Algérie

Pour que Dellys n’oublie pas ses enfants, ses héros



Publié le 08.04.2024 dans le Quotidien le soir d’Algérie
Par Hasbellaoui brahim-smail
brs.hasbellaoui@yahoo.fr

«Le corps se perd dans l'eau, le nom dans la mémoire.»
(Victor Hugo, extrait du poème Oceano nox)

Il y a plus de soixante ans, le 4 mai 1963, disparaissait Ali nourine, le moudjahed, l'officier de la Marine nationale, en escortant le trois-mâts El mahroussa à bord duquel se trouvait le président de la République arabe d'Égypte Djamel abdennacer, pour une première visite officielle en Algérie indépendante.

Né à Sahel Bouberak, orphelin, le jeune Ali est recueilli par son grand-père, qui résidait à «Dar Salem Belhadj» quartier «Djebbissa», une maisonnette avec vue panoramique sur le port de Dellys (wilaya Boumerdès), sa jetée et sa baie.

Un grand-père qui veillait méticuleusement sur l'éducation de son petit-fils.

Scolarisé à l’école communale et la Médersa El Islah, il ne tarda pas à s'adapter et être adopté par ses nouveaux camarades.

En 1950, il réussira au concours d'entrée à la Médersa de la rue Bencheneb, le futur lycée franco-musulman. II retrouvera dans cet établissement un grand nombre de ses connaissances dellysiennes ; il ne sera pas dépaysé dans cet internat de la capitale, ce qui rassura le grand-père.

Lorsque la révolution du 1er novembre 1954 éclata, il ne resta pas indifférent aux évènements et se rapprocha de ses amis, acquis aux idées nationalistes.

Juin 1955, il décrocha la première partie du baccalauréat et s'apprêtait à concourir pour la seconde partie en juin 1956.

Arriva l'appel du 19 Mai 1956 de l'Ugema invitant les étudiants à une grève générale des études et examens et les priant de rejoindre les rangs du FLN et l'ALN. Ali n'hésita pas un seul instant à rallier les maquis de la région de Bouberak. (commune de Sidi Daoud).

Au lendemain du Congrès de la Soummam ( 20 août 1956), il est affecté en qualité de commissaire politique au secteur de Bordj Menaïel (région de Sidi Ali Bounab) en compagnie de Mahmoud Lamraoui, dit Si Zoubir, un autre Dellysien, chargé des liaisons et renseignements.

Début mars 1957, il est chargé par le commandement de la Wilaya Ill d'encadrer une compagnie en partance vers la Tunisie récupérer et rapporter le quota d'armes et de munitions réservées à la région.

Arrivé en Tunisie, il est, avec d'autres lycéens, retenu pour une formation utile et nécessaire à l'Algérie indépendante.

Mars 1958, il se retrouve avec un groupe d'une dizaine d'autres Algériens orientés vers la Marine : l'École navale d'Alexandrie (Égypte). Après un cycle de formation théorique et pratique de deux ans et demi, il décrochera, en juillet 1960, le grade de sous-lieutenant.

Février 1961, il se retrouva de nouveau dans un groupe restreint, composé de Rachid benyeles, tahar kaddour et bachir taouti, réorienté vers une formation spécialisée sur les dragueurs de mines à Poti (Géorgie), une base navale en mer Noire, une ancienne République de l'Union soviétique (ex-URSS), berceau de l'ancien maître Joseph staline.

Le 5 Juillet 1962, alors que les Algériens fêtaient la victoire, il est, avec son groupe, oublié ou bloqué à Poti, ce n'est que vers septembre que l'équipe recevra l'ordre de quitter la Géorgie, rallier Alexandrie, prendre livraison d'un don de deux dragueurs de mines et les piloter jusqu'au port d'Alger — ce que fut fait, après de multiples péripéties et incidents en Méditerranée.

Le 4 mai 1963, alors que l'arrivée de l'hôte de l'Algérie était prévue à la mi-journée, tôt le matin, une foule frémissante et délirante occupait déjà les terrasses, les balcons et les balustrades du boulevard front-de-mer.

Ils étaient nombreux à vouloir témoigner leur gratitude et leur reconnaissance à ce président charismatique pour l'aide et les moyens mis à la disposition de la délégation extérieure de la Révolution, en particulier la station radiophonique «Saout el-djazaïr» qui, par la voix pathétique de Aïssa messaoudi, leur transmettait, tous les soirs, les messages d'espoir durant la guerre de libération.

Selon les us et coutumes de la marine, Ali nourine et fethi lakhdar étaient chargés d'escorter à bord des deux dragueurs rebaptisés Djebel aurès et sidi-ferruch le trois-mâts El-Mahroussa jusqu'à l'entrée du port, lui laissant la voie libre dans la rade pour rejoindre son quai d'accostage.

Dès cet instant et au fur et à mesure que le yacht s'approchait, les cris de joie et les youyous tranchaient avec les sons des sirènes des bateaux.

Au moment où le président Djamel abdennacer foulait le sol, accueilli par le président Ahmed ben bella, son gouvernement et les principaux dirigeants du FLN, une bourrasque, comme il en existe parfois à la mi-journée, éclata, ne laissant pas le temps au Djebel Aurès, piloté par Ali nourine, de se réfugier à l'intérieur du port, la machinerie ne répondait plus aux manœuvres de la barre de direction, l'obligeant à dériver et s'orienter en direction des brise-lames. Il ne restait au commandant de bord qu'à sauver d'abord son équipage. C'est ce qu'il fit, il déroula le cordage enroulé au treuil, le lança aux marins agrippés sur la jetée, demanda à ses hommes de s'y accrocher et glisser vers le sol.

À l'exception d'un seul matelot qui rata son geste et se retrouva dans les eaux, l'ensemble de l'équipage fut sauvé.

À cet instant, le lien avec la jetée se brisa, laissant le dragueur à la merci d'une mer démontée, ballotté, au gré des différents courants. Le drame était inévitable.

En homme résolu, il met à exécution le code d'honneur dans la marine, «un commandant de bord n'abandonne jamais son navire», il s'approcha et s’accrocha des deux mains au bastingage, lorsque une forte houle souleva le Djebel Aurès et une grosse vague l'envoya au fond des eaux.

Il ne restait sur la jetée que les yeux de ses compagnons pour pleurer leur chef, leur frère, dont la probité, la simplicité n'ont d'égal que son humilité.

Personne ne pouvait les consoler, alors que tous les autres regards étaient braqués sur la cérémonie d'accueil du président de la République arabe d'Égypte.

À son enterrement, jamais la ville de Dellys n'avait connu pareil encombrement, ni embouteillage, de telle sorte que de nombreuses personnes n'ont pu franchir le chemin séparant la route nationale de Ras etterf (nom du cimetière). Pour ceux qui ont eu le privilège de s'approcher du lieu d'enterrement, ils n'ont pu voir que les nombreuses couronnes de fleurs sur la sépulture.

Soixante ans plus tard, la tombe de l'orphelin est recouverte de ronces et d'herbes sèches, même les épitaphes dorées ont perdu leurs couleurs, qu'il est difficile de la situer.

Ce témoignage se veut un hommage à sa juste valeur, afin que nul n'oublie, et que cet acte héroïque ne reste pas seulement enfoui dans la mémoire de ceux qui l'ont connu ou côtoyé.

Que chacun des marins, quel que soit son grade, qui a participé à cette cérémonie, soit digne de la reconnaissance de la nation, qu'il ait perdu la vie ou survécu.
H. B.-S.



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