Le cœur endurci de la misère coloniale forgea dans son âme le doute et l’interrogation. L’incertitude enfantera son dire clairvoyant. Un discours sans équivoque qui porte le besoin de liberté, un regard lumineux qui refuse l’oppression, une démarche pesée qui rejette l’injustice. Cette lucidité précoce épaulera toute son œuvre littéraire, une fine détection des sources de l’oppression et des ressorts de l’exploitation. Son œuvre nous illumine de ses éclats intérieurs de conteur blessé dans nos rêves populaires inassouvis. Né quelques mois après la seconde guerre mondiale, Rachid Mimouni, a grandi durant cette décennie cruciale qui a vu les algériens forcer le destin et accélérer l’histoire.
Une enfance dans la précarité
Entre les massacres de l’armée française à Kherrata et à Sétif au printemps de 1945, et le déclenchement de la guerre de libération le 1er Novembre 1954, les populations algériennes connurent dix années décisives : vivre indépendantes dans la dignité reconquise ou sombrer définitivement dans l’esclavage colonial. C’est dans ce climat de misère sociale et de mutations politiques précipitées que Rachid Mimouni a connu l’école coloniale. Son œuvre littéraire est un décryptage du désenchantement des Algériens, une lecture lucide des racines qui aujourd’hui éclaire les trames du phénomène de la Harga et de la fuite des cerveaux.
Né à Boudouaou (ex Alma) le 20 novembre 1945, d’une famille paysanne pauvre, Rachid Mimouni connut une enfance maladive. Il mena une lutte sans faiblesse contre la mauvaise santé dans la précarité sociale ambiante pour arracher sa place au soleil à partir des bancs de l’école coloniale. Il réussira ses études avec brio et accédera à l’université. Licencié en sciences commerciales en 1968, il ira parfaire ses qualifications à l’Ecole des Hautes Etudes commerciales de Montréal (Canada). Son enfance difficile sera le thème de son œuvre littéraire se nourrissant du contexte de la guerre d’indépendance. Comme tous les enfants de sa génération, il découvrira tôt la magie des récits autour du feu et puisera son génie littéraire dans l’universalité des contes de sa mère. Son style tissera des va et vient dans les constructions narratives de l’imaginaire populaire. Comme Mouloud Feraoun, il construira ses premiers personnages sur sa vie d’enfant pauvre, partant à la conquête du monde moderne par la réussite scolaire qu’il enrichira de l’engagement pour la liberté en général, et l’indépendance algérienne idéalisée en particulier. Il découvrira tôt sa vocation littéraire, d’abord dans l’oralité dans les groupes d’enfants des cités de Boudouaou, puis il passera à l’écrit poursuivant cette veine créative et récréative jusqu’à sa mort durant l’hiver de l’année 1995.
Une vie militante
Enseignant à l’Ecole Supérieure de Commerce d’Alger, puis à l’Institut National de la Productivité et du Développement Industriel (INPED) de Boumerdes, il sera le militant impénitent des droits humains, vice-président d’Amnesty International, président de la Fondation Kateb Yacine et membre du Conseil national de la culture. Son combat, il le mènera en intellectuel clairvoyant par la littérature engagée contre la persistance de l’ordre tribal qui se recyclait dans la pensée unique hérité du système colonial et se déclinait dans la fausse modernité du modèle français jacobin. D’un style cru, réaliste sans emphase, qui ne file pas la rhétorique, Rachid Mimouni dénoncera sans nuances la dictature de la bureaucratie génitrice de l’intégrisme islamiste. Menacé de mort au début des années 90 après la parution en France de ses ouvrages La malédiction et De la barbarie en général et de l’intégrisme en particulier », il fuit vers la France en décembre 1993, avant de s’installer avec sa famille au Maroc où il animera pendant deux ans sur une radio maghrébine des émissions hebdomadaires consacrées à l’actualité politique, une chronique événementielle qui fera l’objet d’un recueil posthume sous le titre « Chroniques de Tanger ».
