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Ponts centenaires de Constantine (2ème partie): Sidi M'cid, la passerelle des vertiges



Ponts centenaires de Constantine (2ème partie): Sidi M'cid, la passerelle des vertiges


Constantine, qui s’avance dans l’espace comme un promontoire traverse le temps, massive, énorme, déconcertante, identique à elle-même et toujours renouvelée, immobile et vivante. A tout jamais, elle a pris la mesure exacte des choses et se rassure dans sa permanence. Elle s’offre et se refuse, terriblement attentive et puissamment indifférente. Pour mieux se mériter, et dans un orgueil refusant ses limites afin de plus encore s’honorer, elle s’érige elle-même en monument.Malek Haddad (janvier 1966).

Témoin de l’obstination de l’homme à vouloir défier la nature, le pont suspendu Sidi M’cid, qui a bouclé cent ans le 19 avril dernier, traverse les deux parois rocheuses du Rhumel, à 170 m de hauteur. Il demeure l’une des merveilleuses curiosités du Vieux Rocher. Dans son éternel texte en hommage à la ville, intitulé Une clé pour Cirta, publié dans le journal An Nasr du 4 janvier 1966, Malek Haddad avait écrit: «Le pont suspendu, je n’en parlerai pas. Je comprends son utilité, j’admire sa grâce, je respecte sa témérité et je regrette sa présence. Il y a dans certaines victoires de l’homme sur la nature quelque chose qui m’émeut et qui me gêne à la fois. Elles me semblent en affront à la nature qu’on humilie en la domptant.»

Icône éternelle de la ville, comme celui de Sidi Rached, le pont Sidi M’cid ou «gantrate lehbal» (pont des cordes) et omniprésent dans toutes les cartes postales du Vieux Rocher. Selon les archives de la direction des travaux publics de Constantine, la réalisation de cet ouvrage s’est imposée après l’ouverture de l’hôpital civil en 1876, actuellement CHU Ben Badis. A l’époque, les citoyens trouvaient une difficulté à rejoindre cet établissement. En fait, ils devaient faire un long détour par le pont et le quartier de Bab El Kantara, avant d’entamer une longue pente, celle qu’on appelait la fameuse côte 304, avant d’arriver à la cité Gaillard (actuelle cité Mohamed Loucif). Il n’y avait aucun raccourci à prendre, d’où la décision de l’administration coloniale de lancer la construction de cet ouvrage, parallèlement à celui de Sidi Rached.

Le pont a été l’œuvre de l’ingénieur Ferdinand Joseph Arnodin, un éminent spécialiste mondial des ponts suspendus, connu pour être le père d’une trentaine d’ouvrages réalisés en France et dans certaines de ses anciennes colonies. La passerelle Sidi M’cid demeure l’un des rares ouvrages conçus par cet industriel qui continue toujours d’exister. Sa réalisation a été entamée en 1907 par l’entreprise Witte, pour qu’elle soit inaugurée le 19 avril 1912, soit le même jour que le pont Sidi Rached. Cent ans après, cet axe névralgique, reliant la partie du Vieux Rocher qui englobe la vieille médina aux cités de la banlieue nord, continue lui aussi de faire de la résistance. Bien qu’il n’ait pas subi les contraintes des phénomènes de glissement, comme ce fut le cas pour le pont Sidi Rached, il a connu plusieurs opérations d’entretien et de confortement. La plus importante a eu lieu en 1982, avec le remplacement de huit câbles par l’entreprise spécialisée Sapta, en présence du représentant du constructeur Arnodin. Quant à la dernière opération, elle a été effectuée en 2000 au niveau de 12 câbles par la même entreprise.

