Dans les pays musulmans en général, et arabes en particulier, on ne parle guère du Darfour et de ce qui s'y passe. Mais les choses risquent de changer. Non pas parce que pouvoirs politiques, médias et opinions publiques auront réalisé tout d'un coup qu'il est plus que temps de se pencher sur ce drame mais parce que, comme c'est souvent le cas, le sujet va leur être imposé par l'Occident. Car en France, comme aux Etats-Unis ou dans le reste de l'Europe, on s'indigne de plus en plus des massacres qui se déroulent dans l'ouest soudanais et du sort tragique de deux millions de réfugiés. Â Je vais être franc avec vous, je ne connais rien à ce dossier si ce n'est ce que j'en lis dans la presse, notamment anglo-saxonne, de loin la plus en pointe sur cette question. Ces lectures et les quelques reportages télévisés que j'ai visionnés, m'ont permis de me forger une opinion à défaut de connaissances. J'estime donc évident que des massacres se sont déroulés - et se déroulent encore - au Darfour, ce que continuent de minimiser plusieurs gouvernements arabes, à commencer, bien entendu, par celui de Khartoum. Â S'agit-il d'un nettoyage ethnique ? Sûrement puisque, selon l'ONU et de nombreuses ONG respectables, des centaines de villages ont été rayés de la carte et des dizaines de milliers de personnes ont été forcées de fuir leurs habitations. Peut-on parler de génocide ? Là encore, je ne sais pas quoi dire. Ce terme de génocide est à manier avec précaution et je n'aime pas l'usage léger qu'on en fait depuis quelques années. Alors, génocide ? Je ne sais pas mais, massacres, tueries et crimes contre l'humanité, sûrement et cela n'exempte pas la guérilla darfourie qui, semble-t-il, est loin aussi d'être irréprochable. Â Pourtant, en Europe et à quelques exceptions près, les avis sont tranchés. C'est un génocide, affirme par exemple la vox germanopratine faisant écho à l'activisme de plus en plus radical d'associations et de vedettes américaines. En Occident, la pression monte et cette mobilisation va finir par bouleverser l'agenda politique mondial. C'est pourquoi je me dis que les Arabes ont intérêt à se réveiller sur cette question et à ne plus faire semblant de regarder ailleurs. Â D'ailleurs, pourquoi se détournent-ils ou, pire encore, pourquoi montrent-ils des signes d'irritation quand on évoque le Darfour ? C'est que dans cette affaire, victimes et bourreaux sont de même confession : il s'agit de musulmans afro-arabes qui tuent, violent et décapitent d'autres musulmans afro-arabes. L'idée, idiote, mais si souvent entendue ici et là, selon laquelle l'intérêt des pays du Nord pour cette région relèverait d'un complot contre l'Islam ne tient pas la route un seul instant. Et l'on remarquera au passage que la mobilisation occidentale pour le Darfour - musulman - est bien plus importante que celle qui a existé par le passé pour le Sud-Soudan - chrétien et animiste - lors de la guerre civile entre Khartoum et les troupes de John Garang. Â On dit aussi que les Arabes sont soucieux de la souveraineté de ce pays et qu'ils refusent de s'immiscer dans ses affaires intérieures. La belle affaire. Il s'agit-là de la manifestation habituelle de solidarité entre mauvais ladres qui savent qu'il faut se serrer les coudes pour ne pas insulter l'avenir. En joignant leurs voix aux critiques occidentales, les capitales du Maghreb et du Machrek savent qu'elles ouvriraient la brèche pour d'autres mises en cause lesquelles pourraient, pourquoi pas, les concerner un jour... Â Il ne vous a pas échappé que le début de ma chronique est marqué par la prudence. Pourtant, j'ai été tenté par une accroche plus dure et plus violente à l'égard du régime d'Omar al-Béchir. Pour moi, les Darfouris sont les frères des Tchétchènes, des Palestiniens, des Tibétains et de tous ceux qui souffrent face à une puissance inique et supérieure en forces et moyens. Â En fait, ma réserve vient du fait que, comme c'est souvent le cas, la cause du Darfour est parasitée par les habituelles bonnes consciences opportunistes. Les mêmes qui, hier, soutenaient l'invasion de la Somalie (quelle réussite...) ou de l'Irak (autre réussite) plaident aujourd'hui pour une action musclée contre Khartoum. Voilà donc le retour du droit d'ingérence et de l'aventurisme. Je sais, une bonne cause ne devient pas douteuse quand elle est défendue par de mauvaises gens mais, tout de même... Â Je ne peux me demander aussi s'il n'y a pas pétrole sous roche dans cette affaire et si le sort inadmissible fait aux populations darfouries n'est pas la bonne occasion pour que soit menée l'une de ces habituelles opérations de déstabilisation qui, quel étrange hasard, n'affectent que des pays producteurs de pétrole. Â Et puis, il y a la vraie question, celle qui concerne la Chine. Sans elle, et la Russie, le pouvoir d'al-Béchir serait déjà totalement isolé. Acheteur de pétrole soudanais, l'empire du Milieu ne veut pas entendre parler de sanctions internationales contre son fournisseur. Du coup, les partisans du droit d'ingérence nous encouragent à réclamer le boycottage des jeux Olympiques de Pékin, certains n'hésitant pas à parler de «jeux du génocide». Et là aussi, mes sentiments sont partagés. Bien sûr, la Chine se conduit mal en Afrique : au nom de la sécurité de ses approvisionnements en matières premières, elle cajole des pouvoirs dictatoriaux et elle prête de l'argent à des pays qui viennent à peine de sortir de plusieurs décennies de surendettement et d'absence de solvabilité. La menace d'un boycottage des jeux est donc l'un des rares moyens qui pourrait être efficace afin de l'amener à de meilleures pratiques et, surtout, à ne plus armer le Soudan. Â Mais d'un autre côté, il faudrait être naïf pour ne pas se rendre compte que cette question du boycottage possible des jeux de Pékin, n'est qu'un élément parmi tant d'autres de l'affrontement - encore maîtrisé mais jusqu'à quand ? - entre les Etats-Unis et la Chine. Â Pour autant, et malgré les réserves que je viens de vous livrer, je suis pour que l'on boycotte ces jeux si la Chine ne fait rien de concret et d'efficace - et elle en a les moyens - pour arrêter les massacres au Darfour. Et, surtout, je suis pour que l'Algérie donne l'exemple aux autres pays arabes en adoptant le ton de la fermeté à l'égard du Khartoum plutôt que celui d'une solidarité que l'Histoire risque de juger comme une complaisance complice.
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Posté Le : 31/05/2007
Posté par : sofiane
Ecrit par : Paris : Akram Belkaïd
Source : www.lequotidien-oran.com