Algérie

Pourquoi Alger doit aider le capitalisme «à la française» de François Hollande Analyse éco : les autres articles



Il y a deux manières de raconter la France. La première est en vogue depuis le livre de Nicolas Baverez (2003). Elle est «décliniste». Les chiffres, impitoyables, lui donneraient a priori raison. En vingt ans, le revenu par habitant français est passé du 7e au 12e rang des pays de l'Union européenne. Son commerce extérieur est devenu structurellement déficitaire depuis 2004, le niveau de son taux d'emploi est en dessous de la moyenne européenne depuis six ans. La liste des signes extérieurs du déclin est encore longue. Classement de Shanghai des meilleures universités, budgets consacrés par les entreprises à la recherche et développement, nombre de brevets déposés par an.
«La France tombe» partout. Le «déclinisme» devient alarmiste depuis la crise de la dette souveraine. Le niveau des dépenses publiques françaises est devenu officiellement insoutenable. Les agences de notation l'ont décrété ainsi. Elles sont deux sur trois, Standard's and Poors et Moody's, a lui avoir retiré en 2011 puis en 2012 la notation la plus élevée de AAA. L'austérité est donc là. Elle tire l'activité vers un plus bas. Aucun économiste sérieux ne s'engage sur un retour avant 2016 de la croissance à un taux qui couvre celui de la fécondité par femme, repassé au-dessus de deux depuis quatre ans. La France, liée à l'Europe, est durablement dans le tunnel de la stagnation. Clap de fin. Il y a maintenant l'autre manière de raconter l'Hexagone. Son taux de pauvreté est plus faible que celui de l'Allemagne. Ses services publics et son système de santé sont supérieurs à ceux du Royaume-Uni.
Son seuil d'accès aux études universitaires est socialement plus démocratique que celui des Etats-Unis. Le niveau de ses inégalités sociales, bien qu'elles se soient accrues ces dix dernières années, est l'un des plus «raisonnables» dans les pays de l'OCDE. Les vertus de l'art de vivre à la française sont aussi nombreuses que les indicateurs pessimistes. Et elles résistent au «monde qui tombe». Une étude anglo-saxonne, la Legatum Prosperity Index estimait en 2010 que bien que l'économie de la France soit parmi les plus prospères du monde, les Français ne la perçoivent pas comme telle.
Le discours «décliniste», même s'il recouvre une réalité, a réussi à produire une anticipation pessimiste. Le bien- être présent est déjà altéré par la projection dans l'avenir. Entre les deux manières de voir la France bien sur une bataille d'idées. Et d'intérêts. La France est le dernier grand pays industriel du monde ou l'intervention de l'Etat demeure importante. Prélèvements obligatoires conséquents, régulation de l'Etat forte. C'est la cause du déclin disent les uns. C'est l'exception française qui permet de résister à la « perte de sens » à laquelle conduit la spéculation financière à la Goldman Sachs, répondent les autres.
Le récent film de Costa Gavras Capital, projeté à Alger jeudi dernier, joue à fond sur cette dualité philosophique entre le capitalisme français qui voudrait «sauver» quelques valeurs humanistes de la bourgeoisie et «l'affairisme anglo-saxon» qui a perdu tout repère éthique. Le mandat de François Hollande à la tête de la France est la dernière chance de préserver dans le capitalisme français ce que le reste du monde peut encore envier en lui : une ambition précaire mais encore vivante de ne pas laisser l'essentiel au bord de la route. Arnaud Montebourg aujourd'hui avec la lutte aux licenciements boursiers, ou Martine Aubry hier avec les 35 heures, suggèrent qu'un autre modèle est possible.
Toujours dominé par le marché, mais pas par les marchands. Ce modèle-là, l'Algérie sociale et rentière de 2012 a tout intérêt à le soutenir. Si l'histoire est restée un obstacle au partenariat d'excellence que souhaitent construire les deux pays, la sociologie historique de leur capitalisme les rapproche. L'Algérie est le pays de la rive sud Méditerranée qui ressemble le plus à la France dans son action publique. Intervention de l'Etat, part du secteur public, accès à l'éducation, niveau de pression fiscale. Le modèle d'économie sociale de marché français est celui vers lequel tendent le plus intuitivement les élites économiques algériennes. A une différence de taille. La France a développé de grandes entreprises qui font d'elle le 6e exportateur au monde.
Le pouvoir politique algérien refuse de le faire et s'entend dire par son premier homme d'affaires, Issad Rebrab, qu'il lui est plus facile d'investir en Côte d'Ivoire qu'en Algérie. En France, les riches s'exilent fiscalement pour éviter le prélèvement de 75% sur les tranches supérieures de leurs revenus. En Algérie, les capitaines d'industrie se plaignent de ne pas pouvoir payer plus d'impôts dans leur pays. En y investissant. En parlant de la France à partir d'Alger, il faut résister un peu à la déferlante «décliniste» qui, à Paris, pousse la France à se mettre en mode «îIe de Jersey ». En se disant tout de même que le pire des déclins est celui qui survient sans jamais avoir atteint des cimes. Et là, il ne s'agit plus de la France.


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