Quel a été le cheminement pour arriver à l'expo «Un Con Scient» 'Je suis d'abord photographe de formation et j'ai appris la peinture en autodidacte. La photo est ma profession. Je voulais allier les deux médiums. Utiliser de la peinture noire sur du noir et blanc, c'était un choix pas évident. J'ai longuement travaillé pour trouver la bonne formule. Même la photo, ce n'est pas des aplats et puis pas de vitre pour que le spectateur soit en contact direct avec la photo. L'expo est venue de constats sur notre société actuelle.Une société où plusieurs choses ne vont pas et où l'on trouve tout «normal». On est dans une génération de consommation, de violence, d'ignorance et puis des gens qui, pour beaucoup, rêvent de quitter le pays. Je parle aussi de l'envahissement du virtuel dans nos vies. On oublie les vrais moments, la famille, les choses simples? Il fallait rendre ce monde chaotique et noir de manière esthétique. Après, le plus important est l'interprétation du public.L'expo se veut une dénonciation de la culture du paraître. N'est-ce pas paradoxal pour un photographe de mode 'Quand je dis photo de mode, c'est surtout la technique, pas l'industrie. Nous n'avons pas d'industrie de mode en Algérie. J'ai monté quelques projets de mode à l'international, mais ce qui m'intéresse c'est surtout la technique. Dans mes projets, j'essaie de développer des thématiques. Certains estiment que les visuels sont «over» avec trop de nu, etc. Mais je travaille aussi à une relecture moderne de notre patrimoine. Pour revenir à ma dernière expo, c'est vrai que ça diffère totalement de ce que je fais d'habitude. C'est comme un reportage sur la société.Mais pas un reportage qu'on consomme rapidement. J'avais envie de créer des photos avec de l'esthétique, de la technique et un message. Une sorte de reportage-fiction. Quand on voit mes photos, on apprécie d'abord l'esthétique qui attire le regard et on accède au message dans un second temps. En fait, c'est l'inverse du reportage où on voit d'abord le message avant de s'intéresser à l'esthétique.Vous parlez de reportage. Pourtant, les photos sont réalisées en studio avec une mise en scène calculée, une maîtrise des lumières, des mannequins choisis? Je suis quelqu'un qui aime maîtriser mon visuel. Je n'aime pas qu'il m'échappe. Une fois, dans une expo collective sur Alger, j'avais l'impression de voir le même photographe. Moi, j'aime bien m'approprier l'image. Je ne suis pas patient. Je ne pourrais pas attendre des jours dans la rue qu'un événement se produise. Je préfère créer mon visuel avec des codes bien précis. Ce n'est pas pour faire joli, mais pour signifier des choses.Une envie de tout maîtriser 'Absolument. Pour chaque prise, je commence par faire mon story-board. Je le dessine et je le propose à mon équipe. C'est une «guideline», un plan pour maîtriser le déroulement du travail. Gérer une équipe d'une trentaine de personnes avec le côté artistique, mais aussi tous les détails logistiques, je vous promets que ce n'est pas évident. Mais Dieu merci, on y est arrivés.Combien de temps pour réaliser ce projet 'Le concept était là, mais il m'a fallu trouver la bonne technique avec des photos sur toile qui donnent cet effet de peinture que je voulais obtenir. Ce sont quatre mois de travail entre expérimentation et réalisation. C'est la peinture qui m'a pris le plus de temps.On est étonné par l'imagerie lisse et esthétisante des photos. Mettre du noir dessus, est-ce une façon de casser cette esthétique 'C'est pour dire que je ne suis pas d'accord. On se donne une bonne image de nous-mêmes, de la société. Quand il m'arrive de me plaindre de ce qui ne va pas, la réponse c'est toujours : «Normal !» On accepte les choses et on reste à la façade. J'ai reproduit cet aspect du paraître dans la photo avec un souci du détail.Après, c'est un geste de violence, un rejet que j'exprime dans la peinture. Je suis évidemment le contour des photos pour garder la double lecture, mais c'est une façon de les détruire. Détruire pour fabriquer ce que je veux.Votre façon de dire que ce n'est pas «normal !»?Exactement. Mon message, c'est de dire : ce qui est beau pour vous ne l'est pas pour moi. C'est un peu philosophique mais c'est un message clair que je voulais transmettre.Est-ce que votre démarche artistique a été bien reçue 'L'expo est d'abord destinée au grand public, pas à l'élite. L'essentiel, ce sont les gens qui viennent après le vernissage, pas le petit monde artistique. L'?uvre n'est pas complète sans la multiplicité des interprétations. Il y a eu des réactions positives, mais aussi des gens qui ont estimé que j'assombrissais le tableau. Certains ont aussi trouvé que l'imagerie était proche de la publicité. C'est ce détournement des codes qui m'intéresse. Il faut prendre le temps, voir de près, puis de loin, pour lire ces images. Les gens ne sont pas habitués à voir ça dans les photos. Mais seulement dans la peinture.La photo est votre art mais aussi votre profession. Comment en vit-on en Algérie 'Je suis artiste à plein temps. Je tiens à le souligner. Je ne suis pas dans une salle des fêtes le jeudi et le lendemain dans une galerie d'art. Je respecte mon travail et ma formation. Il ne suffit pas d'acheter un Reflex pour devenir photographe. Je fais de la photo d'art et de la peinture. Je m'occupe aussi de projets qui me permettent de nourrir mon art. Si ces projets peuvent m'enrichir aussi sur le plan humain et professionnel, why not ' Mais je reste sélectif.Est-ce que les milieux de la publicité et de la communication sont réceptifs à cette exigence artistique'Pas du tout. Je vais vous dire, la plupart des agences doivent revoir leur manière de travailler. Il suffit d'ouvrir les yeux pour voir l'envahissement du plagiat et des erreurs techniques.L'image via la pub, les affiches, les satellites... est omniprésente. Est-ce que la qualité a suivi cet accroissement quantitatif 'La qualité est médiocre. Je peux le dire sans hésitation. On fait travailler son cousin plutôt qu'un professionnel. Et le résultat est là. Je n'invente rien. Tout le monde peut constater la faiblesse de la qualité. Vous avez des directeurs artistiques qui n'ont jamais mis les pieds dans un musée. On enrobe ça dans de beaux discours, mais le niveau n'y est pas. J'adore mon métier et c'est pour ça que ça me révolte.Malgré les difficultés, des projets artistiques sont quand même possibles, non 'J'adore mon pays et je veux donner de mon mieux. Toutes mes expos, je les fait sans financements de X ou Y. Il y a seulement l'espace qu'on me propose en retour de mes propositions artistiques. Je veux changer les choses à ma manière. Je voyage régulièrement, mais je tiens toujours à mettre en avant mon héritage. Si je reste, c'est pour ma famille, et puis ma source d'inspiration est ici, en Algérie. On a un héritage de malade. Et avec ça, vous avez des agences qui copient des concepts importés. J'ai envie d'apporter quelque chose. Etre Algérien, c'est un plus !
-
Votre commentaire
Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Posté Le : 23/04/2016
Posté par : presse-algerie
Ecrit par : Walid Bouchakour
Source : www.elwatan.com