Algérie

Pour en finir avec la déchéance de la nationalité, Hakim El Karoui octroie la citoyenneté française à l'Islam.



On sait, en paraphrasant une formule célèbre, que les problèmes de l'Islam sont trop importants pour être laissés aux seuls islamo-politistes médiatiques. Les examens de conscience commencés après le 7 janvier 2015 conduisent à contester le monopole de ces experts aux bilans mitigés et à déplorer les déficits éducatifs des organisations islamiques.L'essai de Hakim El Karoui[1] illustre bien ces constats. Il est le fruit d'un début de réflexion cherchant à aller au-delà de l'émotion due aux attentats de 2015. Les révisions imposés par ces chocs conduisent à revoir les idées reçues sur l'Islam et à s'interroger sur ce que la République n'a pas fait pour l'intégration des Français musulmans qui ne sont ni tablighis, ni frères musulmans, ni wahabites, ni salafistes.
L'auteur avoue ne s'être guère occupé sérieusement de l'islam avant ce tournant dramatique.Pour bénéficier du « modèle français d'assimilation », dont il vante les mérites, il avait préférer ranger le religieux parmi les secrets de l'âme, pendant que les « organisateurs » de l'Islam en faisaient un ensemble de secrets d'Etat. C'est ainsi que l'Islam n'a jamais été à l'ordre du jour du « Club du XXI° siècle » où l'auteur fit ses premières armes dans la vie associative avec d'autres « Beurgeois de la République ». A Matignon, où il a été le scribe de Jean-Pierre Raffarin, il a fait acte de présence à quelques réunions préparatoires à la future mise en place des timides « DU » (Diplôme universitaire), servant à initier les imams arabophones à la laïcité.
Quand Betrand Delanoé lui a confié la présidence de « l'Institut des Cultures d'Islam » du 18° arrondissement, c'était plus pour son savoir-faire en matière de montage financier que pour son savoir islamologique..
Hakim El Karoui s'est penché plus sérieusement sur les difficiles questions de l'Islam en France à la demande de l'Institut Montaigne. Dans son rapport de 2016, il donne libre cours à un « gallicanisme » militant et prône un dirigisme religieux, en sommant les musulmans de France de rompre avec leurs pays d'origine. Ce qui a fait sortir de ses gonds le père Christian Delorme, si indulgent et si placide habituellement. La réflexion de l'auteur était encore trop marquée par l'émotion de l'après-7 janvier 2015 pour atteindre à l'impartialité souhaitable.
Enfin, Hakim El Karoui a été un promoteurs de « l'Appel des 41 » d'avril 2017 . Au vu du refus de Macron d'hystériser les questions de l'Islam à des fins électorales, des déçus de « l'intégration par le politique » proposèrent leurs services pour prendre la tête d'une nouvelle bureaucratie religieuse. Leur programme sommaire rappelait un ancien slogan publicitaire de la BNP. Aux 2000 mosquées de France, ces « musulmans sans Islam », pour la plupart, semblaient dire : « pour ne rien vous cacher, seule votre zakat nous intéresse ».
« L'Islam, une religion française » est en retrait par rapport à plus d'une des excentricités de cet appel et des propositions à problèmes de l'Institut Montaigne, visiblement inspirées plus par une sorte de « kémalo-bourguibisme » que par la laïcité-neutralité d'un Jaurès. Mais l'esprit militant reste entier. Les pages sont truffées de récurrents « moi, je » qui peuvent exaspérer la partie des signataires de l'appel des 41récemment entichés de soufisme qui recommande « l'anéantissement du moi» ; Pascal s'en est inspiré, via Ghazali, dire que « le moi est haïssable »..
Hakim commence par déplorer, à juste titre, l'entretien des sentiments négatifs sur l'islam dans les médias. Il renvoie dos-à-dos d'un côté Edwy Plenel (symbole de la complaisance de « la gauche postcoloniale » avec l'islamisme), et, de l'autre, Zemmour(ce « salafiste de la République »), Fourest (inapte à maîtriser la « pensée complexe »), Bruckner et Finkielkrault (des droitiers « antipostcoloniaux ») qui font de l'hostilité à l'Islam leur cheval de bataille.
Il s'en prend d'autant plus durement à ces coqueluches des médias qu'il semble leur reprocher de priver de la médiatisation qu'elle mériterait « l'élite » musulmane sur laquelle il compte pour prendre en charge l'islam en France.
