Algérie

Pour une fête nationale du couscous



Pour une fête nationale du couscous
PUBLIÉ LE 28-07-2022 dans Le Soir d’Algérie
Par Mahmoud Chabane
Il y a de cela plusieurs mois que l’auguste organisation mondiale, en l’occurrence l’Unesco, relevant de l’ONU, avait, après étude et expertise, à ne pas en douter, non complaisantes, de la demande d’inscription au patrimoine universel immatériel de l’humanité du couscous introduite conjointement par les pays du Maghreb, répondu favorablement le 20 décembre 2020.
Hélas, cette belle et importante réalisation qui est loin d’être négligeable, largement relayée par la presse internationale, n’avait pas bénéficié, chez nous comme d’habitude, d’un écho et d’un traitement médiatique à la mesure de cette importante moisson. Pire encore, traitée comme s’il s’agissait d’un simple fait divers, cette réalisation n’a pas été mise à profit pour enclencher et mettre en œuvre un quelconque programme national d’action de développement économique et social articulé autour du magique grain de couscous.
La question que nous sommes en droit de nous poser est la suivante : comment interpréter le fait qu’un dossier d’une telle importance, élaboré minutieusement par des Algériens qui, faut-il le souligner, ont consacré toutes leurs énergies, leurs savoirs et leurs compétences pour le faire aboutir et obtenir avec panache cette l’inscription par l’Unesco, est-il passé sous silence ?
Il n’a suscité ni débat ni échange démocratique pour mettre sur la table les enjeux et les défis de notre pays en vue de mettre en place une véritable politique pour développer et conforter un axe stratégique de notre agriculture, au service de notre sécurité alimentaire, à moyen et long terme.
La réponse, qui s’impose d’elle-même, résiderait, de notre point de vue, dans le manque de considération que réservent, non sans un certain dédain, des responsables fermés à ce type d’actions entreprises par des patriotes soucieux de rehausser le prestige de notre pays, d’attirer positivement l’attention des autres, et susceptibles de générer des retombées positives sur le pays.
C’est, malheureusement, cette façon d’agir de ces responsables beaucoup plus prompts à mettre en avant un quelconque trophée sportif, très folklorisé et médiatisé pour l’occasion, au détriment du petit grain de couscous, qui fait que notre pays a gaspillé les innombrables opportunités qu’offrent de telles reconnaissances. Car il faut savoir que cette prestigieuse distinction n’est pas acquise définitivement et qu’elle est susceptible d’être retirée à tout moment dès lors que le récipiendaire n’entreprend pas les actions de sauvegarde et de l’entretien de patrimoines désormais classés appartenant à l’humanité, dans la conformité du respect des clauses ayant prévalu à leur inscription.
L’accueil qui aurait dû être réservé à cette équipe qui a arraché de dure lutte cette reconnaissance mondiale, plus que légitime, aurait été de la mettre «sous les feux des projecteurs» à la télévision et/ou la faire sillonner tout le pays pour organiser des tables rondes à l’effet d’informer les citoyens en leur faisant prendre conscience de l’ensemble des dimensions, pas forcément visibles pour tous, de ce magique grain de couscous, mais aussi, de leur expliquer ce que cette inscription au patrimoine universel immatériel de l’humanité laisse entrevoir comme retombées positives sur le pays.
Fort heureusement, qu’il y a encore dans notre grand pays celles et ceux qui consacrent leurs énergies, leurs savoirs et leurs compétences indéniables à immortaliser des pans entiers de notre bien commun par des œuvres et actions diverses et variées pour endiguer la culture de l’oubli et le fatalisme instillée insidieusement dans le corps social pour lui faire douter de la puissance de son histoire plusieurs fois millénaire et de la richesse de son patrimoine culturel.
C’est dire que l’aboutissement de la demande d’inscription au patrimoine universel immatériel de l’humanité du couscous, cet immortel monument national, participe de cette noble mission de sauvegarde d’un pan entier de notre patrimoine culturel partagé pour lequel nos ancêtres avaient consenti des sacrifices pour le protéger. Il est indéniable que les Algériens informés de cette immense réalisation savent que le mérite revient à l’équipe qui a su monter et défendre le dossier pour arracher une reconnaissance universelle qui vient à point nommé rendre un hommage appuyé et mérité à toutes ces innombrables mains expertes qui l’ont : fait, bichonné, protégé, défendu individuellement et collectivement partout contre les envahisseurs et autres destructeurs, et exporté dans le monde entier. Ils savent aussi que le couscous, fort heureusement d’ailleurs, est là depuis des millénaires, l’est et le sera pour l’éternité.
Il est important de rappeler que le couscous ne se résume pas à un simple et banal mets et bien alimentaire indispensable à des millions d’habitants de la région d’Afrique mais pas seulement, ou à un plat de frites que l’on consomme sur le pouce parce qu’on est pressé, mais bel et bien un élément vivant et vivace de notre patrimoine culturel commun qui symbolise les valeurs profondes d’accueil, de convivialité et du bien-recevoir, ces traits caractéristiques de notre pays.
