M. Bernard Kouchner viendra-t-il à Alger en mars ? Le souhaite-t-il ? Ses
considérations sur l'Algérie dans une interview au Journal du Dimanche, mise en
ligne sur le site du Quai d'Orsay, ne risquent pas de favoriser un dégel entre
Paris et Alger.
Le chef de la diplomatie française est, en effet, sorti du discours
diplomatique conventionnel pour livrer des appréciations qui ne peuvent que
déplaire à Alger. «Nos rapports avec l'Algérie ont été à ce point sentimentaux,
violents, et affectifs que tout est très difficile et très douloureux.
L'Algérie a été vécue comme française en France, quand elle était une colonie
de peuplement. L'anticolonialisme est mon premier engagement. La génération de
l'indépendance algérienne est encore au pouvoir. Après elle, ce sera peut-être
plus simple».
Le ministre français des Affaires
étrangères, Bernard Kouchner, ne s'exerce pas au second degré ni à une forme
d'humour glacé, il pense même avoir énoncé la vérité «profonde» qui
expliquerait «tout» dans les relations algéro-françaises.
Ainsi donc, il suffirait que les
individus de la génération de l'indépendance algérienne disparaissent pour que
tout devienne plus simple. Pour ceux qui essaient de comprendre les relations
entre les deux pays, cela est vraiment «trop simple». Ce n'est pas très
aimable, non plus, pour les responsables algériens de la génération de
l'indépendance avec qui l'on traite et à qui l'on reproche, de manière à peine
subliminale, de s'accrocher au pouvoir et de mal se conduire avec leur ancienne
métropole.
Le langage de «communicant» que
M. Kouchner sait manier depuis longtemps n'est pas celui de la diplomatie. Et
sur le fond, dans le cas d'espèce, sincère ou pas, le ministre qui se tient
dans le registre «sentimental» est à cours d'analyse… Ses considérations
émotionnelles se comprennent quand elles expriment une vue de l'esprit au cours
d'un entretien «off the record», elles sont déplacées au niveau officiel.
Une vision simpliste de l'histoire
Le ministre français des Affaires étrangères ne prend pas seulement le
risque de passer pour un impatient qui souhaiterait ardemment que la biologie
accélère son inéluctable Å“uvre en Algérie, il adopte une posture de
néoconservateur de base qui estime que l'Histoire s'efface avec les individus
qui en ont été les acteurs directs.
Ainsi donc, contrairement aux
sociétés éclairées, dont la France bien entendu avec «sa grande histoire», les
générations postindépendance en Algérie ne seraient pas très concernées par
l'histoire vécue par leurs parents… Et, particulièrement, par la très peu
idyllique, très peu sentimentale et peu bienfaisante histoire de la
colonisation et de la décolonisation ? De telles représentations réductrices et
simplistes de l'histoire peuvent, en effet, autoriser à dire à peu près n'importe
quoi. M. Bernard Kouchner part du constat, qui n'est pas faux, d'une scène
politique algérienne figée qui ne permet pas un changement régulier du
personnel politique. Cette défaillance démocratique est un réel handicap pour
l'Algérie. Les jeunes Algériens la regrettent et luttent à leur manière pour
essayer de la résoudre. M. Kouchner ferait une erreur de considérer que ces
jeunes ne s'intéressent pas à l'histoire de leur pays ou, plus grave, qu'ils
seraient plus malléables que leurs aînés.
Bien au contraire, tout indique
que la nouvelle génération, ne pouvant arguer que d'un mandat populaire
exigeant, sera beaucoup moins accommodante. A cette aune, les considérations
sur l'histoire et les relations franco-algériennes de Bernard Kouchner paraissent
évanescentes. Ce qui anime cette relation avec ses hauts et ses bas, ses
ententes et ses fâcheries parfois difficiles à décrypter, relève plus du
présent que du passé. Les controverses comme les concordances de vues portent
sur des intérêts contemporains, économiques et financiers autant que
diplomatique…
Le registre du spécifique
La disparition de la génération de l'indépendance – ses membres sont
aussi dans l'opposition et ils ne croient pas un instant que la France souhaite
des changements en Algérie, loin de là – ne fera disparaître ni les données de
l'histoire, ni celles des intérêts qui ne sont pas forcément, du moins pas
toujours, complémentaires.
Les jeunes générations
algériennes moins enclines à cultiver des secrets inutiles feront sûrement
sortir la relation algéro-française du registre du «spécifique» en jouant la
transparence. Rien ne dit donc que ce sera plus «simple»…
En tout cas, ces jeunes
générations n'attendent pas d'être au pouvoir pour estimer que les arguments
avancés par Bernard Kouchner pour classer l'Algérie dans la liste des pays à
risques sont spécieux. Aucune «norme de sécurité», comme l'avance Bernard
Kouchner, ne justifie que l'Algérie soit, par exemple, distinguée parmi les
trois pays du Maghreb.
La faute au GSPC-AQMI qui serait
algérien ? Perhaps… Mais certains spécialistes sécuritaires soulignent qu'en
termes de pure statistique, les terroristes marocains ont commis beaucoup plus
de dégâts en Europe que les terroristes algériens. Pourquoi les Algériens – car
c'est de tous les Algériens qu'il s'agit – seraient-ils une population plus «à
risque» que leurs voisins ? Voilà qui ne s'explique pas. Les jeunes générations
postindépendance ont plutôt tendance à trouver que sur cette question, la
réaction de la génération de l'indépendance au pouvoir est, comme souvent, bien
trop timorée.
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Posté Le : 21/02/2010
Posté par : sofiane
Ecrit par : M Sâadoune
Source : www.lequotidien-oran.com