Algérie - Georges Marçais


Portrait de Georges Marçais
(...) Ce qu'est Georges Marçais, membre de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, professeur d'archéologie musulmane, directeur de l'Institut d'Etudes orientales d'Alger, directeur du Musée des antiquités algériennes et d'art musulman (pour n'énumérer que ses titres principaux) , nul ne l'ignore, en Algérie et ailleurs, parmi ce public assez vaste d'honnêtes gens qui, selon la définition du bonhomme Chrysale, possèdent « des clartés de tout ». Ceux d'entre eux qui se sont arrêtés, charmés, sur un dessin : portrait, croquis, paysage, étude d'un ensemble ornemental illustrant certaines pages de ses livres savent, aussi, que l'art de l'Islam fut étudié par un artiste à l'oeil aussi sensible que son crayon sait être précis.
En écoutant le peintre-écrivain répondre à nos questions avec une aimable simplicité, pénétrant plus avant, nous avons compris de quelle manière le premier révéla le second à lui-même puis, passant en quelque sorte dans le filigrane, sans jamais disparaître, s'effaça, tandis que s'affirmait son double.

A Rennes, ma ville natale, nous dit-il, puis à Paris, j'étais élève des Beaux-Arts, Benjamin Constant enseignant qu'il fallait savoir dessiner avant de vouloir peindre (c'était la technique d'alors). L'atelier de Jean-Paul Laurens, peintre du Rouergue et de ses grands boeufs... comme c'est loin, tout cela ! »
« Quand mon frère, William Marçais, fut nommé directeur de la médersa de Tlemcen, il m'écrivit avoir trouvé « là-bas » de quoi tenter ma palette. Je fis donc le voyage, muni de tout mon attirail et le choc illuminateur se produisit. De Tlemcen, je n'aimais pas seulement la couleur et les grands paysages classiques, mais aussi les vénérables et splendides monuments témoins de ses fastes anciens. Ainsi naquit mon désir d'initiation à l'art musulman, qui ne peut se comprendre qu'en remontant à ses sources, et je me mis à préparer une licence d'histoire en même temps qu'à apprendre l'arabe. »
C'était donc bien, chez Georges Marçais, une vocation qui prenait forme sous le double signe de l'art et de la culture. Désormais, l'artiste ne travaillant plus qu'en amateur, au sens littéral d'un mot dans lequel amour sous-entend joies personnelles et secrètes, allait réserver à l'érudit toutes les richesses de sa sensibilité.
Il n'est besoin que de suivre la longue carrière du maître pour retrouver, harmonieusement confondues, les eaux différentes de ces deux sources. C'est en 1903 que nous trouvons le premier ouvrage portant sa signature - sans aucun titre universitaire - sous celle de William Marçais, les deux frères ayant écrit, en collaboration, une histoire des « Monuments arabes de Tlemcen ».

Devenu professeur de médersa, à Constantine, il y prépare une thèse d'histoire « Les Arabes en Berbérie, du XIe au XIVe siècle », qu'il soutient brillamment en Sorbonne, en 1914, et qui lui vaut, avec le titre de docteur ès lettres, le prix Saintour. Puis, de Constantine à Tlemcen, où il revient l'année de sa thèse, de Tlemcen à la Faculté des Lettres d'Alger qui, grâce à lui, s'enrichit d'une chaire d'archéologie musulmane, il poursuit ses travaux de recherches dont les résultats, depuis plus de 40 ans, s'inscrivent aux pages d'innombrables revues et encyclopédies, éditées à l'étranger aussi bien qu'en France.

