1ère partie
«A la lutte pour
l'indépendance nationale succèdera la révolution démocratique
populaire» (Programme de Tripoli)
« La
meilleure forteresse au monde est l'affection du peuple. Si
tu as les pierres sans avoir les cÅ“urs, elles ne suffiront point à te protéger
» (Machiavel)
L'Algérie a subi trois siècles de présence turque et près d'un
siècle et demi de domination coloniale avant de prétendre de nouveau à
l'indépendance. L'idée de la construction démocratique
constitue un élément essentiel de la doctrine politique
de l'Algérie contemporaine ; ce, que l'on se réfère à la proclamation du
premier novembre 1954 et le programme de Tripoli (1962), la charte d'Alger de 1964 et
la charte nationale
de 1976, en passant par les constitutions algériennes (notamment celle de 1989
qui a octroyé le multipartisme et celle de 1995 ayant limité à deux les mandats
du président de la
République).
Or, l'Algérie se révèle un véritable livre de sociologie à ciel ouvert, voire un immense divan à coeur ouvert. Il est
vrai, en effet, que dans nos villes règne -outre une immense tristesse- une
ambiance de sous-développement observable à l'oeil nu : désoeuvrement manifeste
des jeunes, transport urbain des plus sommaires, immeubles vétustes à côté de
constructions quasi-pharaoniques... D'où l'urgence de revoir les principes de
cette doctrine et de réviser la pratique politique suivie à ce jour.
REMPLACER LA «LEGITIMITE REVOLUTIONNAIRE» PAR LA COMPETENCE
Après l'expérience autogestionnaire de Ben Bella, le Conseil de la révolution institué
par la proclamation du
19 juin 1965 avait entendu «rétablir la légitimité
révolutionnaire» par la réorganisation de
l'Etat avec maintien de l'option «irréversible» du socialisme.
Cette proclamation de foi n'a pas résisté à
l'épreuve des faits. Le violent réquisitoire établi par feu Boumediene a perdu
de sa signification tant il s'avère que la pratique politique
suivie par le Conseil de la
révolution, conçu comme structure gouvernante, fut davantage la représentation des
intérêts d'une caste (une oligarchie constituée par les «seigneurs de la guerre») que l'expression
de l'intérêt national.
Après avoir rompu le cours de la légitimité
constitutionnelle établie par la Constitution de
1963, ce Conseil s'est prévalu de la «légitimité révolutionnaire» ayant abouti
à l'institutionnalisation d'un pouvoir central avec hégémonie du président de la République, ministre de
la Défense nationale,
secrétaire général du FLN de fait et législateur par voie d'ordonnances. La personnalisation du
pouvoir est reconstruite autour de cette «légitimité» préfigurant ainsi les
effets nuisibles de la
stratégie de développement suivie alors : endettement
excessif entraînant une dépendance financière certaine avec un
mal-développement visible, tensions sociales à l'intérieur (grèves des ouvriers
et des étudiants), économie grippée (l'agriculture n'ayant pas eu les faveurs
du régime et l'industrie n'ayant pas subi les effets d'entraînement escomptés),
marasme culturel et interrogations sur l'histoire algérienne et l'identité
nationale évacuées sine die en permanence.
La question n'est plus de savoir si le coup d'Etat du 19 juin 1965 peut être
considéré comme un «redressement révolutionnaire» et donc ayant les faveurs de
la «légitimité révolutionnaire» ?
Aujourd'hui, tout au plus pourrait-on plaider pour un pouvoir
empreint d'autoritarisme. D'aucuns thuriféraires pourraient penser qu'il s'agit
là d'un processus
pragmatique ayant abouti à l'élaboration de la charte nationale
analysée comme un programme de gouvernement et la promulgation d'une
constitution aux fins de légitimation. Ainsi, la «légitimité révolutionnaire»
aurait cédé à la «légitimité constitutionnelle». Or,
ces textes ont cristallisé l'unicité partisane comme pierre d'angle du système
politique algérien, la
Direction de l'Armée jouant un rôle politique majeur (les
membres du Conseil de la
Révolution ont tous siégé ipso facto au bureau politique du
FLN).
Or, la
pratique politique et les diverses Constitutions algériennes
consacrent le président de la République comme le véritable détenteur du
pouvoir. En apparence du moins. La participation
démocratique des citoyens à la gestion des affaires
publiques est réduite à la
portion congrue. Nous sommes en présence d'un capitalisme
d'Etat périphérique dirigé par une techno-bureaucratie civile et militaire où
le chef de l'Etat est titulaire d'impressionnantes attributions.
