera garder les 10 qu?il peut perdre plutôt que d?accepter la mise en place de la réforme. Mais le lecteur ne manquera pas de remarquer que la collectivité pourrait très bien prendre 10 du gain net (90) et le redistribuer au groupe perdant. C?est vrai. Mais il y a un certain nombre d?obstacle à cela. Tout d?abord il se peut que le gain de 90 ne soit pas immédiat et qu?il s?étende donc dans le temps. Ainsi, la collectivité peut très bien ne pas disposer à l?instant de la mise en place de la réforme des ressources nécessaires. Il est fort probable également qu?il n?y ait pas de moyen crédible pour la collectivité à s?engager à redistribuer 10 aux perdants. Enfin, dans bien des cas, il n?est tout simplement pas possible de compenser les perdants, parce que la réforme ne s?y prête pas. En effet, prenons le cas de l?introduction de concurrence sur le marché des biens. Dans ce cas de figure, l?entrée de nouveaux acteurs plus performants sur un marché évincera les entreprises déjà établies et qui ne seront pas capables de s?adapter à la concurrence. Ainsi, dans cette situation, il n?est a priori pas possible de compenser les entreprises perdantes !

Prenons un dernier exemple, peut-être plus parlant encore, celui de la corruption.

Toute réforme visant à la réduction de la corruption se heurte à l?intérêt de ceux qui tirent de celle-ci une partie substantielle de leur revenu, et qui ne pourraient pas, sans elle, trouver une activité qui leur permette de garder leur niveau de vie. On peut donc craindre qu?une trop grande généralisation de la corruption ne devienne un frein majeur aux réformes économiques profitables à la collectivité. Dans le cas précis de l?Algérie, toutes ces observations s?appliquent. Les « bonnes » réformes n?ont pas été mises en place, et ne le seront vraisemblablement pas à court et moyen terme, parce qu?il y a un certain nombre de groupes d?intérêt qui auraient beaucoup à perdre. Mais je suis intimement convaincu qu?il est possible, dans un certain nombre de cas, de trouver des mécanismes de compensation, crédibles. On pourrait envisager d?affecter une fraction raisonnable des réserves de changes à la compensation des perdants, ce qui aurait certainement l?avantage de débloquer une situation de statu quo très coûteuse pour l?Algérie.


* Economiste





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