Il renvoie également dos-à-dos Chelghoumi et Tarek Ramadan à qui il reproche, en creux, d'occuper dans les médias la place qui devrait revenir aux porte-parole de la « classe moyenne » sécularisée issue de la « diversité » musulmane.
« L'imam Chelghoumi, malgré ses bonnes intentions, parle mal français, et vient de l'islam fondamentaliste et dit trop ouvertement ce que ceux qui l'interrogent ont envie d'entendre. Tarek Ramadan, lui, est utilisé en négatif, il représente le mal, semble d'autant plus dangereux qu'il parle bien, qu'il connait la culture européenne et qu'il semble capable de manipuler les musulmans. Entre ces deux pôles, le Bien » de bas niveau et le « Mal » de haut niveau, rien n'émerge. Et pourtant tant de talents existent... »
Dans ses survols de l'histoire de l'islamisme en France, il fait commencer l'action du Tabligh au début des années 80. Alors que l'action de ce mouvement piétiste et apolitique remonte aux années 60, quand il n'y avait ni chroniqueur religieux, ni islamo-politiste pour rendre compte d'une vie religieuse paisible et sans histoires.
Le survol de l'histoire de « l'organisation » de l'islam en France est franchement sommaire et empêche ce brillant essayiste de bien identifier les vraies raisons des échecs à répétitions.
Reconnaissant qu'une partie des difficultés vient de l'héritage coloniale, il remonte aux refus d'appliquer la loi de 1905 à l'islam en Algérie. Mais ses raccourcis saisissants lui font imputer ces échecs au « code de l'indigénat ». Alors que cet apartheid judiciaire était abrogé depuis longtemps quand fut reconnu en 1947, aux Algériens la « citoyenneté dans le statut »(personnel). L'article 56 du statut organique de l'Algérie stipulait l'application de la loi de 1905 à l'islam. Le ministre de l'Intérieur du gouvernement Ramadier s'est livré du haut des tribunes des deux chambres à une véritable « repentance » et promit le reconnaissance définitive de l'indépendance du culte musulman. Cela aurait conduit à la restitution des habous confisqués à un Conseil Supérieur islamique démocratiquement élu. La valeur de ces biens religieux expropriés était estimée à 700 milliards. L'administration admit l'idée d'une université musulmane financée par l'Etat, à titre d'indemnisation « forfaitaire perpétuelle », des habous qu'il était impossible de restituer. Mais tout cela sera vite « oublié ». On a préféré « maintenir l'Islam sous le contrôle de la police » (Massignon) et les membres du clergé officiel musulman dans leurs fonctions officieuses « d'agents électoraux » (Augustin Berque) des candidats parmi les « béni-oui-oui » soutenus par l'administration.
Jaques Berque, que Hakim présente à tort comme le parrain du CORIF, avait en mémoire tous ces fâcheux précédents quand il déconseilla, en 1990, à Joxe de « représenter l'Islam ». « Contentez-vous de le symboliser », ajouta-t-il. Il proposa d'ouvrir, prioritairement, un « Institut Averroès sur la montagne Sainte Geneviève » où peuvent être formés de futurs représentants en mesure créer une autorité religieuse. Mais le grand arabisant comprit vite que le CORIF multipliait les gesticulations médiatiques pour dissimuler la permanence du tout-sécuritaire. Cela devenait clair quand le ministre de l'Intérieur a préféré l'ouverture de l'Institut des Hautes Etudes de Sécurité Intérieure à celle de la faculté de théologie musulmane à Strasbourg, pourtant soutenue par l'Elysée. On sait maintenant que le ministre a écouté les étranges mises en garde du doyen de la faculté de théologie protestante. Hakim nous apprend que « les protestants » seraient devenus favorables à l'application du concordat à l'Islam en Alsace-Moselle : si c'est vrai, ce serait la seule bonne nouvelle de ce livre fortement marqué par les angoisses de l'après-7 janvier 2015.
Berque a aussi mal vécu la dérive affairiste de l'émission islamique télévisée, créée par lui à la demande de Mitterrand en 1983. Cette déviation était d'autant plus déplaisante qu'elle était le résultat d'un copinage du conseiller aux cultes plus soucieux de placer un ex-ambassadeur du Polisario de ses mais, que de régulariser la situation du culte musulman.
