Par le Dr Ali Hocine
La guerre imposée par l'islamisme criminel à notre peuple a opposé des forces antagoniques porteuses de deux projets de société et d'Etat diamétralement opposés. Cet affrontement était inscrit dans la logique de l'évolution de notre pays sur tous les plans (économique, politique, culturel et idéologique…), il est le point culminant des contradictions et conflits larvés que notre pays a connus le long de son histoire contemporaine.
Notre peuple, abusé par le discours démagogique et mensonger du FIS et de ses satellites, et soumis à un chantage odieux et à des menaces mettant en avant des paramètres qui relèvent du divin (l'enfer et le paradis), a vite découvert la supercherie et s'est dressé contre l'islamisme criminel. Le conflit sanglant des années 1990 revêt un caractère historique, parce qu'il ne pouvait pas aboutir à la neutralisation des forces contradictoires en présence et porteuses de deux conceptions absolument inconciliables du monde. Par ailleurs, la seule issue positive à ce conflit était dans le dépassement au profit du changement démocratique moderne. L'ampleur de la tragédie que nous avons vécue, les atrocités commises au nom d'une idéologie rétrograde, les pertes humaines inestimables et la destruction d'une bonne partie du patrimoine national, fruit du travail et du sacrifice de générations d'Algériens, ainsi que la résistance héroïque des citoyennes et des citoyens aux côtés de l'ANP et des forces de sécurité consacrent le caractère historique de l'affrontement et la nature profonde, essentielle de la crise. Le choc des civilisations de Huntington n'est pas innocent, cette approche de la forme nouvelle des contradictions qui secouent le monde, tout en voulant défendre l'Occident qui serait le seul porteur de modernité et de valeurs positives contre l'Orient qui serait le tenant de la régression et du despotisme, renseigne sur les tendances objectives d'évolution qui se dessinent à la faveur du processus de mondialisation. Un processus contradictoire. La toile de fond des intérêts matériels des grandes puissances est toujours là, mais les conflits revêtent un caractère nouveau, marqués par l'intrication d'intérêts matériels et spirituels (intérêts de classe et crise du néolibéralisme, impact de la révolution scientifique et technologique, intérêts identitaires, émergence des minorités…) et la nature asymétrique des conflits… Dans notre pays, les deux projets de société et d'Etat ont cohabité dans une lutte sourde au sein des institutions du pays. Dans le système éducatif, miné par une approche idéologique irrationnelle et même parfois en porte-à-faux avec la science et la connaissance, la sous-estimation du rôle de l'enseignement de l'histoire dans la formation de la personnalité et l'amputation de notre identité de son socle amazigh ont dévié l'école de sa véritable vocation : former les hommes de demain. Le secteur économique n'a pas été épargné. L'abandon du week-end universel a aggravé le décalage du pays avec le monde moderne ; le secteur de la justice, hybride entre un code pénal inspiré des lois universelles et un code de la famille rétrograde ; la culture, soumise à une censure absurde qui bloque l'imagination, bride la pensée et ligote les artistes et les intellectuels ; la dispense du sport pour les fillettes dans les écoles au nom d'une morale hypocrite (heureusement que Boulmerka et Benida Merrah ont sauvé l'honneur au plus fort du terrorisme !). Aucun secteur n'a été épargné par les tiraillements entre la régression et le progrès. Les deux projets antagoniques se sont cristallisés et les grandes questions mises de côté pendant des décennies ont de nouveau émergé dont essentiellement la question de l'identité algérienne moderne et le rapport entre le sacré et le profane. Il s'agit en fait du caractère inachevé du projet révolutionnaire de novembre. Un projet marqué par la générosité des millions d'Algériens qui ont tout sacrifié pour la dignité, la liberté, la justice sociale et le progrès. Malheureusement, les forces de la régression l'ont bridé et vidé de sa substance révolutionnaire. La guerre que l'islamisme terroriste a imposée à notre peuple signe objectivement la fin d'une étape historique. Notre peuple a repoussé «la bête immonde», cette victoire doit consacrer le passage à l'Etat républicain, démocratique et social