Algérie

Pôle de Belgaïd: Une université neuve avec des problèmes anciens



Il pleut et le vent commence à souffler fort. Les étudiants sont là, au milieu de nulle part, le dos courbé tellement il fait froid. Ils attendent le bus. Impossible de les aborder. Ils doivent absolument prendre cette correspondance. La suivante n'arrivera qu'une demi-heure plus tard, dans le meilleur des cas.

Pour ceux qui viennent d'arriver, ils semblent déjà épuisés.Leur «voyage» du centre-ville au pôle universitaire de Belgaïd a duré… trois heures! «Et encore!», nous disent certaines étudiantes, «cette année, les nouveaux inscrits doivent s'estimer heureux, ils arrivent à voir le bout du bus.

 L'année dernière, nous avons enduré le calvaire. L'arrivée du transport jusqu'à cette université représentait un réel événement».

Les quelques bus qui effectuent la navette entre cette université et le terminus, situé non loin du lycée Lotfi, au centre-ville, ne suffisent pas à transporter les étudiants qui y suivent leurs études, ceci en raison de la distance entre les deux terminus et le temps des rotations. Un autre terminus se trouve dans le quartier des Castors. Mais il est très difficile de prendre le bus pour un étudiant si celui-ci est hors de ces deux terminus, tant les bus sont surchargés et ne peuvent prendre d'autres étudiants en cours de route.

 Durant le temps d'attente devant un arrêt de bus, des voitures de l'autre côté de cette enceinte ne cessent de passer. Un grillage de couleur verte de la hauteur d'une personne sépare l'université de la route. Certains véhicules, une fois près de l'université, ralentissent. D'autres s'arrêtent carrément.  «Vous voyez ces voitures qui font le va-et-vient», nous dira Nabila, une interne qui vient, après avoir passée le week-end chez ses parents, s'installer à la cité universitaire 8.000 lits. «Nous sommes à longueur de journée harcelées par ces véhicules. Certaines d'entre nous ont même été agressées par des inconnus à cet endroit qui reste isolé de tout».

 Difficile, en effet, d'imaginer au milieu des ces terrains vagues et près d'une décharge sauvage, que des infrastructures universitaires sont érigées. Sur place, on a l'impression que toutes ces bâtisses sont tombées du ciel. A l'exception des étudiants qui sont contraints de faire le chemin, pas facile à trouver : jusqu'à ce pôle universitaire, il n y a pas âme qui vive en ces lieux.

 Si à l'extérieur de l'enceinte universitaire, la sécurité fait défaut, à l'intérieur elle est insuffisante, lance Asma, une bachelière qui a découvert ce qui représentait un rêve pour elle l'été dernier. «Je me suis présentée», dira-elle, «pour faire les premières inscriptions.

 Une fois arrivée devant la porte de l'université, j'ai été surprise par l'agent de sécurité qui me demande de rebrousser chemin et de revenir accompagnée de mon père ou de mon frère, car les lieux ne sont pas sûrs ici, «pour reprendre les propres expressions de cet agent».

 Sur les conditions qui prévalent dans cette université, des étudiantes, déjà habituées aux conditions difficiles du pôle, racontent avec ironie qu'en plus «du problème de transport et de l'insécurité que nous subissons à longueur d'année, l'infrastructure est inadéquate pour certaines spécialités. Pour les travaux dirigés, les salles sont étroites et n'offrent aucun confort». La qualité de la construction a été également critiquée. «Nous sommes souvent surpris par les vitres des fenêtres qui éclatent en plein cours lorsque le vent souffle très fort».

L'absence de commodités

Il est en outre très difficile de circuler à l'intérieur de l'université pour ceux qui ne connaissent pas très bien les lieux, vu l'absence de panneaux indiquant les différents instituts et facultés, ce qui donne à l'université un caractère anarchique. Les étudiants dénoncent aussi le manque de commodités à l'intérieur de l'université. «Pas de cafétéria ni de cybercafé, encore moins d'endroits où l'on peut faire des photocopies où acheter des stylos ou des blocs-notes, ou n'importe quoi. C'est carrément le désert. Ceci sans parler de la nourriture, car à l'extérieur la qualité est très douteuse. C'est vraiment impensable d'étudier dans des conditions de la sorte», disent de nombreux étudiants rencontrés sur les lieux.