Au vu notamment de ces usages de l'Islam à des fins de carrière individuelle, Berque déplorait la « cécité française sur l'islam », et estimait même « qu'on est en train de perdre la guerre d'Algérie pour la deuxième fois ! »
Hakim (le sage, en arabe) admet que « le sentiment religieux s'intensifie chez un grand nombre de musulmans ». Mais il s'empresse de corriger : « un certain type d'Islam est en train de s'y imposer. Porter le voile ne correspond pas en effet à une obligation religieuse. Manger halal non plus ». Hakim appelle Blachère au secours de ce louable début d'Ijtihad. Il risque de compliquer ses relations avec les « paroissiens » musulmans instruits qui préfèrent nettement Hamidullah au spécialiste de Moutanabbi (le faux prophète), que Massignon surnommait « Bla Khir »(le dénué de bien).La traduction du Coran par Denise Masson est moins mauvaise. Mais la traductrice catholique est connue pour sa bévue sur le sens du mot « walyi ». En traduisant mal ce mot, elle fait croire que le Coran interdirait aux musulmans d'avoir des amis chrétiens ! Alors que « walyi » se traduit par « directeur de conscience »...
La référence à Hamidullah aurait évité à Hakim une autre méprise, sur le sens du mot « Akhbar ». Ce terme était utilisé par les historiens (comme Ibn Ishaq) quand ils se séparèrent des traditionnistes (collecteurs de paroles du Prophète). Il désigne les informations sur les faits et gestes du Prophète, en vue des ouvrages de Sira (biographie) et non plus ses dires (hadiths) qui sont soumis à une méthodologie plus rigoureuse.
Dans une autre tentative d'Ijtihad, l'auteur met en doute la véracité d'un hadith au motif qu'il a aurait été codifié « deux siècles après le Prophôte ». Là aussi une lecture de la « Sahifa » de Hammam Ibn Mounabbih (un jeune compagnon du Prophôte qui notait des hadiths avec d'Abou Horéira) trouvée et éditée par Hamidullah aurait été d'une grande utilité. Comparés aux chapitres correspondants de Boukhari, édité « deux siècles après », les hadiths de cet échantillon de 120 dires sont rigoureusement les mêmes et ne présentent même pas des variantes de copistes.
Ces approximations sont rendues inévitables par la brièveté des survols théologiques et historiques peu soignés. Sans doute parce que l'auteur est pressé d'arriver à l'essentiel de sa démonstration.
Pour préciser son but, il emprunte à Arnaud Montebourg son « gallicanisme » industriel (mâtiné d'anglicisme) et le transpose dans le domaine religieux : il veut un « Islam made in France » !
Pour indiquer le moyen d'y parvenir, c'est du côté de Mélenchon qu'il se tourne: il en appelle à pas moins d'une « insurrection idéologique » !
C'est dans l'air du temps marqué par l'éclectisme de ceux qui sont de « droite et de gauche », ou « ni de droite, ni de gauche ».
Pour lui, le mal absolu, c'est le radicalisme salafisme ; et le remède miracle s'appelle « l'Islam français ». Au moment où les partisans de la déchéance de la nationalité ne s'avouent pas vaincus, Hakim El Karoui octroie généreusement la citoyenneté à cette religion historiquement malaimée. Il appelle à une grande mobilisation des Français musulmans, de « l'élite et de la classe moyenne » pour faire de « l'Islam, une religion française ».
« Je crois, moi...je crois que l'Islam est une religion française...Je me battrai pour que les musulmans puissent exercer leur culte, y compris pour que les femmes puissent porter le voile dans l'espace public, puisque certaines y tiennent. Mais comme musulman, je me bats pour que mes coreligionnaires laissent de côté les interprétations fausses, inutilement rigoristes et profondément sexistes du fondamentalisme islamique. Et je crois donc que les femmes doivent abandonner le voile... ». L'auteur reprend à son compte les définitions de « l'Islam identitaire » par Bernard Godard centrées sur le vestimentaire, l'alimentaire (et le bancaire).
Pour justifier l'importance accordée par lui à ces questions aux dépens des problèmes sociaux, il estime que « la situation de l'intégration n'est pas celle que l'on croit ». Il laisse passer une occasion de commenter l'explication par le « terreau du terrorisme » (Macron) et par « l'apartheid social » (Valls). Il avance des « éléments quantitatifs » qui ne sont pas plus convaincants que les coûteux sondages que commandait le journal le Monde pour laissait Kepel les commenter en fonction de ses présupposés idéologiques.