Relire Mimouni pour voir clair
Son premier roman « Le printemps n’en sera que plus beau » est une histoire située à la veille du déclenchement de la guerre d’indépendance. Il y mêle l’amour à la guerre, mettant en scène deux jeunes algériens, Djamila et Hamid broyés par la machine infernale de la colonisation, qui dans leur résilience quotidienne donnent leur vie et sacrifient leur amour pour la patrie. Dans toute son œuvre, la jeunesse est prise dans l’étau de l’oppression. Une survie dans un quotidien mortifère prisonnier de dogmes révolus qui se nourrissent d’un discours religieux anachronique. Son écriture simple décrit la réalité difficile des couches populaires, leurs espoirs déçus, leur désenchantement et leur vécu médiocre. Ses romans sont traversés par la dénonciation perpétuelle des formes de l’oppression les plus insidieuses, les intimidations de la bureaucratie policière, le mépris pérenne de l’administration, les harcèlements de l’intelligence créative et les provocations qui poussent à la révolte, ou au désespoir impuissant qui enclenche la pensée intégriste. Il dépeint l’involution des idées, la régression des espérances, un tableau d’un pays à l’agonie, et une jeunesse assommée de doctrines antiques renouvelées par le discours théocratique journalier. Son style d’écriture, le plus souvent réaliste, comporte aussi un fond surréaliste, des fictions qu’il puise dans la cosmogonie populaire. De la structure du conte amazighe, il tire ses formes modernes d’écriture en va et vient, convoquant souvent le passé dans le quotidien de ses personnages. Ses écrits, nés du besoin d’exorciser les démons de la soumission populaire, remplissent les trois objectifs du conte, le rôle ludique, la démarche didactique et la fonction cathartique extériorisant des traumatismes collectifs héritées de la guerre.
L’empreinte de Kateb Yacine
Dans certains romans, comme Tombésa, on retrouve la densité et la concision de Mohamed Dib, voire la fulgurance de Rachid Boudjedra dans la Répudiation. Parfois, la narration simple convoque l’émotion comme chez Mouloud Feraoun, mais c’est l’empreinte de Kateb Yacine qui est la plus perceptible chez Mimouni qui construit en phrases courtes et recourt parfois aux spirales et au récit circulaire du père de Nedjma. Quatre moments marquent son œuvre, durant la guerre d’indépendance, au printemps de la délivrance et l’après-guerre scindé en deux périodes, le temps du désenchantement et le temps de la rupture et de la floraison de contre-pouvoirs souvent sans emprise sur le réel. « Une paix à vivre », écrit avant 1970 mais paru seulement en 1983, évoque, d’une manière épique, l’Algérie euphorique des lendemains de l’indépendance. Dans Le Fleuve détourné et Tombéza, les deux romans suivants, écrits durant la décennie 80 mais publiés en 1990 en France, on ne reconnait plus l’écriture conciliante didactique et pleine d’espoir, il y a décidément une rupture consciente: l’écrit y est virulent, et va au bout de l’insensé ; le détail est fin et la satire y est violente. C’est un élan fulgurant de dénonciation des nouveaux maîtres du pays qui confisquent les sacrifices populaires pour l’indépendance à leur profit. Tombéza va loin dans la dénonciation de l’ignominie. Son regard est sévère sur cette société prétendument nouvelle et libérée, où les valeurs motrices de la lutte anticoloniale sont édulcorées et remplacées par le mensonge, la démagogie, la corruption, sur fond de misère sociale entretenue et de disqualification politique des élites. Rachid Mimouni connut la consécration avec « L’honneur de la tribu », paru en France en 1989, qui lui valut trois prix à l’international.
