Algérie

Portraits de manifestants



- Amel, 23 ans, employée dans une entreprise d’audit
Dans son jean et ses baskets, la jeune fille qui se tient un peu en retrait se décrit comme une «convaincue». Pourquoi est-elle là ' La question la fait sourire. «Parce qu’on en a marre de l’injustice, des citoyens qui se brûlent, des familles qui doivent vivre avec un salaire de 6000 DA», répond-elle simplement. Issue d’une famille «politisée», la jeune fille est accompagnée de son père, «militant».
«Mais moi, je ne suis militante d’aucun parti. Je ne suis qu’une Algérienne comme une autre, solidaire de tous ceux qui demandent pacifiquement la démocratie et la liberté.» «J’appréhende que les choses tournent mal, mais je suis tout de même là. Si nous avons tous peur de nous battre, alors rien ne va jamais changer.»
Même si elle juge que l’organisation laisse quelque peu à désirer, pour elle le plus important est «que c’est la voix du peuple qui s’exprime, elle qui n’arrive pas à se faire entendre. Alors, la moindre occasion est bonne». Un scénario à la tunisienne ou à l’égyptienne est-il envisageable en Algérie' «Inévitable. Un jour ou l’autre, les choses sont appelées à basculer. Les Algériens sont bel et bien capables de se battre, et encore plus que les autres.»

- Houria, 50 ans, enseignante
«Quelle belle journée !» Sous son foulard rose, l’enseignante d’Alger est souriante. «Simple citoyenne indépendante», tient-elle à préciser. Elle est là «pour demander un changement du système».
D’autant plus que cette mère de trois enfants sait de quoi elle parle : «Est-ce que vous trouvez acceptable qu’un ministre, de l’Education par exemple, reste aux commandes du même secteur des années durant et ce, en dépit des échecs cuisants enregistrés '», s’enflamme-t-elle. C’est d’ailleurs pour ses enfants, pour tous les enfants de l’Algérie qu’elle veut se battre : «Je veux qu’ils vivent libres. Jusqu’à quand allons-nous supporter l’injustice et la mauvaise gestion du pays '» Pour l’enseignante, il est impératif que le peuple se batte pour mettre fin à ce ras-le-bol. Et pour ce faire, toutes les initiatives sont louables, bénéfiques. «C’est un bon début. Et ce sera peut-être l’étincelle du changement», espère-t-elle.

- Mahmoud, 70 ans, cadre supérieur à la retraite
«Nous avons pris les armes et avons lutté pour l’indépendance du pays. Aujourd’hui, nous sommes là, entre Algériens, afin de demander un changement.»
Debout au milieu de la foule, le septuagénaire est en pleine discussion animée avec d’autres manifestants. Pour lui, les choses sont simples : si le peuple escompte faire changer les choses, il se doit de dépasser les clivages et ne pas se laisser diviser.
«Je suis un militant de toutes les initiatives qui ont pour but d’aboutir au développement de la société civile», affirme-t-il avec un sourire. D’ailleurs, il considère que le changement est inévitable : «Il y a un nouveau courant, une ‘nahda’ qui traverse les pays dont les régimes sont totalitaires. Les Algériens, qui ont toujours été à la pointe en matière de lutte, ne peuvent pas s’arrêter là.»
D’autant plus que l’arme la plus redoutable qui «desservira le pouvoir est, justement, le fait qu’il traite tout le monde avec mépris», juge le septuagénaire, en hochant la tête en direction des brigades antiémeute. Peur des dérapages '
Dans un rire sonore, il répond : «Non, pas peur du tout. Nous avons combattu les forces coloniales sans avoir peur. Alors…»    
- Ahcène, 78 ans, retraité d’une entreprise publique
Il a été l’un des premiers jeunes Algériens à manifester contre les chars de de Gaulle, «au même endroit qu’aujourd’hui, à quelques rues d’ici». Fier, l’homme emmitouflé dans son écharpe à carreau l’est. «Regardez tous ces jeunes gens… ce sont eux qui représentent l’avenir et le changement», dit-il en couvant la foule du regard. D’où la nécessité de se battre «car on a tenté, pendant des années, de dévoyer le peuple par la corruption, dans tous les sens du terme», commente-t-il. Le peuple algérien est, selon lui, assoiffé de liberté et de justice. Comme de nombreux autres manifestants, le «vétéran» espérait une plus large adhésion populaire à cette marche. Toutefois, tempère-t-il, «c’est un point de départ, l’étincelle. Car le changement est inévitable». «Et l’effet domino insufflera la motivation nécessaire», prédit-il.
 


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