Algérie

Pour connaître son vrai nom, il faut aller à Istanbul



Pour connaître son vrai nom, il faut aller à Istanbul
Selon Me Fatma Zorha Benbraham, «les Algériens avaient bel et bien des noms de famille avant la colonisation.»

Elle précise que «pour connaître son vrai patronyme, il faut enquêter au niveau des archives d’Istanbul, capitale de l’Empire ottoman avant 1922, Etat auquel l’Algérie était rattachée administrativement entre 1516 et 1830.» L’avocat précise que tous «les documents relatifs à la vie civile étaient reproduits en plusieurs exemplaires.» «Chaque acte de mariage ou de propriété, les naissances et les décès étaient enregistrés. Et tout document était envoyé à la Sublime Porte.»

Le docteur Ouerdia Yermèche rappelle qu’«une série de lois a précédé et préparé la loi fondamentale du 23 mars 1882, notamment celles de 1854 et du 26 juillet 1873, qui commandaient le premier recensement et comprenaient une liste non exhaustive de noms.» La loi de 1882, qui n’est que la suite de celle de 1873 sur la propriété individuelle, «imposait l’adjonction d’un patronyme au prénom et surnom par lesquels était antérieurement connu chaque indigène déclaré propriétaire», explique-t-elle.

Le docteur Benramdane considère que «la question de l’état civil en Algérie pose la problématique de la généalogie et de la filiation dans notre pays.» Pour lui, «cette opération est loin d’avoir été une simple collation de noms déjà existants. L’obligation et la généralisation d’un patronyme ont opéré une rupture dans les modes traditionnels de nomination.» «L’état civil était et devait être pour l’autorité coloniale une œuvre de dénationalisation», juge-t-il. Il y avait une volonté de franciser les patronymes indigènes «pour favoriser les mariages mixtes», selon docteur Yermèche. On peut donner les exemples de Labiod pour El Abiod, Larabi pour El Arabi, Lidrici pour El Idrissi, Legoul pour Ghoul.

L’article 15 de la loi du 23 mars 1882 donne «droit aux officiers d’état civil d’attribuer un nom patronymique à toute personne récalcitrante», souligne Dr Yermèche. «Si l’indigène, qui a le droit de choisir un nom, s’abstient, ou s’il persiste à indiquer un nom précédemment choisi par un ou plusieurs individus, son droit devient caduc et passe, non point à un autre membre de la famille, mais au commissaire de l’état civil.»

Avec ce texte, les officiers d’état civil avaient les mains libres pour donner des noms fantaisistes, insultants et humiliants à des personnes qui, pour une simple raison ne leur plaisaient pas. «Cette violence symbolique s’est également caractérisée par l’attribution de noms différents aux membres d’une même descendance, ou encore, comme le signale Mostefa Lacheraf, par une classification par ordre alphabétique qui consistait à nommer les gens du même village par des noms patronymiques commençant tous par la même lettre alphabétique : A, B, C, D… D’autres familles, qui se sont vu affublées de noms différents ou orthographiés différemment ont contribué à falsifier et déstructurer le système anthroponymique traditionnel, par l’attribution pure et simple de noms français», note docteur Benramdane. Cette opération de francisation a encouragé la disparition du «morphème discontinu berbère masculin». Par exemple, Imrabtene devient Merabtène ou Merabt ou M’rabet.

Le docteur Benramdane explique que l’état civil, «instauré par une administration étrangère et transcrit dans une langue étrangère, est le produit d’une manipulation du système anthroponymique traditionnel à un double niveau. Au niveau symbolique d’abord, par l’imposition d’un système de nomination calqué sur le modèle français, qui faisait fi des paradigmes fondateurs de l’anthroponymie autochtone, ainsi que par l’attribution arbitraire de nouvelles formes anthroponymiques souvent injurieuses et dégradantes pour leur porteur.»
En conclusion, les spécialistes préconisent «un travail de réappropriation du système anthroponymique par l’officialisation de la transcription en arabe des patronymes».



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