Le maillon de la fécondité
Ses romans ne laissent jamais indifférent. Une écriture entière, compréhensible, sans artifices. Une fois entamé, le roman demande à être lu jusqu’au bout. Les va-et-vient récurrents entre des situations présentes et des épisodes émergeant du passé, parfois fantasmé, entretiennent avec l’espoir d’une issue proche. Il nous laisse souvent sur notre fin. Ses ouvrages sont autant de grains dans un chapelet qui contorsionne comme une vipère dans le quotidien du peuple sous la férule de la précarité. Son œuvre a suscité l’espoir de la continuité dans le courant conscient de la littérature nord-africaine d’expression française, Mimouni, reprenant le flambeau des Mammeri, Djebbar, Dib , Feraoun , Boudjedra et autres Taos Amrouche. Il constitue aujourd’hui le maillon historique de la transmission avec la nouvelle génération des Djaout, Maysa Bey, Sansal, Zaoui et autres Haider. Sa littérature engagée contre la sottise a souvent braqué des lecteurs au nationalisme sectaire à fleur de peau, hérissant les poils et les plumes des intellectuels organiques et des ‘’soutiens critiques’’ autoproclamés gardiens tutélaires de la Patrie au lendemain de l’indépendance. La montée de l’intégrisme islamiste qu’il explique comme une résultante de la déviation et du détournement des lointains idéaux et des luttes populaires ininterrompues pour l’indépendance, l’a profondément interpelé. Il dénonce ouvertement l’assassinat des intellectuels, la répression des forces vives et le massacre de l’intelligentsia algérienne. La mort de Tahar Djaout, son ami d’enfance, l’anéantit. Il lui dédia son roman La Malédiction en des mots douloureux : « À la mémoire de mon ami, l’écrivain Tahar Djaout, assassiné par un marchand de bonbons sur l’ordre d’un ancien tôlier ».
Rachid Mimouni meurt le 12 février 1995 à Paris d’une hépatite. Il n’avait que quarante-neuf ans.
En 1996, l’écrivain des « Chevaux du Soleil », Jules Roy, dénonce la profanation de la sépulture de Rachid Mimouni et le déterrement de sa dépouille. Il écrira : « Le lendemain de son inhumation, m’a dit Rachid Boudjedra, ils l’ont déterré dans la nuit et découpé en morceaux. »
Ouvrages de Rachid Mimouni
L’Honneur de la tribu : roman. Paris : R. Laffont, 1989.
La Ceinture de l’ogresse : nouvelles. Paris : Seghers, 1990.
Le fleuve détourné : roman. Paris : R. Laffont, 1990.
Tombéza : roman. Paris : R. Laffont, 1990. 270 p
Une peine à vivre : roman. Paris : Stock, 1991.
De la barbarie en général et de l’intégrisme en particulier. Paris : 1992.
La malédiction : roman. Paris : Stock, 1993. 285 p.
Le printemps n’en sera que plus beau. Paris : Stock, 1995.
Chroniques de Tanger : janvier 1994-janvier 1995. Paris : Pocket, 1998.
Une paix à vivre : roman. Paris : Stock, 1995.
Prix littéraires de Rachid Mimouni
Prix de l’Amitié franco-arabe pour L’Honneur de la tribu- 1990
Prix de la critique littéraire : Ruban de la francophonie pour L’Honneur de la tribu- 1990
Prix de littérature-cinéma du festival du film à Cannes pour L’Honneur de la tribu- 1990
Prix de la nouvelle de l’Académie Française pour La Ceinture de l’ogresse- 1991
Prix Hassan II des Quatre Jurys pour l’ensemble de l’œuvre -1992
Prix Albert-Camus pour Une peine à vivre et De la barbarie en général et de l’intégrisme en particulier – 1993
Prix du Levant pour La Malédiction- 1993
Prix Liberté littéraire pour La Malédiction- 1994
Prix spécial Grand Atlas pour l’ensemble de son œuvre.-1995
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Posté Le : 30/12/2018
Posté par : litteraturealgerie
Ecrit par : Par Rachid Oulebsir
Source : ALGÉRIEMONDEINFO