Il est plus convaincant quand il propose de mettre fin au financement des mosquées par les Etats exportateurs de théologies rétrogrades et d'imams ignorant le français. Le financement par la taxe halal paraît logique et Hakim, en bon technocrate, estime avec une grande précision, les montants de cette manne que les « organisateurs » de l'islam négligèrent de réguler. Ce faisant, il oublie le résultat de son Ijtihad rendant l'abattage rituelle non obligatoire
Ses estimations des montants de zakat al fitr sont aussi précises. Mais sa proposition de les ajouter aux recettes de la taxe halal risque d'être contestée par « l'Islam d'en-bas » (grand absent de ce brillant essai) qui est moins intéressé par les mathématiques financières que par le hadith qui recommande d'affecter cette aumône directement aux pauvres les plus proches. Boumédiène lui-même a renoncé à un projet comparable quand il n'a trouvé aucun théologien de service pour l'autoriser à faire main basse sur cette zakat.
Hakim a raison d'être choqué par l'investissement dans l'immobilier dans des pays du Maghreb d'une partie des fonds obtenus au nom de l'islam. Cette pratique a surtout été le fait d'audacieux directeurs d'«instituts » pompe-à-fric. L'un d'eux a siégé au CFCM et à la Fondation des œuvres de l'Islam, où il a été coopté par des « organisateurs » qui ne pouvaient pas ignorer ces pratiques douteuses. Un autre a dû quitter la France quand il n'a pas été en mesure de s'expliquer sur le devenir de 2 millions de dollars obtenus au nom de l'enseignement, mais investis dans l'immobilier. Cet islamo-affairiste a même pu augmenter ses recettes grâce à un article complaisant du Monde par lequel il faisait croire aux donateurs qu'il serait chargé officiellement par le ministère de l'Intérieur de la formation des imams francophones...Et les « salafistes » n'y sont pour rien...On peut promettre dans les réceptions de dénoncer le salafisme, tout en étant illettré, folklorique et corrompu comme le sont certains « représentants » cooptés...
Après avoir réussi à imiter Abdelhamid Ibn Yahia, l'inventeur de la prose de chancellerie sous les Omeyades, Hakim tente dans cet essai de tracer la feuille de route de la future « Association cultuelle », qui sera chargée de donner un sens à « l'Islam de France »-cette formule ayant surtout enrichi les éléments de langage à finalité médiatique et électorale.
Pour être convaincant, il lui faudra s'inspirer de l'Adab de Djahiz et, surtout, de Tawhidi qui avait retardé de trente ans la publication d'un traité d'éthique. Ce lettré inquiet s'était donné le temps de confronter l'idéal au réel pour ne pas se contenter de wishfukthnking. Lorsqu'il sera inspiré par de pareils précédents, Hakim gagnerait à ne pas confondre une religion avec une idéologie que l'on malaxe au gré des plans de carrière et des calculs électoraux.
Il s'apercevra que la régularisation de la situation de l'islam ne sert pas qu'à combattre le salafisme. Elle honorerait la République qui avait été déshonorée par les cynismes coloniaux, et desservie par les velléités d'« organisation » de l'Islam où furent tolérés des usages du religieux à d'autres fins. De tels usages sont contraires à l'Islam et à la (vraie) laïcité réunis, que les usagers soient des islamo-affairistes ou des carriéristes non musulmans attachés à la singulière « jurisprudence » de Lyautey qui sabota en 1920 l'ambitieux projet comtiste d'Institut musulman, au motif que son ouverture risquerait « d'ouvrir l'esprit des jeunes musulmans »(sic).
Il convient de signaler enfin l'évolution récente de Hakim qui, malgré les « moi, je », semble chercher à sortir de « l'univers de présupposés, de censures et de lacunes que toute éducation bien réussie fait accepter ou ignorer, traçant le cercle magique de la suffisance démunie où les écoles d'élite enferment leurs élus. »[2]
Sadek SELLAM
[1] « l'Islam, une religion française »(Le Débat-Gallimard)
[2] Pierre Bourdieu, leçon inaugurale au Collège de France, 23. 4. 1982


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