Génial ! Cette
année, la stratégie concoctée semble des plus prometteuses pour nous épargner
d'être enfarinés par la spéculation que nous réserve, comme à l'accoutumée, le
marché à la veille du Ramadhan : afficher tout simplement la mercuriale des
prix et lui donner le maximum de médiatisation.
Pour mieux
assurer son succès, on envisage de la conforter par la mise en place d'une
énième commission nationale chargée de coordonner quelque chose qui
ressemblerait à une campagne publicitaire aux contours encore fluctuants. Le
résultat minimum escompté : la spirale des prix, même si elle est déjà en
take-off, se sublimera d'elle-même comme par enchantement ! Il fallait y penser
! Dans l'esprit des concepteurs de cette brillante formule, il suffit d'une
petite note de service, après une longue sieste, pour que les étals de nos
marchands regorgent de produits de qualité et bon marché !
Théoriquement donc, le consommateur aura
l'embarras du choix pour faire son marché et apprécier enfin la générosité
légendaire de nos commerçants, surtout en ce mois de grande piété. La ménagère
donnera libre cours à son péché mignon : admirer la qualité et la présentation
des produits exposés dans un cadre rutilant de propreté. Elle n'éprouvera
aucune peine à remplir son couffin le plus normalement du monde en choisissant
en toute quiétude les produits qu'elle désire, sans se faire houspiller ou
arnaquer par le vendeur. Tout sera disponible à prix raisonnable. L'après-midi,
les produits périssables sont carrément bradés ou même offerts gracieusement
aux associations caritatives, au grand bonheur des plus démunis qui pourront
ainsi s'approvisionner à moindres frais, car tout doit disparaître avant le
grand nettoyage quotidien du marché.
Une organisation discrète, infaillible et
incorruptible veillera à la discipline générale pour lutter contre toutes les
tentatives de déviations. Les lois existent à profusion et même en pléthore. Il
est temps de les appliquer puisque les moyens nécessaires ne font pas défaut.
Nos imams mettront à profit cette période hautement sensible pour rappeler
toutes les fatwas qui régissent les pratiques commerciales. Toute forme de
spéculation ou de fraude est rapidement dénoncée par le citoyen, vigilant et
intransigeant sur ses droits. Elle sera sévèrement réprimée par des services
toujours jaloux de leurs prérogatives et constamment sur la brèche.
Relever ce défi sans cesse remis sur le tapis
exige logiquement que des managers, qui ont prouvé leurs capacités en
réussissant des campagnes similaires, configurent la nouvelle structure pour
conduire la bataille qui s'annonce. Si on se contente encore de garder les
mêmes ingrédients, et seulement l'emballage qui opère sa mue, il ne faut pas
s'attendre à des résultats faramineux.
C'est la raison pourquoi une tradition bien
établie depuis des lustres recommande, à la veille de chaque tentative des
autorités de prendre en charge un quelconque problème, de croiser les doigts et
d'invoquer la formule incantatoire la mieux partagée par tous les Algériens :
»Allah youstor !» (Dieu nous protège).
Il faut reconnaître que jusque-là, rien n'est
venu démentir la pertinence de cette superstition, car il est dans les habitudes
de l'Etat de se manifester conjoncturellement et d'une manière frisant la
provocation, dont la première conséquence est de perturber le semblant
d'armistice conclu tacitement entre les différents partenaires du marché. Des
espaces se créent et s'organisent spontanément en fonction de la disponibilité
des produits et de la clientèle ciblée. Les prix varient des fois du simple au
double d'un marché à l'autre. Les opérations souvent maladroites des services
ont un effet contraire à celui auquel on comptait aboutir. Les marchandises se
raréfient et les prix grimpent en conséquence après leur passage. Quelques
lampistes sont toutefois sanctionnés pour la forme mais les grands requins
demeurent curieusement toujours inaccessibles.
D'expérience, on constate que chaque
tentative d'intervention des services est éventée avant son début d'exécution
et enrayée par la baisse des rideaux de l'ensemble des magasins pour échapper
au contrôle. (Ne doit-on pas réprimer encore plus sévèrement ce comportement
antisocial ?). Ce qui se traduit par le sinistre spectacle de la ville morte et
donc la pénalisation du consommateur. Le lendemain, le commerçant n'éprouve
aucune pudeur pour compenser le manque à gagner occasionné par la fermeture et
le répercute naturellement sur le prix de vente. On devine à qui revient
l'usage de la serpillière !