170 mètres au-dessus du ravin

Depuis un siècle, le pont Sidi M’cid s’élève, majestueusement, perché sur l’extrémité nord-est du rocher. Cent ans sans la moindre ride. N’ayant rien perdu de sa splendeur, il continue de narguer le temps, le rocher et le ravin. C’est la première image qui impressionne les visiteurs de l’antique Cirta, venus de Annaba et de Skikda à travers la fameuse Corniche creusée dans la roche, et qui domine la vallée de Sidi M’cid. La passerelle est accessible par la route de l’hôpital à partir du nord, le quartier de La Casbah et la rue de la Belgique du côté sud, mais aussi à partir du boulevard de l’Abîme. Ce dernier, situé à quelques minutes de la place de la Brèche, est de loin le plus préféré par les amateurs des curiosités et des randonnées pédestres en fin de journée. Après le dernier tunnel, situé juste au-dessous du fameux Kef Chekara (le pic des sacs), on «débarque» sur une large terrasse. Une sorte de belvédère offrant une vue magnifique sur la plaine de Hamma Bouziane (ex-Hamma Plaisance), avec ses jardins et ses vergers.

Le coucher de soleil ne laisse personne indifférent, surtout les passionnés des photos souvenirs. On ne rate pas la moindre occasion pour faire un clic, du côté ouest de la rambarde qui donne sur les berges du Rhumel, avec le Monument aux morts en arrière-plan. Le lieu attire de nombreuses familles à la recherche de la fraîcheur et du calme, par ces chaudes journées du mois de juillet. Mais on y trouve aussi des touristes nationaux et même étrangers. Pour ces derniers, on conseille de ne pas trop regarder vers le ravin, au risque d’attraper le vertige. Certains parmi ceux qui visitent le site pour la première fois hésitent à faire leurs premiers pas sur la passerelle. Une étrange sensation du vide et des vibrations montent des pieds jusqu’à la tête. On commence à penser à ceux qui ont réalisé cet ouvrage. En bas, le Rhumel traverse les gorges creusées dans la roche comme une chanson tranquille.

Une vue insaisissable

Le côté est de la passerelle offre une vue panoramique insaisissable sur une grande partie de Bab El Kantara, avec son pont (le doyen des ponts de Constantine), ses vieilles maisons, ses bâtisses au style européen et sa gare ferroviaire. En remontant vers La Casbah, par la rue Tatache Belkacem (ex-rue Thiers), on croise la bâtisse imposante du plus vieux lycée de Constantine. Malek Haddad, ancien élève de cet établissement, disait à ce propos : «Le lycée portait le nom d’un guerrier, le duc d’Aumale, et il a fallu notre guerre de libération pour qu’il s’appelle d’un nom civil : Ahmed Redha Houhou. Un homme de pensée paisible et doux. Je le vois encore dans les rues de Constantine, visage maigre cachant sa méditation derrière des lunettes foncées. Ils l’ont tué un jour de mars 1956.»

Le lycée cache les ruelles nerveuses de la ville, débouchant sur la rue commerçante du 19 juin 1965, et menant vers la place du marché de Souk El Asser. En contre-bas, le quartier d’Echaraâ, ancien ghetto des juifs de Constantine n’est plus qu’un lointain souvenir. Le site, qui a vu ses maisons tomber en ruine, sera transformé en un parking et en station téléphérique.

C’est d’ailleurs ce moyen de transport qui a fait découvrir, à partir de l’air, les facettes jusque-là ignorées d’une ville qui continue d’envoûter ses visiteurs mais qui se refuse toujours et refuse de dévoiler tous ses charmes. Ce qui fera dire, un jour, à Malek Haddad : «C’est dans ces rues de la ville de toujours, c’est dans ces rues d’abord, dans ces rues surtout que se promène une âme, que rôde un souvenir, que s’allume un sourire, et que rêve une chanson que le cri des corneilles et le soupir des tourterelles transportent, une chanson qui raconte Salah Bey, chanson qui s’élève et s’étale à la recherche des belles altitudes et va jusqu’aux Aurès saluer cet autre piédestal, cette autre citadelle de l’amour et de l’honneur du Mont Chelia.» 


Arslan Selmane



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