moderne. Aujourd'hui, l'islamisme politique ne fait plus peur aux citoyens qui l'ont affronté courageusement, il fait peur à certains cercles du pouvoir qui ont accumulé des fortunes colossales et qui préfèrent composer avec les reliquats d'une idéologie réactionnaire qui a détruit le pays, pour protéger leurs intérêts particuliers. Le recul évident du phénomène de l'islamisme ne procède pas du choix arbitraire ou de la ruse, c'est forcés et contraints que les islamistes ont le profil bas. Il faudrait analyser l'évolution de la base économique et sociale qui constitue le point d'appui de l'islamisme politique, les intérêts parfois contradictoires qu'il représente et les perspectives dans lesquelles se projette l'Algérie aux plans économique, social et culturel qui s'inscrit dans le processus universel de mondialisation. Un processus dont les lignes de force, sauf accident de l'histoire (comme après la crise des années 1920 !), doivent porter l'humanité vers le progrès. La première décennie du XXIe siècle a été marquée par la prospérité financière pour notre pays. Or, c'est la récession économique, la paupérisation sociale, l'indigence culturelle et le recul de la pensée rationnelle ainsi que la répression des libertés démocratiques qui sont le terreau de l'extrémisme. Le paradoxe trompeur est que souvent il y a une confusion entre la montée de l'extrémisme religieux et la ferveur religieuse. Contrairement aux apparences, la fréquentation des mosquées ne favorise pas la montée de l'extrémisme religieux ; tout au plus, elle renseigne sur l'angoisse des citoyens face à la crise que connaît le monde et qui n'épargne personne. Cependant, il ne faut pas croire que les islamistes vont lâcher prise. Les inégalités sociales, la rapine organisée, les ambiguïtés et contradictions qui traversent le socle constitutionnel de l'Etat, le comportement des institutions qui encouragent les organisations asservies au pouvoir exécutif croyant consolider les bases de l'Etat et répriment les représentants des travailleurs et des citoyens, encore considérés comme des sujets et des ennemis de l'Etat ! Cette approche manichéenne erronée a pour origine la confusion entre l'Etat et le pouvoir. Sans la consécration institutionnelle des organisations opposées au pouvoir au même titre que les autres institutions de l'Etat, hélas toujours assimilées au pouvoir, aucun débat démocratique ni perspective de changement ne peuvent être envisagés. Cette démarche introduit la confusion sur la signification de la laïcité et nourrit l'intolérance en s'appuyant sur une interprétation ambiguë du rapport entre le profane et le sacré. La contradiction est aussi antagonique entre le caractère moderne et démocratique de l'Etat et la consécration de quelque religion que ce soit comme religion de l'Etat. Il s'agit de deux catégories opposées en tout point de vue. Les expériences de la Tunisie et de l'Egypte sont là pour confirmer l'impossibilité de résoudre une telle équation. Les organisations islamistes au pouvoir font tout pour soumettre la société à une conception étroite et restrictive des droits des citoyens, de leurs libertés et de l'égalité entre la femme et l'homme au nom de l'appartenance à l'Islam, à contre-sens du mouvement de l'histoire ! Il est erroné de croire que la religion chrétienne est plus soluble dans la démocratie et l'Etat moderne que l'Islam. L'Occident aussi a fait l'expérience douloureuse de la religion de l'Etat. Les peuples d'Europe ont connu pire que nous pendant la période de l'Inquisition. La consécration de la séparation entre l'Eglise et l'Etat a été imposée par l'évolution objective des sociétés occidentales vers le progrès et le développement des forces productives qui ne pouvaient plus s'accommoder avec des pratiques basées sur l'obéissance absolue des sujets à leurs maîtres et qui correspondaient au mode de production féodal. Par des chemins différents, tous les peuples des Etats modernes, dont la Turquie musulmane, sont parvenus aux mêmes conclusions : séparer le politique du religieux pour libérer les énergies créatrices et consacrer la citoyenneté comme moyen d'émancipation de l'homme responsable et autonome, capable de prendre des décisions et de les assumer au-delà de ses convictions religieuses. C'est aussi la meilleure manière de protéger la religion des manipulations politiciennes. Le rapport au