Algérie

"Pour survivre, La Casbah doit interagir avec les nouvelles composantes de la ville"



Conçue d'un ?il audacieux mais futuriste, l'ébauche de l'architecte Akram Azizi, lauréat du concours de La Charrette d'or (2019), ambitionne de réétudier La Casbah et de faire ?uvre utile de ses parcelles vides. Novatrice, la maquette d'Akram Azizi veut humaniser le cadre de vie du Casbadji à l'aide d'un pool culturel et d'un complexe sportif.Liberté : Votre projet d'architecture inhérent à la rénovation et à la revitalisation de La Casbah d'Alger a été auréolé du prix La Charette d'or au titre de l'exercice 2019. De quoi s'agit-il '
Akram Azizi : La Casbah, en dépit de son plan de rénovation et de son classement depuis 1992, n'a de cesse de s'engluer chaque jour dans la décrépitude, due d'abord à des raisons urbaines qui vont au-delà de la simple question technique ou constructive. D'où qu'il est requis d'ajouter au chapitre de sa mise en valeur l'article de l'autonomie qu'exige ce centre historique pour qu'il se revitalise et qu'il soit capable de se régénérer par ses propres moyens.
Or, cela n'a jamais été le cas, puisqu'il a été dûment établi que La Casbah souffre d'obstacles qui l'empêchent de suivre le cours du développement de la ville. Du reste, La Casbah s'en trouve enclavée par des contraintes de servitude et de l'obsolescence des axes conçus au XIXe siècle par l'occupant français.
À ce titre, l'objectif inavouable est double, puisqu'il répond à l'optique d'annihiler l'essor social de ce bastion et d'étouffer toute velléité de révolte du mouvement nationaliste algérien. Et s'il en est une preuve d'isolement, celle-ci s'esquisse sur l'axe Ourida-Meddad (ex-bd Gambetta) et qui donne le dos à la médina, refusant ainsi tout dialogue entre le noyau originel de la capitale et l'extension de la ville moderne. Du reste, notre travail s'inscrit dans le thème "Repenser les limites de La Casbah comme lieux stratégiques de régénération urbaine", où il s'en ressent ce besoin vital d'établir des passerelles entre La Casbah et la ville du XIXe siècle.
Au demeurant, l'acte d'unifier le vieil Alger à la cité dite autrefois "cité européenne" se veut un préalable pour asseoir un programme à même d'améliorer le cadre et la qualité de vie du Casbadji. En effet, il est grand temps pour que la médina renoue avec la dynamique de l'artisanat, source de création d'emplois mais aussi de richesses, pour peu que le site y retrouve sa vocation de création et d'espace public où il fait bon vivre.
En quoi le concept de "mutation" concourt-il à la préservation de ce qui reste à sauvegarder '
Les fouilles archéologiques ont démontré que la médina date d'au moins sept siècles av. J.-C. et qu'elle fut occupée par moult envahisseurs, dont les Romains qui se sont implantés en "Cardo" à l'actuelle rue Bab-Azzoun, Bab-El-Oued, et "Decumanus" à l'ancienne rue de La Marine. Et à la fondation d'El-Djazaïr, les Ottomans ont bâti le port et la citadelle, formant ainsi l'amphithéâtre de forme triangulaire. Et eu égard à cette logique, la médina s'est donc adaptée à la période qu'a voulue pour elle chaque occupant. D'où le concept de "mutation".
Alors, et comme tout organisme vivant, la survie de La Casbah est donc tributaire de sa capacité à changer dans son contexte et à interagir avec les nouvelles composantes de la ville. C'est dans cette optique que le projet tente d'aviver La Casbah à l'aide de la chirurgie réparatrice dans des poches urbaines localisées au niveau des îlots de Soustara, du Bastion 8, de la Citadelle à Bab Jdid, de Dar El-Ghoula, de Dar El-Kharba en haut de la rampe Ahmed-Benganif et du quartier de la Mer rouge.
Votre ébauche a été conçue avec l'aide d'un jeune architecte visionnaire qui ose sur le terrain, mais il existe aussi la vision du conservateur qui rêve d'une reconstruction à l'identique. Quelle est votre conception d'une Casbah à l'orée du futur '
Ma vision consiste à trouver le juste équilibre entre la délectation d'une image forte. En l'occurrence celle d'un projet visionnaire qui doit naître du site lui-même et qui synthétise son environnement dans toutes ses variations. Cette vision puise son essence du site qui reflète le cliché d'une implantation des plus admirables de son histoire qui se narre à travers la typologie de ses douerat (maisons), mais aussi par ses venelles, ses impasses qui s'illustrent aux détails d'un motif "kaim naim" ou d'un "q'bou" qui veille sur l'intimité du Casbadji et qui exclut le vis-à-vis entre voisins.
Bien entendu, La Casbah présente une architecture de sens, et le sens que je veux donner à mon projet est de guider le visiteur vers La Casbah par ses cinq portes : Bab El-Oued, Bab Dzira, Bab El-Bahr, Bab Azzoun et Bab Jdid, avec pour seul référent son histoire. Autre apport contenu dans mon projet, la sublime Porte des temps contemporains qui facilite l'accès à La Casbah à l'aide d'un lien transversal avec la ville coloniale et qui remet La Casbah dans son contexte actuel avec Bab El Açil ou "la porte authentique".
Comment se matérialise cette vision de la porte de manière concrète '
La porte est une réponse à la volonté de perméabiliser le site, de faciliter l'accès et de guider les gens vers les itinéraires à emprunter. L'exercice consiste à intervenir dans les poches vides au niveau du site et de trouver une logique qui assure l'unicité et la continuité entre les différentes entités qui se traduisent parfois par des escaliers urbains qui mettent en relation des espaces publics à différents usages, ou par des passerelles qui relient le Bastion 8, l'îlot de Dar El-Ghoula et la rue Debbih-Cherif. Certes, l'ébauche n'est pas exhaustive puisqu'elle offre d'autres réponses architecturales qui tendent à remettre l'homme à son échelle et à humaniser l'espace par la lumière.
Quel programme pour un projet dans un tel site '
Pour satisfaire la demande des Casbadjis, il sera fait un usage rationnel des parcelles laissées vides, avec la réalisation d'un complexe sportif ainsi que d'un centre culturel à proximité d'une école et d'un collège. Outre cela, il est aussi question de l'édification d'un hôtel à l'intersection de l'axe Ourida-Meddad et Soustara pour y loger les touristes. Alors, et pour y réduire l'impact de la voiture sur l'environnement du lieudit Sdjiouret (allée des Arbres), il est prévu des parkings de 2 000 m2 en sous-sol, mais aussi des espaces communs en bas de Dar Essoltane (La Citadelle), où il est prévu la réalisation de locaux et d'habitations qui favorisent l'échange entre les habitants qui souffrent de la vétusté de leurs maisons. Bien sûr que la tâche n'est guère aisée mais elle mérite néanmoins une volonté politique pour que l'on médite autour d'un trésor qui se perd sous nos pieds.

Entretien réalisé par : Louhal Nourreddine


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