Tizi-Ouzou - Nadir Dendoune

[PORTRAIT] Nadir Dendoune : "De Saint-Denis à Sydney"



[PORTRAIT] Nadir Dendoune :

Nadir Dendoune (DR)


Après un tour du monde à vélo et l’ascension de l’Everest en amateur, le "vilain petit canard" du 9-3 a fait ses preuves. Il publie son troisième livre, "Un tocard sur le toit du monde". Retour sur ses années de galère.

Nous retrouvons Nadir Dendoune dans la librairie spécialement aménagée pour le Maghreb des livres. T-shirt noir, mal rasé, le rejeton de l’Ile-Saint-Denis reste égal à lui-même au milieu des dorures de la mairie de Paris. Son père, une canne à la main, est assis à côté de lui. Un peu plus loin, nous croisons sa mère. "C’était marrant parce que mes parents ne savent ni lire, ni écrire. Que leur fils écrive un livre en français, c’est plutôt pas mal" s'amuse-t-il. Après quelques poignées de mains et des tappes dans le dos, il nous raconte son parcours.

Nadir Dendoune naît de parents algériens en 1972. Il grandit à la cité Maurice Thorez à l'Ile Saint-Denis. "La ville où sont enterrés les rois de France", précise-t-il, comme pour se justifier. Ni premier, ni dernier de la classe, il suit une scolarité normale dans une école de quartier, entre fils de médecins et fils de prolos. Les problèmes commencent à son arrivée au collège.


"La France est comme une mobylette, elle a besoin de mélanges pour avancer"

Les familles bourgeoises jouent avec la carte scolaire et envoient leurs progéniture dans des "super bahuts". Issus d'une famille modeste et analphabète, Nadir se retrouve mêlé aux enfants des "classes dangereuses. Un vrai ghetto social". En sixième, alors qu'il n'a rien fait pendant les deux mois de vacances d'été, il est premier de la classe. Il réalise que tous les meilleurs élèves sont partis.

"Tout ce qui me poussait vers le haut a disparu. Quand je suis arrivé au collège, je me suis retrouvé face à de vrais cas sociaux ! Il y avait des mecs qui avaient déjà redoublé trois ou quatre fois. Moi, je devais avoir 11 ans et eux, ils en avaient déjà 15. Ça crée un gros décalage".

Parce qu'il comprend un peu plus vite que les autres, Nadir parvient à faire illusion en sixième. "Mais dès la rentrée en cinquième, j’ai senti que c’était mort. C’est là que j’ai commencé à lâcher prise". Pour suivre le mouvement, il commence à déraper. Les bagarres et les vols s'enchaînent, les gardes à vue aussi. "J’aurais pu en faire plus mais ça va, tu ne te fais pas toujours attraper, heureusement" reconnaît Nadir, un grand sourire aux lèvres.


"Derrière les barreaux"

Lorsqu'il a 18 ans, un événement chamboule sa vie. Un de ses camarades de classe se fait voler son scooter par les jeunes de la cité voisine. Une expédition punitive est organisée. 100 contre 100, armés de battes de baseball. "Franchement, je ne voulais pas trop y aller", avoue Nadir, "mais si tu dis non, tu passes pour un petit bouffon. Alors j’y suis allé". L'ado de la cité Maurice Thorez se souvient du lynchage d'un jeune par 30 "mecs" de son lycée. "Stop, putain, ça va pas, arrêtez !", hurle Nadir. 22 ans après, il le reconnaît, il lui a sauvé la vie.

Ironie du sort, il se fait balancer au moment de l'enquête de police. Il en prend pour deux semaines à Fleury Merogis. "Je suis le seul à avoir fini derrière les barreaux. Ça m'a bien foutu les boules", avoue Nadir.

Retour à la cité Maurice Thorez, il broie du noir. "Je suis reubeu. On m’a pris pour une victime toute ma vie. J’ai pas mon bac. Je me fais arrêter par les keufs. J’ai une sale image de moi-même, une image de mec sale". Le vilain petit canard du 93 n'a pas envie de se battre. Et pour quoi voudrait-il se battre ? Pour ressembler à son père, qui a bossé comme un chien pour 500 euros de retraite par mois ? Ou aux diplômés qui ne trouvent pas de boulot parce qu’ils vivent du mauvais côté du périph ? Pour lui, une chose est sûre : les jeunes ont besoin de modèles pour avancer et c'est ce qui leur manque à Saint-Denis.


"Pas le même regard"

Dans la cité, il y a Salah, bac+5. "Il y a 25 ans, être bac+5, c’est comme si tu étais bac+48 maintenant", précise Nadir. Pour 1000 euros par mois, Salah s'occupe des mômes qui n’intéressent personne à l’époque. "Il m'a donné mon premier bouquin, se souvient Nadir, ému. Comme j’aimais bien ce mec là, je me suis fait violence et j’ai fini le livre".

Salah emmène les jeunes de la cité au musée et au théâtre. Pour la plupart d'entre eux, c'est la première fois. "Les gens qui ne vivent pas dans la cité pensent que c’est facile d’en sortir. On me dit souvent qu'on a qu’à prendre le métro pour aller à Paris. Mais quand tu es né à Saint-Denis, tu ne te sens bien que dans ta cité. Comment tu peux faire comprendre à des beaufs que si on se ballade à 30 ou 40, c’est parce qu’on a peur de passer de l’autre côté du périph’ ?"

