Portraits

«Le corps est le temple de l'esprit» Anonyme
La première difficulté, et non des moindres, qui se dressait sur le chemin de l'écrivain en herbe, après avoir déterminé avec justesse l'âge des cinq protagonistes qui constitueraient sa cellule familiale type, était les physiques qu'il devait coller à chaque personnage. A ce moment-là, le chroniqueur commençait à se rendre compte du talent, du savoir et de l'ingéniosité des écrivains qui, avec quelques mots bien choisis, rendaient inoubliable le portrait de leur héros. Comme on lui avait conseillé de faire de ses principaux acteurs, des personnes positives, il se voyait interdire les chemins de la fantaisie. Le père de famille, car c'est par lui qu'il devait commencer, machisme oblige et parce que dans notre société idéale, tout s'articule autour du père, ne devait pas présenter des signes particuliers ou des détails physiques qui le diminueraient auprès du public ou du lecteur. On sait bien que le cinéma américain a réussi à faire des handicapés physiques (L'homme de fer) ou de ventripotents inspecteurs de police (Cannon), des personnalités attachantes qui ont connu le succès auprès des ménagères de plus de cinquante ans. Donc, il devait aussi bien éliminer les personnages de jeunes premiers à la Cary Grant ou à la George Clooney, ou des hommes au corps d'haltérophiles avec des muscles qui dessinent des vêtement trop serrés ou des rigolos avec des moustaches en accent circonflexe, qu'il devait éviter les infirmités, pieds bots ou autre disgrâce de la nature qui attirerait pitié, étonnement, dérision ou répulsion. Il se devait de camper un personnage «normal», de taille moyenne, avec des épaules d'homme robuste qui a goûté aux joies du travail manuel avant de connaître les douceurs du bureau climatisé. Il devait avoir les yeux noirs et les cheveux noirs, comme ceux de la grande majorité de ses compatriotes, des yeux qui exprimeraient, aussi bien la douceur, que la fermeté. Tiens! Il verrait bien un type qui ressemblerait plutôt à Gregory Peck (il en a décidé ainsi depuis qu'il a vu le film Jody et le faon, que cet homme campait le père idéal). Le seul signe particulier qu'il concèderait à donner du père, serait une mèche de cheveu de rebelle qui cacherait partiellement une cicatrice sur un front souvent plissé. Il était même tenté d'affubler, pour plus de réalisme, le gars d'un profil très courant sous nos latitudes: un profil en lame de couteau qui exprimerait la solidité du caractère de celui qui doit résister à toutes les avanies qu'on peut rencontrer sur cette terre bénie, avec un nez aquilin comme l'arborent fièrement beaucoup de nos montagnards et des yeux scrutateurs qui brillent d'intelligence, car les yeux, comme dit le poète, sont les reflets de l'âme. Enfin, le père doit être dans la foule comme un poisson dans l'eau. Mais, cela dit, rien ne l'empêcherait de partir à la recherche du physique type dans cette immense galerie de portraits qu'est Facebook.
Pour la mère, c'est une autre histoire. L'épouse, c'est la vitrine de la cellule familiale. Elle doit être la discrétion personnifiée: elle ne doit pas être de celles qui attirent les commentaires sur son passage. Seul un regard expérimenté peut en déceler les charmes cachés dans une banalité apparente. Donc il lui faudra éviter les silhouettes corpulentes des femmes à la démarche exagérément chaloupée comme celles des mégères qui peuplent les séries égyptiennes, ces séries qui ont participé à leur manière à «l'orientalisation» de notre société. Il voyait la démarche de la compagne de son héros comme celle d'une perdrix: souple, pressée, donnant l'impression de vouloir être ailleurs le plus vite possible. Des cheveux qui tombent en cascade sur de frêles épaules et un visage d'un ovale pur sans pommettes saillantes. Enfin la compagne idéale pour un homme tranquille.