D'importants ouvrages, comme le « Manuel d'art musulman » - deux volumes dont on peut dire que le millier de pages représentait, en 1927, quand ils parurent, la somme des connaissances acquises en la matière - ; une « Histoire de l'Algérie », écrite en collaboration avec S. Gsell et G. Yver ; celle du « Monde oriental de 395 à 1081 », en collaboration avec Ch. Diehl, suivie de « L'Afrique du Nord française dans l'histoire », en collaboration avec E. Albertine et G. Yver ; « L'art de l'Islam », publié en 1946 dans la collection « Arts, styles et techniques » ; « Tlemcen », dans celle des « Villes d'art célèbres », sorti des presses en 1950 (et nous sommes loin de tout citer) n'empêchent pas plus leur auteur de participer aux travaux de maints congrès que de diriger des fouilles archéologiques.
Simultanément, et comme pour se délasser, le savant, qui n'a pas oublié ses chers crayons, dessine avec une amoureuse minutie les dentelles de plafonds hispano-mauresques ou bien saisit au vol l'expression d'un visage encapuchonné sous l'ample burnous.
D'autres fois, lorsque le soleil chauffe la patine des vieux remparts ou que le printemps s'épand en verts tendres, le noir sur blanc ne suffisant plus à traduire la fête des yeux, il fait appel à la délicatesse de l'aquarelle. Ainsi, Georges Marçais devenant son propre illustrateur, pour notre enchantement, ajoute au texte de haute érudition le commentaire attrayant qui le fait vivre.

Appoint certes précieux, mais non indispensable, toutefois, au profane attiré par l'art de l'Islam, car les livres de notre écrivain, dessinés, eux aussi, avant que s'ordonnent leurs matériaux, conduisent leur lecteur comme le ferait un guide qui serait à la fois un poète et un savant.
S'agit-il de rattacher entre elles, tout en les distinguant, les grandes époques de l'art oriental, il ecrira :
« Que l'art musulman présente des caractères qui le distinguent des autres arts, c'est là un fait qu'une observation, même superficielle, suffit à établir. Toutefois, il en va de ces caractères communs comme de ressemblances qui constituent l'air de famille, dont l'évidence éclate aux yeux des étrangers, mais dont les parents eux-mêmes ne s'avisent pas toujours, et qui s'évanouissent à l'analyse. » (1)

Ailleurs, nous rencontrerons des formules lapidaires comme celles-ci :
« L'anatomie des mosquées s'explique par le culte. »
« Un art, comme une langue, est une chose vivante dont le changement est la loi. »


Pour parler de Tlemcen, terre de sa découverte, sa tendresse trouve des phrases caressantes d'amoureux :
« L'eau, abondante et limpide, entretient la fécondité dans la campagne tlemcénienne depuis près de deux millénaires. C'est à elle, c'est aux vergers dont elle crée la vie que la cité doit son nom antique de Pomaria, juteux et parfumé comme un beau fruit. »

Et comment résister au plaisir de citer encore l'une des jolies traductions qui terminent ce livre écrit à la gloire d'une capitale qui, dans l'éclat de son faste, fut belle « comme une fiancée sur son lit nuptial ? » :
« L'amour est dans nos maisons ; nous avons grandi avec lui ;
« L'amour est dans nos puits, tant et tant qu'il rend notre eau douce ;
« L'amour est dans la vigne, et lui fait pousser des branches ;
« L'amour, son pouvoir nul ne le nie, fût-il Emir ou bien Sultan. »

Tout récemment, quelqu'un qui demandait à Georges Marçais quel était, parmi ses ouvrages, celui qui lui était le plus cher, s'attira cette réponse teintée de malice : « Mais c'est toujours celui que je suis en train d'écrire ! ».
Car la retraite, pour le maître, n'est qu'une forme d'activité nouvelle. Son « Manuel de l'art musulman », base de départ de recherches, tant en Espagne qu'en Afrique du Nord ou en Sicile, il n'en est plus satisfait maintenant que de nouvelles découvertes ont dépassé les connaissances de 1927. II faut donc le remettre à jour - travail énorme auquel il s'attaque avec la même jeunesse d'esprit.

Près du Musée Stéphane Gsell, dans son cabinet dont les fenêtres, caressées par des branches, regardent la mer par-dessus la ville, la table du dessinateur jouxte le bureau de l'écrivain. Sur l'un et l'autre, du papier, des crayons, un stylo, des livres...
Pour connaître, aimer, faire aimer l'Art, une vie entière, c'est trop peu.


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