Pour la première fois, Nadir et les autres sentent les regards posés sur eux. Les gens qu'ils croisent leur font comprendre qu'ils ne sont pas à leur place dans ce pays. "Le pire, c’est que ça n’est pas du racisme, c’est du paternalisme. C’est encore pire. Je préfère qu’on me dise : 't’es un sal bougnoul, dégage' à ce que les gens me regardent l'air de dire : 'ah, mon pauvre loulou, ça va être très dur pour toi'".


"L’Australie, ça serait ouf"

1992. Un soir, Nadir regarde "Ushuaïa", l’émission de Nicolas Hulot. Le sujet, c'est l'Australie. Paradoxe : alors qu'il déteste TF1, l'émission sera à l'origine de son départ. Dans le hall d'immeuble, il retrouve Yannick qui vient de boucler un Paris-Barcelone à vélo avec une association. Les deux jeunes se prennent à rêver. "Putain, l’Australie ! ça serait ouf", lance Yannick. Salah encourage les deux énergumènes à partir. "Le fait que ça lui ait plu et qu’il ait dit oui tout de suite, ça nous a poussé à le faire" explique Nadir.

Après une couscous party et l'obtention d'une bourse, ils sont prêts à "se barrer". Ils prennent un billet Paris-Caims et rejoignent Sydney à vélo. 3 mois et 3000 km qui changent tout. Nadir sourit : "Je suis passé de Saint-Denis à Sydney". Considéré pendant 20 ans comme un immigré et un loser, Nadir devient le beau gosse mais surtout le Français : "J'ai compris qu’on m’avait fait croire pendant 20 ans que j’étais un arabe. A l'étranger, je me suis rendu compte de ma francitude".

En 1994, Nadir s'installe en Australie. Il y reste 7 ans, mais tout y est trop facile. La bougeotte le reprend. Tout juste rentré en France, il décide de s'investir contre le sida, une maladie qui a emporté plusieurs de ses proches. En partenariat avec la croix rouge australienne, il s'engage dans un tour du monde à vélo. Arrivée en Allemagne le 21 avril 2002 et nouvelle déconvenue : "J'apprends que Jean-Marie Le Pen est au deuxième tour de la présidentielle. Super beau comité d'accueil. Classe", se souvient le franco-australien. Ni une, ni deux, Nadir rentre au bercail pour pouvoir voter au second tour. La France évite le pire de justesse.

En 2003, il part à Bagdad pour devenir bouclier humain. C’est là qu'il commence à écrire pour extérioriser sa peur. Une femme rencontrée sur le bord de la route l'encourage dans cette voie. En 2005, il publie son premier bouquin, "Journal de guerre d’un pacifiste".


"Le talent, c'est toujours à la mode"

Pour faire plaisir à une fille avec laquelle il vient de rompre, Nadir se présente au CFJ, le centre de formation des journalistes. Section profil atypique. Au programme, un CV bidonné et une pige sur l'engagement citoyen. L'apprenti écrivain se sert de son passage à Bagdad. Un beau titre et un chapô plus tard, le voilà devant le jury de l'école. Quand on lui demande ce qu'il pense de la presse en France, Nadir n'y va pas de main morte : "C'est de la grosse merde. J'ai l'impression que les journalistes ne franchissent jamais le périph". Alors qu'il s'apprête à reprendre la route, il apprend qu'il est admis. "Là, je ne me suis dit que c'était naze et que j'avais pas envie de faire deux ans ici, s'amuse Nadir. Avec le recul, je me dis que j'y ai passé les deux plus belles années de ma vie".

En 2008, Nadir se lance un nouveau défit : gravir le plus haut sommet du monde. Une histoire de rencontre. Alors qu'il fait le tour du monde à vélo, il rencontre une journaliste népalaise. Quelques mois plus tard, elle lui demande de trouver un hôtel pour un de ses amis de passage à Paris. Nadir l'héberge. Il apprend que cet ami népalais est chef d'expédition. Son quotidien ? Emmener les touristes en haut de l'Everest. "C’est lui qui m’a mis dans la tête l’idée que j’avais les capacités nécessaires pour réussir à gravir cette montagne. J’aurais jamais cru, regarde comme je suis une crevette !", s'exclame Nadir en soulevant ses manches pour nous montrer ses bras.

Encore une fois, le "tocard" pipote son CV. Il assure que le Mont Blanc et le Kili (NDLR: Kilimandjaro), c'est dans la poche. En 2008, il se lance. "J’ai vécu les deux mois les plus horribles de ma vie. C’est une souffrance physique et mentale parce que tu sais que tu peux perdre tes doigts, avoir une crise cardiaque, faire un œdème…". Au bout de quelques jours, l'équipe se rend compte que le petit "Frenchy" a menti. Plus personne ne lui adresse la parole. Mais pas après pas, jour après jour, semaine après semaine, il parvient à gravir la montagne.

"Le but de partir escalader l’Everest, c’était de foutre le bordel. Le foot et le rap, ça va cinq minutes. Je voulais aller là où les gens ne m’attendent pas. Et puis l’Everest, c’est quand même symbolique ! Tu ne peux pas aller plus haut. Quand tu es sorti de la cave, atteindre le sommet, c’est quand même la classe, non ?"

Quand on lui demande s'il se considère comme un modèle pour les jeunes de banlieue, Nadir hésite : "Dans mon deuxième bouquin (NDLR : Lettre ouverte à un fils d’immigré), je dis que je ne suis pas un modèle mais une exception. Aujourd’hui, avec le recul, je pense que je suis les deux. Je suis l’arabe qui cache la forêt".




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