L'intronisation de Chadli Bendjedid, alors primus inter pares, par la direction de l'armée
et du FLN comme candidat unique à la présidence de la République, consacre la confusion des
pouvoirs en vue de l'appropriation de la principale rente
énergétique du pays par la
haute hiérarchie du complexe militaro-bureaucratique
constituée en technostructure gouvernante illégitime.
La situation n'a pas été fondamentalement modifiée nonobstant l'appel à feu
Boudiaf dont le projet fut caractérisé par l'idée de restauration de l'autorité
de l'Etat, de rupture radicale avec les hommes et les pratiques de l'ancien
système, de prise en charge des problèmes sociaux les plus aigus et de l'espoir
à redonner aux jeunes. Son thème de prédilection -la corruption- (qui lui
coûta la vie ?)
est clairement affiché. Feu Mostefa Lacheraf a pu dire de lui : «Les critiques
envisagées dans le projet de Boudiaf ne pouvaient satisfaire ni le pouvoir
succédant au grand disparu, ni les groupes politico-religieux» (“El Watan” du
30/8/93). La situation n'a
pas plus radicalement changé avec ses successeurs, les compétences nationales
continuant à être marginalisées.
METTRE FIN AU POPULISME ET AU CULTE DE LA PERSONNALITE
Le populisme et le culte de la personnalité semblent
être les caractéristiques dominantes du pouvoir algérien. Les bailleurs du
pouvoir s'accommodent de l'état résiduel de la démocratie en
Algérie alors que la
corruption s'étale désormais à ciel ouvert. Les élections qui
s'y succèdent confortent davantage l'illégitimité du pouvoir. Ainsi, l'Algérie
a continué en vain d'épuiser plusieurs régimes en vue de résoudre l'équation
quasi-inamovible du pouvoir, les ressources politiques antérieures (le
nationalisme et le populisme) ne suffisant plus pour pallier les carences en
démocratie.
Que faire face aux défaillances du système productif : bureaucratisation
à outrance, fort taux de chômage, dette extérieure excessive (résorbée depuis),
austérité pesante, paupérisation englobant les couches moyennes de la société, clochardisation
des cadres, inflation qui court après le marché informelle de la devise, dessaisissement de
l'Etat d'attributs économiques sans contrepoids réel de contrôle de la sphère économique
par celui-ci, gestion dominée par le phénomène de la corruption, du bazar et
de la rente ?
Comment in fine résoudre la
question du pouvoir en Algérie afin d'assurer une légitimité
aux gouvernants et conférer une assise définitive et durable aux institutions
et aux hommes et femmes qui les dirigent ? Comment s'inscrire dans la remise en cause de la pensée unique, la dépolitisation de
l'armée par sa professionnalisation, l'émergence de la société civile
comme acteur de la vie
publique du pays ? Comment faire usage de nouvelles règles
constitutionnelles telles que la séparation des pouvoirs et le respect des droits
de l'homme et des libertés individuelles et publiques ?
Telle est la
problématique en vue de débarrasser l'Algérie de l'idéologie
obsolète enrobée de «légitimité» pseudo-révolutionnaire tant notre pays a été
sévèrement malmené par nos tyranneaux qui cultivent à satiété le culte de la personnalité et
pratiquent à foison le populisme. Depuis les «événements» d'octobre 88,
l'Algérie est en quête d'une nouvelle légitimité par une recomposition du champ
politique caractérisé par un pluralisme politique jusque là contrôlé, sur fond de
paupérisation et d'extraversion du système économique. En vain, feu M'Hammed
Yazid a pu plaider pour l'“élimination” du marché politique des gens de sa
génération.
Cette situation s'apparente, par son caractère récidivant, à du présidentialisme où le président de la République demeure
constitutionnellement la clé de
voûte des institutions politiques du pays. Nous sommes toujours face à un
sous-développement politique chronique par la grâce d'une gérontocratie
qui use d'une rhétorique démesurée et affiche une attitude arrogante et un
populisme à tout crin. En effet, le système politique algérien repose toujours
sur un déséquilibre institutionnel établi au profit du président de la République sans
contrepoids réel, à savoir : un Parlement qui reflète un pluralisme politique authentique,
une Magistrature indépendante, une Presse libre et une Société civile
structurée. Il y a là
une déviation et une dégénérescence du régime présidentiel
avec des risques certains d'autoritarisme et d'arbitraire. Il est vrai que les
Constitutions algériennes consacrent le président de la République comme
chef réel du Gouvernement, chef suprême des Armées et de l'Administration. La pratique politique
depuis octobre 88 n'a pas modifié cette donnée puisque cette situation a
perduré du fait de l'aménagement du pluralisme octroyé, suite à la période du
monopartisme, en système de parti dominant.