suffrage universel, attribut de l'Etat moderne, doit être bien compris. La question est de savoir si le suffrage se situe au- dessus des projets de société, et permet de choisir un type de projet de société. Dans ce cas, effectivement, le FIS a été privé d'une victoire qui lui aurait permis d'appliquer son projet de société médiéval. Le suffrage est une catégorie de l'Etat moderne. Il permet aux représentations politiques d'exercer leurs droits dans le cadre de cet Etat moderne, et de le défendre en cas de besoin. Or, l'article deux de la Constitution maintient la confusion sur la nature de l'Etat et ne lève pas l'hypothèque qui pèse sur sa substance républicaine démocratique et moderne. Ce qui explique qu'à chaque échéance électorale, les citoyens ont peur pour la stabilité et la sécurité du pays qui sont systématiquement menacées. En outre, la configuration politique propre à tous les Etats lésés par l'équivalent de notre article deux de la Constitution ne correspond pas à celle des Etats modernes. C'est une configuration inédite basée sur des contradictions pré-modernes (démocrates, nationalistes, culturalistes, confessionnelles, ethniques…) en décalage avec les contradictions d'intérêts de couches et classes sociales qui structurent la classe politique dans les Etats modernes. Une configuration qui dispense les nationalistes et les islamistes d'être démocrates !!! Paradoxalement, cette configuration singulière est dictée par l'Occident moderne comme une fatalité pour les peuples du monde arabe ! Elle s'inscrit dans le projet hégémonique de recomposition de toute la région par l'Occident pour des raisons géostratégiques et énergétiques évidentes. Le rôle des institutions de l'Etat est-il de
veiller aux manifestations publiques de la foi ' Cette forme d'utilisation de la religion par l'Etat prend parfois les contours d'une inquisition qui ne dit pas son nom. La gestion balbutiante et souvent contradictoire par l'Etat des pseudos infractions aux règles religieuses dont seraient coupables des citoyens est révélatrice du caractère hybride des institutions de cet Etat où des segments contradictoires utilisent des institutions telles que l'appareil policier ou judiciaire pour sanctionner des pseudos délits ou absoudre les prétendus coupables en fonction de la conjoncture et du rapport de forces. Les citoyens n'attendent pas des autorités de gérer de façon paternaliste leurs problèmes existentiels, ils demandent aux décideurs de régler les problèmes concrets d'emploi, de niveau de vie, de santé, de logement, de loisirs… Et c'est autour de ces problèmes qu'ils occupent les rues quotidiennement. Le processus de mondialisation, et l'évolution dans notre pays depuis deux décennies ont fait évoluer la société. Aussi bien du point de vue des nouveaux besoins des citoyens de plus en plus exigeants pour leurs conditions de vie, leur santé, leur culture, leurs loisirs, que du point de vue du rapport avec l'environnement de notre pays devenu plus étroit avec les nouveaux moyens de communication, il est difficile de nier l'émergence d'une nouvelle conscience, citoyenne, en décalage avec la posture des institutions de l'Etat. L'exemple le plus édifiant des balbutiements du pouvoir face aux changements des mentalités est le code de la famille. La nuance introduite dans son premier article, permettant à la femme de choisir son tuteur, signe l'obsolescence de tout le code, et confirme l'attitude frileuse du pouvoir qui veut ménager la chèvre et le chou. C'est l'émergence fulgurante de la femme sur les scènes économique, politique et sociale, au-delà du port du hidjab ou de tout autre accoutrement, qui a forcé les changements et vidé le code de la famille de sa substance. N'est-il pas temps de vider l'article deux de la Constitution de sa substance ' Pour peu qu'il y ait un débat démocratique, les citoyens musulmans, pratiquants ou non, qu'ils soient d'autres obédiences religieuses ou non croyants, sont sereins et considèrent qu'il est possible et nécessaire de consacrer la séparation du politique du religieux en transformant l'article deux ou en l'abrogeant. Ceux qui ont fait de la religion leur fonds de commerce dans les institutions de l'Etat ou dans les partis islamistes purs et durs tiennent à cet article deux comme à la prunelle de leurs yeux. Il est pour le moins prétentieux de considérer que nos