Le grain de couscous est comparable à ce majestueux olivier autochtone plusieurs fois millénaire, toujours vivant, qui plonge ses racines dans les tréfonds de la terre à la recherche de nutriments pour soigner sa belle silhouette et améliorer la qualité nutritionnelle de ses fruits gorgés de bienfaits pour son protecteur et son bienfaiteur, le paysan laboureur, et au-delà.
D’ailleurs, dans notre culture, la formule largement usitée depuis des lustres ne consiste pas à inviter des convives pour avaler un plat de frites, mais plutôt pour venir déguster un bon et copieux couscous et en soirée relaxe qui constitue un moment propice pour nouer des relations et dénouer des situations souvent inextricables. Il faut reconnaître que la magie du plat de couscous partagé opère très souvent pour rapprocher des individus, des familles, voire des groupes sociaux. N’est-ce pas là un effet magique ?
Le couscous, ce monument qui nous parle au quotidien, un identifiant vivant et vivace de notre peuple, qui a traversé tous les âges sans prendre une seule ride, reste ce patrimoine commun qui fait l’unité et le ciment de la nation. Il a, grâce aux actions individuelles et collectives de protection et l’attention dont il a bénéficié, survécu aux multiples entreprises de destruction et de déculturation de notre peuple, dont la dernière en date est la colonisation française.
Le grain de couscous, fruit du génie humain de ses inventeurs, à bien des égards, peut être comparé sur ce plan aux patrimoines matériels que sont les pyramides égyptiennes et autres merveilles mondiales que sont les œuvres de civilisations qui, bien que disparues, continuent de fasciner le commun des mortels et sont inscrites à tout jamais dans leur mémoire collective.
Aussi, avec le couscous, nul besoin de répondre aux dédaigneux révisionnistes de tous bords, à l’exemple de ceux qui avaient osé affirmer haut et fort que l’Algérie est une création française. Quel horrible mensonge ! Nul besoin de consulter les archives poussiéreuses pour formuler une réponse à ces esprits revanchards qui nous cherchent des noises ! Il suffisait de leur envoyer juste un plat de grains de couscous roulés par des mains expertes et faits de semoule de blé dur ou d’orge bien garni comme témoin vivant et plusieurs fois millénaire de notre culture, accompagné, toutefois, d’une fiche de synthèse pour les aider à parfaire leur supposée instruction.
Il faut noter aussi que le couscous est indissociable de la présence naturelle du blé dur, d’orge… des céréales nées et cultivées chez nous depuis des millénaires auxquelles les colons avaient d’ailleurs tenté, sans succès, de substituer le blé tendre introduit et cultivé en Algérie pour améliorer la qualité boulangère de leur blé tendre.
C’est certainement grâce à la présence naturelle de ces céréales connues pour leurs qualités diététiques avérées couplées au génie créateur des habitants de notre pays qui ont cultivé, récolté et trituré les grains de céréales, transformé la semoule en grains de couscous, inventé et manufacturé les ustensiles nécessaires et mis au point le processus de sa préparation, que nous pouvons et sommes en mesure de déguster aujourd’hui cet incontournable mets chargé de symboles, tout au long de notre très longue et riche Histoire.
Comme on a souvent tendance à dire, un tantinet moment pour se dédouaner s’il en est besoin, qu’il n’est jamais trop tard pour bien faire ! Alors, soit ! il est encore temps de tout mettre en œuvre pour transformer l’inscription du couscous au patrimoine universel de l’humanité en un puissant carburant du développement de pans entiers de notre économie et, par voie de conséquence, éviter le gaspillage du large champ de possibilités et d’opportunités qu’offre cette acquisition d’importance.
L’essentiel des considérants ci-dessus mis en exergue nous amène à interpeller nos «décideurs» pour leur rappeler que le moment, semble-t-il, est venu d’agir pour rattraper ces ratés en instituant une «fête nationale du couscous et du blé dur» qui pourrait être organisée sur tout le territoire national, en septembre de préférence, juste après la fin de la campagne des moissons-battages. Autrement dit, faire d’une pierre deux coups ! Il importe de se saisir de cette manifestation économico-culturelle pour en faire :
- une attraction touristique et culturelle de renommée mondiale, incontournable, attractive à même d’afficher une fréquentation rivalisant avec les monuments les plus visités et les manifestations culturelles les plus célèbres dans le monde ;
- et un levier puissant pour revitaliser la culture, l’artisanat et les jeux traditionnels, menacés de disparition par le fait de l’hégémonie de l’impérialisme culturel dont le bras armé se décline sous l’acronyme Gafam, améliorer la fréquentation des innombrables et prestigieux sites touristiques (historiques et naturels) sous-exploités… et redynamiser le tourisme national et international.
