Algérie

Pour décapiter quelqu'un, donnez-lui deux têtes


En Algérie, c'est une règle : pour décapiter un mouvement àprétention dissidente ou seulement alternative, on ne lui coupe pas la tête : onlui en donne deux. On peut jouer sur une autre expression : si pour faire volerses oiseaux, le cosmos leur a donné deux ailes, pour faire s'écraser unmouvement « politiquement incorrect », il n'y a rien de mieux que de lui donnerdeux ailes lui aussi. En Algérie, la tradition débouche aujourd'hui sur l'abusou même le risible. Presque tous les partis politiques, les associations droitd'hommistes ou les syndicats à forte capacité de contestation ont deux têtes, deuxailes et deux directions opposées. La méthode, même éventée et tombée dans ledomaine public, réussit son coup à chaque scénario et semble être irrésistiblemême pour des gens de grandes capacités intellectuelles, hommes très conscientsdes possibles manipulations et aptes, en principe, à en surmonter la manoeuvre.Il n'en est cependant rien : dans chaque cas de figure, les manipulateursarrivent à trouver un homme qui se réclame trop de sa légitimité historique entant que fondateur, 1er secrétaire, élu à vie ou immortel, et un autre, généralementquelqu'un de très proche du premier, tenté par la succession, des électionsanticipées, un coup d'Etat, un peu plus d'argent et de célébrité. En deux mots,cela se résume à deux mots : dictature trop confiante, traîtrise trop tentante.A la fin, les deux perdent : l'un n'héritant que d'une carcasse et l'autre, lelégitime évincé, n'héritant que de lui-même et du droit d'écrire ses mémoires. «Torpillée », la cible politique retombe dans la conciergerie, perd son audienceet démontrera à ses sympathisants et aux Algériens, qu'elle n'échappe pas à larègle du butin et qu'il ne faut pas en attendre une révolution. Les concepteursdu « torpillage » étant les gagnants à tous les coups. Le pire est, qu'enAlgérie, cette méthode connue ne débouche pas sur une sorte de partage delégitimité entre le sigle X et le sigle X canal historique par exemple, maissur une formule plus décapante : « je suis le nouveau légitime, l'autre est unpiéton bavard qui n'accepte pas la démocratie ». Le dissident portera toujours,aux yeux de l'opinion, un code-barre au flanc indiquant son prix dans certainscercles, là où l'autre portera l'infamie d'être impuissant et naïf au point des'être fait renverser aussi facilement. Question finale : pourquoi cela réussitpresque à tous les coups en Algérie ? Raisons historiques et sociologiquesapparemment : de l'Emir à Messali. A chaque fois qu'il y un Algériencharismatique qui fait un discours sur l'avènement d'un nouveau temps, il y aquelqu'un derrière lui qui attend qu'il finisse pour dire à la foule que c'estde lui qu'on parlait. Ensuite, les Algériens sont un peuple qui peut vousdonner son burnous en plein hiver mais jamais la chaise de ses pouvoirs. Ensuite,parce que les « scénaristes » de ces renversements ont une longue expérience dela psychologie et savent que les mouvements algériens résistent à tout mais pasà la tentation. Ensuite, il n'est pas facile d'avoir une morale quand on ne l'apas fait précéder d'une histoire, la sienne. Enfin, parce qu'à la fin, lesAlgériens ne croient pas à l'alternance mais seulement à la succession.


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