sociétés ont des besoins spirituels plus élevés et un attachement plus fort à la religion que les sociétés occidentales laïques. Le départ massif de compétences vers les pays occidentaux, avec un aller simple, n'est-il pas révélateur du fait que c'est là où il est possible d'emporter sa religion, de vivre et de travailler sans entraves ' Il s'agit de revenir à l'esprit révolutionnaire de novembre. C'est dans le dépassement du mouvement national que de jeunes citoyens ont déclenché la lutte armée contre le colonialisme. Aujourd'hui, ceux qui nous gouvernent ce sont momifiés dans une posture d'arrière-garde qui ralentit le progrès. Après 50 ans d'indépendance, il s'agit de définir les tâches révolutionnaires d'aujourd'hui et de réaliser les transformations profondes dans la nature de l'Etat pour le mettre en phase avec les exigences historiques. L'expérience de l'humanité montre que la question de la séparation du politique du religieux est cruciale, et qu'elle détermine l'avenir des peuples en ce sens que la solution permet de repousser considérablement les limites imposées à l'homme et de le rendre plus responsable de ses actes. Réduire la question de la religion à sa dimension spirituelle et idéologique et faire semblant de croire qu'elle n'a aucun impact sur les autres sphères de la vie est un leurre. Allons-nous continuer à soumettre le don d'organes à une fetwa ' Interdire hypocritement l'IVG (interruption volontaire de la grossesse) ' Ces questions relèvent-elles de la morale ou bien d'autres considérations économiques et sociales ' De toute évidence, ceux qui ont l'argent et le pouvoir (dont les émirs du Golfe !) peuvent acheter des organes, pratiquer les avortements, et réaliser tous les fantasmes interdits aux pauvres et aux démunis. Doit-on soumettre la recherche sur la différenciation cellulaire et ses applications à une fetwa ' Les actes odieux commis à l'encontre des enfants enlevés violés et assassinés, et qui révulsent les citoyens, relèvent-ils du mektoub ou des réalités socioéconomiques qu'il faut analyser avec des instruments modernes pour déterminer les causes et les responsabilités de tous les agents, dont l'Etat ' La peine de mort qui renvoie au Moyen-Age et qui revient à l'avant-scène des débats est-elle la panacée ' Il suffit de comparer les pays qui ont aboli la peine de mort (entre autres les pays scandinaves) avec les pays qui la maintiennent (comme l'Arabie Saoudite), et de façon barbare, pour se rendre à l'évidence : ce n'est pas la peine de mort qui fait reculer le crime. Pourquoi il n'y a pas de débat public sur une question aussi sensible ' L'islamisme politique a un caractère historique, il n'est pas immuable, ses positions sont déterminées par les intérêts objectifs qu'il défend à chaque moment de l'histoire. Il faudrait analyser sa base socioéconomique qui n'est pas homogène. On retrouve aussi bien les anciens gros propriétaires fonciers reconvertis dans l'économie informelle, certaines couches populaires et moyennes (particulièrement arabophones) marginalisées… Une configuration qui consacre le caractère transversal de la contradiction qui a traversé la société algérienne différente de la contradiction fondamentale classique (classe contre classe), et qui confirme que l'islamisme et un phénomène politique qui est obligé de se conformer à l'évolution de la société et qui évolue en fonction des changements qui affectent la base matérielle de l'Etat. En conclusion, par ces temps difficiles où l'Etat central, bousculé par les revendications socioéconomiques, identitaires et ethniques, et menacé par le climat de tension extrême qui règne dans la région et particulièrement aux frontières du sud, seule la modernité et capable d'assurer l'unité de notre peuple dans sa diversité. Toujours plus de démocratie, toujours plus de justice sociale, toujours plus de progrès ! Voilà les ingrédients essentiels pour éviter le pire, avant qu'il ne soit trop tard. Il s'agit de les consacrer dans un socle constitutionnel moderne, au lieu de procéder à une cuisine interne au pouvoir, dans des calculs étroits visant à formater conjoncturellement la Constitution et à reporter l'accouchement et la délivrance à une date ultérieure.
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Posté Le : 07/04/2013
Posté par : presse-algerie
Ecrit par : A H
Source : www.lesoirdalgerie.com