 Mais pour Nabila, ses problèmes ne s'arrêtent pas à ce niveau, puisqu'une autre vie commence pour elle une fois sortie de l'université. Résidente au campus, situé non loin de cette faculté, elle doit parcourir plusieurs fois par jour des centaines de mètres séparant l'université de la cité universitaire pour fille. Sur place, nous apprendrons que deux autres cités, l'une mixte et l'autre pour garçons seulement, sont implantées au niveau de ce pôle. Pour accéder à la cité 8.000 lits pour filles, la voie est libre. Nous traversons la porte principale des cités sans problème. A la cité 8.000 lits, l'accès est aussi facile, bien que nous soyons des étrangers qui venons pour la première fois visiter les lieux. Un agent de sécurité est devant la porte. Nous n'avons été à aucun moment interpellés. Personne ne nous a posé de questions, ni sur notre identité, ni sur ce que nous venons faire à la cité. L'indifférence est totale. On y entre comme dans un moulin.

 Devant l'administration, des étudiantes font le pied de grue, attendant d'avoir une chambre. Elles sont là depuis plusieurs jours à attendre d'être hébergées. «Elles sont contraintes, lance Nabila, pour certaines d'entre elles qui viennent de loin, de passer la nuit chez leurs copines de la cité».

 Une fois à l'intérieur du campus, nous avons été frappés par l'insécurité des lieux. Entre les chambres des étudiantes et la route, il y a juste un grillage de la hauteur d'une personne. Pour accéder au campus, il suffit juste d‘escalader ce grillage qui donne sur les fenêtres des chambres des filles. «Avec juste des volets aux fenêtres, notre vie est en danger permanent matin et soir. Nous ne pouvons pas rester dans le jardin de peur d'être agressées. Durant la nuit, nous sommes condamnées à rester cloitrées dans les chambres, car c'est à ce moment-là que les visites d'inconnus, qui viennent souvent en état d'ivresse agresser les étudiantes, commencent ».

Le Flexy et la coiffeuse

Nous avons pu ensuite avoir accès aux chambres numérotées des filles, comme dans un hôtel. Sur l'une d'entre elles, était collée une petite affiche avec un écriteau, «Ici Flexy». Une affiche qui a attiré notre intention et nous a incités à demander des explications. Selon des étudiantes, «le Flexy est disponible chez la résidente de cette chambre». «C'est l'administration qui a mis ce +service+ à la disponibilité des étudiantes». Nous avons posé la question aux résidentes. «Non, dira l'une d'entre elles, c'est juste l'initiative d'une étudiante qui traite avec un revendeur de cartes de recharge et qui vient ensuite offrir à la cité cette prestation de service». «Nous avons aussi une étudiante coiffeuse qui offre ses services aux résidentes», nous diront nos interlocutrices. A l'intérieur de ces chambre étroites, deux lits, un petit bureau et un placard. Les sanitaires sont collectifs et il n'y a pas de douche. «Nous avons toujours des problèmes avec ces sanitaires», nous explique Nabila devant la porte des toilettes. Chose vite vérifiée une fois la porte franchie. Trois femmes de ménage étaient en train de déboucher les lavabos». Surprise par notre visite, l'une d'elles nous interpellent: «Vous avez besoin de quelque choses les filles?». «Non, tout va bien», dira l'étudiante.

 Poursuivant notre visite sur les lieux en toute quiétude, nous rentrons au pavillon réservé aux étudiants africains. Devant la porte, un homme est en train de parler dans son portable. Il n'a pas l'air d'être un étudiant. Nabila ne le reconnaît pas et se demande si c'est un agent de sécurité. Elle ne le sait pas et le bonhomme ne s'est pas manifesté lorsque nous sommes entrés au pavillon. Ce n'est qu'à notre sortie qu'il semble remarquer notre présence et lance de loin à notre étudiante, «Que cherchez-vous ?», «Rien», lui dit Nabila d'un ton sûr. Nous avons pu continuer notre tournée ensuite et la réponse de l'étudiante a été suffisante pour ce bonhomme.