Alors, pour rester constructif et aller dans le sens de l’objectif de cette modeste contribution, il nous est paru, sans être exhaustif, judicieux d’ébaucher quelques axes de travail qui pourraient, après enrichissement, constituer le plan d’action articulé autour des volets suivants :
- Le premier concernera le couscous, la colonne vertébrale de la manifestation autour de laquelle graviteraient, seraient réhabilitées et développées les différentes activités culturelles du terroir et les divers sites touristiques du pays. Il reposera sur :
- l’organisation de concours avec la désignation du meilleur cuisinier et de la meilleure cuisinière de couscous à récompenser par un prix «Epi d’or» ; de la meilleure rouleuse de grains de couscous (et pourquoi pas rouleur, éventuellement ?) à laquelle sera remis un prix, celui des «Doigts de fée».
- L’élaboration et la mise en place de fiches techniques et nutritionnelles fixant les caractéristiques spécifiques de chaque variété de grain de couscous roulé main (granulométrie, qualité des terroirs, modes de conduite culturale, de roulage des grains, variétés de céréales…) en vue de les distinguer par des appellations d’origine contrôlée et/ou géographique (AOC, AOG) et/ou labels qui pourraient être, à titre indicatif : le Sersou, le Sitifis, le Tellien, l’Oasien, le Montagnard, etc.
- Le second portera sur l’organisation des activités connexes concernant :
- les animations culturelles : exhibition des troupes de fantasia, production groupes folkloriques, concours de poésie populaire, expositions de manuscrits, projections de films et documentaires…
- l’artisanat : exposition des ustensiles de cuisines spécifiques, des harnachements, des tissages, confections de tenues traditionnelles, instruments de musique traditionnels…
- les circuits touristiques : visites de lieux historiques, culturels, sites naturels, réalisations dignes d’intérêt, découverte de la large variété de grains de couscous et dégustation de couscous déclinée sous différentes préparations et spécialités locales.
À ne pas en douter, les effets positifs induits par la fête nationale du couscous et du blé dur sont incommensurables. À titre indicatif, il convient de citer les plus importants :
- La stimulation de l’esprit créatif potentiel et le réveil des initiatives collectives et/ou individuelles qu’on a laissé dormir depuis des décennies dans nos campagnes et nos villes pour relancer des métiers artisanaux divers et variés dont regorgent nos terroirs (poteries, confection d’habits traditionnels et d’ustensiles de cuisine en bois et/ou en porcelaine, rouleurs de couscous, cuisiniers, guides touristiques, sellerie et harnachements, instruments de musique traditionnels, poètes…), susceptibles de générer des emplois réduisant, par là même, à sa plus simple expression l’oisiveté dont souffrent encore un grand nombre de nos citoyennes et citoyens, et améliorant, en conséquence, le revenu des ménages.
- La relance du tourisme national peu exigeant pouvant se contenter de bivouacs faits de tentes traditionnelles confortablement meublées, dotés d’équipements collectifs démontables, à la portée de tous les visiteurs.
- La réorientation de la recherche agronomique pour réintroduire les variétés de blé dur et d’orge autochtones adaptées aux conditions agro-climatiques du pays, entrant dans la préparation du couscous, essentielles pour les qualités gustatives de nos plats de couscous.
- La promotion de l’exportation des multiples variétés de grains de couscous labellisés AOC ou AOG, qui ne manqueront pas de relancer la production des variétés de céréales indigènes à la base de la confection et de la préparation de notre couscous et qui doivent nécessairement recouvrer leurs territoires de prédilection actuellement spoliés et colonisés par le blé tendre introduit par les colons et les cultures spéculatives orientées essentiellement vers l’exportation au détriment des cultures stratégiques de base.
- L’adresse d’un message fort à l’Unesco et à tous ceux qui ne ratent aucune occasion, fût-elle insignifiante, pour dénigrer notre pays que le peuple algérien honore toujours ses engagements et a de tout temps été au rendez-vous pour jouer son rôle dans la sauvegarde et la conservation du patrimoine de l’humanité.
Alors, faisons de notre grain de couscous national, décliné à travers ses innombrables préparations, les unes aussi savoureuses que les autres, une véritable et appétissante fresque nationale, une des merveilles du monde que viendront visiter et déguster des fins gourmets du monde entier (ce qu’on ne peut envisager avec, par exemple, la visite des pyramides d’Égypte ou la Muraille de Chine).
Soyons à la hauteur du génie créatif et inventif de nos véritables ancêtres (pas «les Gaulois», bien évidemment, et comme certains ont voulu nous le faire croire durant plus de 132 ans) qui nous ont légué ce monumental grain de couscous en engageant sans tarder un plan d’action à même de sauvegarder cet héritage millénaire menacé par l’impérialisme culturel dont l’étendard reste la restauration rapide, synonyme de malbouffe et leurs corollaires les maladies cardiovasculaires, le dérèglement hormonal… et d’en faire un moteur puissant de notre économie nationale au service du pays et répondant aux besoins essentiels de ses habitantes et de ses habitants.
Célébrons ensemble le couscous et renouons avec les pratiques pas si lointaines que ça, et surtout positives, que nos enfants, poussés à l’exil, attendent avec impatience pour retrouver l’ambiance festive et chaleureuse qui chatouille leur fierté d’enfants de ce magnifique et doux pays qu’est l’Algérie ...
M. C.



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