Algérie

Pourquoi ça bloque


«Nous voulons une plus grande part de marché pour capitaliser autant que possible nos réserves, surtout que nous avons dépensé des milliards pour les développer.» Une déclaration lourde de sens d'un dirigeant de l'industrie pétrolière des Emirats dans une des éditions de la semaine dernière du Wall Street Journal. Propos suffisants pour comprendre que les intérêts divergent au sein de l'Opep, bloquant ainsi l'accord ardemment défendu par l'Arabie Saoudite et tous les autres membres de l'Opep et leurs alliés dans le cadre de l'Opep+ sur un relèvement de la production dans la proportion voulue par la majorité, soit 400 000 barils/jour.L'Arabie Saoudite d'un côté, les Emirats arabes unis de l'autre, presque aux antipodes l'un de l'autre depuis quelque temps. Les deux monarchies qui, il n'y a pas longtemps, étaient élevées au rang de parfait exemple d'entente régionale, ont décidé d'exposer leur différend à la face du monde. En fait, l'intérêt économique a fini par les pousser à révéler au grand jour la réalité de leurs relations. Une réalité qui désormais constitue le facteur bloquant pour que l'Opep+ dise son mot dans la conjoncture particulière que traverse le marché du pétrole, avec la remontée spectaculaire des prix. Les analystes le disent : une absence des pays de l'Opep et leurs 10 alliés menés par la Russie dans cette séquence clé pour le marché pétrolier et c'est tout l'édifice construit depuis avril 2020 qui risque de s'effondrer avec des conséquences qui pourraient s'avérer désastreuses pour l'équilibre entre l'offre et la demande derrière lequel court l'industrie de l'or noir.
Pour tout dire, si les Emirats arabes unis ont pris les observateurs du marché pétrolier par surprise en rejetant la prolongation de l'accord de contrôle de la production actuelle de l'Opep+ dans ses conditions initiales, il n'en est pas de même chez les connaisseurs de l'épais dossier des relations entre les deux voisins. Quoi qu'il en soit, en dehors des raisons politiques qui les départagent, l'Arabie Saoudite et les Emirats arabes unis paniquent au sujet de l'après-pétrole, les Emiratis notamment parce que leurs voisins ont appris à diversifier leur économie depuis plusieurs années même si leur dépendance vis-à-vis du pétrole demeure importante, l'argent de l'or noir étant encore indispensable dans la nouvelle économie voulue. Les Emirats arabes unis, quant à eux, se préparent au monde post-pétrole et essaient de tirer le meilleur parti de leur richesse naturelle avant que la demande ne commence à se contracter pour de bon, analyse une spécialiste américaine après les propos de la source émiratie qui s'est confiée au Wall Street Journal pour affirmer que «(pour les Emirats arabes unis) C'est le moment de maximiser la valeur des ressources en hydrocarbures du pays, alors qu'elles ont de la valeur (...) L'objectif de l'investissement est de générer des revenus pour la diversification de l'économie, à la fois pour les investissements dans les nouvelles énergies et, tout aussi important, dans de nouvelles sources de revenus». Comme le constate une journaliste américaine spécialisée dans les questions pétrolières. Il apparaît maintenant clair que, à l'instar de tous les autres grands producteurs de pétrole, les Emirats arabes unis ont très peu de temps pour se diversifier et, dans l'immédiat, ils ont besoin d'argent pour alimenter leurs efforts de diversification économique.
À ce titre, l'endroit le plus évident d'où peut provenir cet argent c'est l'exportation de ­pétrole. C'est pourquoi, tel que le souligne la source émiratie du quotidien new-yorkais, il apparaît maintenant que «la part de marché est un facteur clé», c'est-à-dire que désormais, les Emirats lorgnent «une plus grande part de marché, pour monétiser autant que possible nos réserves, surtout lorsque nous avons dépensé des milliards pour les développer», pour reprendre les propos tenus dans les colonnes du Wall Street Journal.
Comme d'autres producteurs du Golfe, les Emirats arabes unis misent sur les revenus pétroliers pour financer les secteurs non pétroliers de leur économie depuis des décennies, une défection de cette source, comme cela a été le cas durant les premiers mois de la pandémie, et ce sont des répercussions sociales et économiques qui se profileraient à l'horizon. Donc, plus ils parviennent à tirer de l'argent de leur pétrole avant le pic de la demande, plus ils disposeraient d'un coussin social important lorsque la diversification économique deviendra inévitable. Et comme les temps n'ont pas fini d'être durs, le «big bang fiscal» entériné il y a deux semaines par 131 pays ayant décidé d'imposer un taux d'imposition minimum aux plus grandes entreprises du monde et les géants du numérique, les Emirats arabes unis font plus que jamais figure de pays parmi les moins coopératifs pour lutter contre le pouvoir des entreprises qui dirigent le monde et apparaissent comme un des pays ayant le plus à perdre à cause de cette révolution fiscale. Il faut savoir que les Emirats n'imposent pas les bénéfices des sociétés. Selon Tax Justice Network, le groupe de défense contre la fraude fiscale et les paradis fiscaux, les Emirats ont profité pleinement ces dernières années en se muant en direction privilégiée pour les détenteurs de capitaux habitués des grands paradis fiscaux tombés sous la surveillance de nombreux pays développés engagés dans la lutte contre la fraude fiscale et la fuite de capitaux. Attirer des investissements étrangers ayant pour origine les plus grandes multinationales fait partie du projet de diversification hors du pétrole notamment pour l'émirat de Dubaï, qui ne dispose pas d'une rente pétrolière et gazière aussi élevée que ses voisins. À partir de là, il se comprend aisément le changement d'attitude des Emiratis au sein de l'Opep et de l'Opep+, même si le «grand frère» ne l'entend pas de la même oreille, lui qui a enduré les affres de la guerre des prix en préférant se battre pour des parts de marché plus importantes il y a un peu plus d'une année, lorsque le pétrole atteignait des bas qui leur font encore froid dans le dos.
Azedine Maktour
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