 Après avoir visité les lieux, nous nous sommes dirigés vers la porte de sortie. Et là encore, nous n'avons été interpellés par aucun des agents de sécurité qui discutaient entre eux. L'un portait un gilet fluorescent et l'autre était sans tenue de service.

 Notre destination a été ensuite la cité mixte que les étudiantes ne semblent pas beaucoup apprécier. Les filles côté gauche et les garçons côté droit. Une seule entrée. Elle n'est pas surveillée non plus, puisque nous avons pu accéder à la cité.        Une fois à l'intérieur, nous avons tenté d'entrer dans le pavillon des garçons. «C'est possible», dira Nabila, «j'ai déjà tenté l'expérience et j'ai pu entrer sans être interpellée par l'agent de sécurité».

 Au milieu de la cité, nous avons été hésitants et c'est à ce moment qu'un agent de sécurité remarque les deux filles qui tentaient de rentrer dans la cité des garçons. «Que voulez-vous?»,demande-t-il. «Nous voulons rendre visite à une camarade», dira Nabila. «Ici, vous êtes dans le pavillon réservé aux garçons et il est interdit aux filles», rétorque-t-il. «Nous le savons très bien, lance Nabila, mais nous avons pu rentrer la dernière fois». Devant l'insistance de l'agent, l'étudiante renonce et se dirige vers le pavillon des filles.

Et là aussi, l'agent de sécurité nous interpelle. Elle est dans quelle filière ta camarade?», demande l'agent. «Droit», répond Nabila. «Les étudiantes en droit ne sont pas hébergées ici.Voyez dans la cité des filles. Ici, il est interdit pour les garçons d'aller dans les pavillons des filles et il est interdit pour les filles d'aller dans les pavillons des garçons.

C'est la règlementation», dira l'agent de sécurité. Un discours vite «vérifié», puisque à notre sortie de la cité mixte, nous avons aperçu des garçons sortir de la cité des filles au vu et au su de tout le monde.

C'est ainsi que cette visite s'achève dans cette zone située au milieu de nulle part, qui met les étudiants à rude épreuve avec cette nouvelle rentrée universitaire.

 Une fois sortis de ce pôle universitaire et de retour vers le centre-ville, on a le sentiment d'avoir fait un long voyage fatiguant. En somme, à Belgaïd, l'université est nouvelle mais les problèmes, eux, sont anciens.

Une protesta qui a fait bouger les choses

La protestation, le mercredi 27 octobre, des étudiants internes de l'Université des sciences et de la technologie Mohamed Boudiaf (USTO) contre les conditions catastrophiques dans les cités universitaires du pôle universitaire de Belgaïd semble avoir néanmoins apporté quelques fruits.

 Ce cri de détresse des universitaires a eu son écho auprès des autorités locales et notamment du nouveau wali qui a fait, le jour même, un déplacement sur site pour constater de visu la situation. Une visite qui a été suivie par une rencontre entre le premier responsable de l'exécutif, le vice-recteur de l'université de l'USTO et le DLEP afin de prendre les décisions qui s'imposent pour régler les problèmes des résidents. Selon le wali d'Oran, toutes les doléances des étudiants ont été prises en charge. Les problèmes d'assainissement, du gaz et de l'eau seront réglés dans les plus brefs délais.

 Quant au problème du transport des résidents, le premier responsable de la wilaya a instruit le chargé des œuvres universitaires de lui présenter un rapport sur la situation des cités universitaires afin d'étudier la possibilité d'héberger les étudiants de l'université de l'USTO dans les cités de la ville.

 Evoquant la situation sécuritaire au niveau de ce pôle, le wali a affirmé,lors d'une conférence de presse tenue le 28 octobre dernier au niveau de la wilaya, que, pour le moment; une patrouille sera mise en place au niveau de ce site afin de veiller à la sécurité des lieux, en attendant de créer un poste de gendarmerie.




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