Portrait/ Cherif Khedam : L'ART DE PASSER MAÎTRE !

La voix juste jaillit des entrailles. Une voix chaude. Avec juste ce qu'il faut d'émotion. De sensibilité. Et de sensiblerie. Le texte, lui, n'est que métaphores et allégories. Bien travaillé. Et bien rendu. Dans toute sa densité. Son épaisseur et sa magnitude. Un instant, la voix et le texte, ne font plus qu'un. Osmose, symbiose ou synergie, qu'importe! Mais, là, on a le kit complet: une thématique fouillée, une voix dans sa plénitude et un interprète qui épouse bien son art. Bref, le flacon et l'ivresse, quoi…

C'est que Cherif Khedam n'est pas n'importe qui. Il fait partie de cette vieille garde qui a su élever le chant au rang de sublime. Avec humilité et talent qui plus est. Denrées de plus en plus rarissimes dans l'univers interlope des artistes. Devenu un fourre-tout. Où même les sans voix ont…voix au chapitre. Mais, bon, glissons… Tant il y a matière à dire et redire. Cherif Khedam donc dont l'œuvre n'a pas pris une ride. Malgré les injures du temps. Et l'érosion des sens. Certes l'octogénaire est toujours resté lucide et vigilant dans son rapport à l'art. Mais rien ne saurait empêcher l'inexorable fuite du temps. Et si le temps a fait son œuvre, l'œuvre, elle, a traversé le temps. Avec un égal succès. Jamais démenti. Et toujours intact. Qui oserait parler d'un moindre flop dans le répertoire riche et fécond de ce chanteur, compositeur, interprète et chef d'orchestre à la fois? Qui dit mieux? Pourtant, Da cherif n'a jamais couru après la gloire. Les people, les Paparazzi ou les sunlights. Homme discret et effacé comme tous les porteurs de talent qui n'ont nul besoin de l'afficher, professionnel en diable, tout autant respectueux de l'art que de son public, Cherif Khedam est de ces chanteurs comme on n'en fait plus. Et par sa valeur intrinsèque et par le versant extrinsèque. Car il est plutôt rare dans ce milieu que l'artiste puisse ressembler comme deux paramécies, à l'homme. Da cherif a réussi, peut-être à son corps défendant, la gageure d'un deux en un. Et tous ses tubes sont pratiquement des classiques: de la divine "Nadia", hymne et ode à la femme du terroir à "Vgateth thelha", hommage aux entrailles d'une cité millénaire et magnétique jusqu'à séduire Ibn Toumert lui-même, "Sismime a djardjora", en passant par "khir ajellav n'tmourthiw" qui glorifie le sentiment nationaliste, Cherif Khedam investit sûr et plutôt bien dans le long et puissant souffle de la profondeur du chant et de la thématique explorée. Toujours d'une brûlante actualité. En ce qu'elle s'écoute et se déguste hors toute temporalité. Et c'est ce qui fait, peut-être, toute la vitalité d'un répertoire qui puise sa quintessence et sa substantifique moelle dans le terreau existentialiste. Tout en empruntant, de par le volume vocal de l'interprète, la qualité du ressenti et la haute teneur du vécu, à la philosophie. Car Da Cherif est d'abord un chanteur de fond. Et qui sait, qui plus est, marier les tons et les nuances, instruit, à l'évidence, d'un impressionnant background et, pénétré, des arcanes du solfège qu'il maîtrise avec panache. Rien d'étonnant, au demeurant, lorsqu'on sait que ce monstre sacré de la chanson algérienne d'expression amazigh, a eu, tout au long de son cursus d'homme et d'artiste, à se frotter à une génération exceptionnelle: celle des Ahmed Wahbi, Missoum, Akli Yahiatène, Slimane Azzem, Taleb Rabah, Zerrouki Allaoua et autres grands noms de la chanson nationale. Et nationaliste, aussi, quelque part, le contexte historique faisant foi. Le chant étant, noblesse oblige, une forme d'expression privilégiée sans pour autant échapper à son devoir et/ ou fonction civique. L'artiste, contrairement aux idées reçues, vivant en même temps dans et hors de la société. Dans, en tant que commun des citoyens, hors, es qualité de créateur qui a besoin de s'isoler, prendre du recul, pour penser vrai. Et se projeter dans le futur à partir de l'existant. Sinon anticiper, puisqu'on colle, volontiers, à certains artistes de génie, l'attribut de visionnaire. Chanteur populaire sans être populiste, Cherif Khedam, à l'instar de ses prédécesseurs et ses pairs de la même trempe, c'est-à-dire tous ceux habités par l'art dans son acception la plus noble, s'est donné, également, pour vocation de former. Et il en a formé Da Cherif à travers l'émission culte d'alors, diffusée sur la 2 "Ighenayène ouzeka", littéralement les chanteurs de demain, l'équivalent, par suite, de "Alhane oua chabab", tremplins indéniables vers les trompettes de la renommée. Emissions culte s'il en est, en ce qu'on leur doit toute une brochette d'artistes affirmés: Ait Menguellet, Nadia Benyoucef, Nardjess, Youcef Boukhanteche, Athmani, Slimani, Nouara qui chantera, d'ailleurs, pour la petite histoire, en duo avec son maître spirituel (qu'elle n'est pas seule à revendiquer, soit dit en passant), cheikh Cherif Khedam himself. Tant celui-ci de par sa générosité et sa disponibilité de tous les instants aura marqué les esprits des futurs artistes qui ont eu à solliciter et profiter de ses précieux services. Un chanteur qui a été à la bonne école, celle du maître donc, M'jahed Hamid pour ne pas le nommer, dira de Da Cherif, qu'il restera un repère incontournable pour toute sa génération. Ce qui n'est pas le moindre des compliments. Quand bien même on ne saurait circonscrire l'immensité de Cherif Khedam au plébiscite d'une seule génération. Tant il paraît patent que le talent transcende et les frontières et les générations. Une seule preuve? Da Cherif a dirigé un orchestre (et de manière magistrale) où figuraient, quasiment, toutes les nationalités du monde. Et quand on sait que le morceau interprété, à l'occasion, par le maître qui dirigeait, dans la foulée, l'orchestre symphonique en question, est un véritable morceau d'anthologie, qui oserait, alors, soutenir que Da Cherif n'a pas une stature universelle?