REMETTRE EN CAUSE L'ETAT DE L'ETAT D'URGENCE
Pour rappel, l'Etat algérien proclama l'état de siège en juin 1991
et plus tard l'état d'urgence en 1992. C'est ainsi que, courant février 1992,
l'état d'urgence fut proclamé et reconduit d'année en année. Question : l'état
d'urgence peut-il se justifier par le gouvernement algérien ? Si risque il y
avait alors, pouvait-il constituer à lui seul un péril imminent sur la nation, sachant que par
hypothèse l'Etat a les moyens légaux pour éventuellement y faire face
relativement au maintien de l'ordre public ? Fallait-il donc stopper le
processus électoral pour maîtriser la situation et déroger ainsi aux droits
fondamentaux de l'homme ? Il me semble que l'Etat dispose de la police et de l'armée,
ainsi que de l'Administration et de la Justice (voire de la radio et de la télévision) pour
maintenir l'ordre public sans avoir recours à l'état d'urgence et la mise en veilleuse des
libertés. De même, l'Etat dispose de moyens d'action légaux ; ainsi, la Constitution de
1989 (et les Constitutions subséquentes) attribue suffisamment de prérogatives
au président de la
République pour éviter tout péril imminent de la nation. Il peut, entre
autres, dissoudre l'assemblée nationale élue et légiférer par voie
d'ordonnances.
Durant l'état d'urgence, une donnée majeure et permanente :
l'emprise du chef de l'Etat sur toutes les institutions. En ce sens, l'Algérie
a construit une forme de bonapartisme militaro-bureaucratique (voire césarisme)
qui a verrouillé tout droit à l'expression à l'opposition alors qu'il a été
promis au pays un «Etat sérieux et régi par une morale». Au plan politique, des
officiers supérieurs occupent (ont occupé) des postes importants : président de
la République,
ministres, walis, PDG de sociétés nationales. Bendjedid, colonel successeur à la présidence et
candidat unique du FLN élu à plus de 99% des voix, a mis en place une forme de
multipartisme ayant abouti in fine à un système de parti dominant, ainsi qu'à
un libéralisme débridé ayant contribué à la constitution de
fortunes diverses : financière, immobilière et foncière. Sans rupture
déterminante, la
Constitution de 1995 a eu tout de même
le mérite de consacrer sur le texte l'alternance au pouvoir par la limitation des
mandats présidentiels (deux quinquennats suffisent). La Constitution de 2008 a mis fin à la
limitation de la
durée des mandats présidentiels. Et à l'alternance au pouvoir
préfigurant l'Etat de droit. Désormais, l'Algérie a
vocation à devenir une monarchie avec à sa tête un autocrate confirmé par des
élections aussi formelles qu'inutiles, avec l'assentiment de la grande muette.
CONGEDIER L'OLIGARCHIE AU POUVOIR
La stratocratie
semble être la définition qui
convient le mieux pour qualifier le système politique algérien car dominé, bon
an mal an, par la
direction de l'Armée et, dans une moindre mesure, comme une
oligarchie dès lors qu'on a affaire à un pouvoir politique fondé sur la prééminence de
quelques personnes (le cercle des décideurs). C'est dans ce contexte
qu'apparaissent de plus en plus des affaires politico-judiciaires : Bouricha,
Banque commerciale et industrielle d'Algérie (BCIA), Affaire Khalifa, Sonatrach
et tant de scandales financiers liés tantôt au secteur des hydrocarbures comme
principale valeur du pays, tantôt au secteur de l'immobilier et du foncier...
Dans ce même contexte, le Trésor public est géré comme une tirelire personnelle
selon les caprices des princes du moment et les principaux rouages de l'Etat
(gouvernement, assemblée, armée, partis...) sont exclusivement aux mains de la gérontocratie. Feu
Lacheraf a pu dire : «On s'obstine à relancer sur le marché politique les
vieilles élites corrompues, usées et discréditées». A suivre
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Posté Le : 08/12/2011
Posté par : sofiane
Ecrit par : Ammar Koroghli*
Source : www.lequotidien-oran.com