Que peut penser le citoyen lambda devant la
récurrence de cette situation ridicule en passe de devenir une fatalité contre
laquelle il est vain de lutter ? Chaque année, le même problème revient : on
sort la même batterie de solutions, tout en étant convaincu qu'elles sont
inopérantes pour aboutir aux mêmes résultats calamiteux. On remise alors ces
armes obsolètes pour les ressortir l'année prochaine, sans avoir tiré les
leçons de l'expérience douloureusement vécue. Ce genre de discours finit par
revêtir alors pour le commun des mortels l'aspect d'un sadisme délibéré, quand
on apprend que la misère pousse des jeunes à s'immoler par le feu et que
d'autres se lancent par barques entières dans la funeste aventure de la harga.
Rien ne justifie ce manque d'imagination irresponsable. Comment tolérer cette
impression de «je-m'en-foutisme» quand des pans entiers de la population vivent
dans la précarité et envahissent chaque jour un peu plus les décharges
publiques pour disputer aux chiens errants les reliefs !
Face à de telles élucubrations, on jure que
ces gens sont tellement déconnectés de la réalité de leur pays qu'ils ne nous
débitent de pareilles insanités que pour justifier leurs confortables
émargements au budget de la généreuse vache à lait. Ils n'ont pourtant aucun
besoin de le faire. D'ailleurs, personne ne le leur demande ni le conteste. On
ne s'en offusque plus. Mais la question est de savoir si ces gens, auxquels on
ne peut bien sûr rien apprendre sur l'efficience et encore moins sur le
nationalisme, vont au marché comme tout le monde et paient leurs emplettes pour
s'imprégner de la réalité ambiante et se sentir concernés ! Finalement,
vivent-ils parmi nous ?
Comme il fallait s'y attendre, le premier
fruit de cette bonne nouvelle est l'ouverture de la boîte de Pandore et toutes
les portes de l'enfer sur le pauvre consommateur déjà anéanti par l'angoisse de
l'inévitable flambée des prix à quelques jours du Ramadhan. Malheureusement, la
tendance générale ne laisse entrevoir aucun fléchissement. Une simple analyse
des prix des denrées de première nécessité laisse présager de douloureuses
dépenses à supporter par l'Algérien moyen. La chorba sera bien salée cette
année encore, même s'il doit se résigner à sacrifier ses envies ramadanesques.
Obstinément on soutient, les statistiques en main, détenir tous les moyens pour
maîtriser les leviers du marché et que, d'après les prévisions, si jamais il y
a augmentation, elle ne dépassera pas les limites raisonnables et sera de
courte durée. Un phénomène de surchauffe très léger et éphémère. Aucune raison
de s'alarmer. En entendant ces prophéties burlesques, les spéculateurs pouffent
de rire et se frottent les mains de l'aubaine qui va leur être offerte. Pendant
que les consommateurs se tiennent le ventre en voyant grossir la tempête à
l'horizon et que la ménagère ne sait toujours pas comment préparer sa chorba
avec les stats et autres formules soporifiques.
Allez du côté des brocanteurs et vous
rencontrerez l'Algérie profonde en cette veille de mois sacré. Vous verrez des
pères de famille brader leur mobilier, des frigos, des TV, etc. pour quelques
dinars ou des mamans faire la chaîne chez le prêteur sur gages dans l'espoir
d'hypothéquer leurs bijoux pour faire face aux dépenses qui pointent à
l'horizon.
Pendant l'assoupissement qu'observent à
longueur d'année certains de nos fonctionnaires, beaucoup de mauvaises
habitudes ont le temps de naître et de s'ancrer dans la société, encouragées
par le laxisme. L'impunité aidant, ces fléaux se propagent rapidement et
s'incrustent si profondément dans le comportement qu'ils deviennent un trait de
caractère naturel difficile à combattre, impossible à éradiquer.
Il y a des causes profondes à l'origine de
ces problèmes qu'il faut prendre en charge avec sérénité et surtout avec
constance, au lieu de se contenter d'agir temporellement sur les effets.
Pourquoi devrions-nous toujours adopter des positions extrêmes, nous enfoncer
dans les abysses de la complaisance et fermer l'oeil sur toutes les tares ou
agir intempestivement avec le maximum de zèle sous l'influence de l'humeur du
moment pour tout relâcher après ? Il suffit pourtant de faire son travail avec
conscience simplement.
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Posté Le : 13/08/2009
Posté par : sofiane
Ecrit par : Amara Khaldi
Source : www.lequotidien-oran.com