Algérie

Point de vue : Triple homicide Djennaoui, les juges et la criminalité routière



C'est une histoire ordinaire de l'espace routier algérien. Le soleil d'août approche la ligne de crête de l'amphithéâtre d'Alger. 18h passées. Sur l'avenue de l'ALN, l'ombre descend sur la baie. Mahmoud Djennaoui 39 ans, douanier, rentre chez lui. Une heure et demie avant le f'tour. C'est le troisième jour du mois de Ramadhan de 2011. Trafic dense mais sans ralentissement sur l'axe Alger-Bab Ezzouar. Sur la banquette arrière, son fils Hichem, 9 ans, et sa fille, Manel. Elle a fêté ses 4 ans trois jours auparavant. La petite Spark roule au rythme de sa file, celle du milieu. Puis la lumière décline. Sans prévenir. Un volumineux objet noir arrive de nulle part. En l'air. Il s'écrase sur la Chevrolet. Comme une apocalypse. Fin de vie instantanée pour les occupants. Les images, avec celles de l'accident du bus de Bologhine, sont sur le JT de 21h. Alors que l'épouse de Mahmoud, Hassina Djennaoui, cherche encore son mari et ses enfants. Jamais arrivés à  la table du f'tour au domicile de Bab Ezzouar. L'obus sombre tombé du ciel était une Picanto. Elle roulait dans le sens Bab Ezzouar-Alger. A «90 km à  l'heure», dira plus tard à  la police son jeune chauffeur, de 26 ans, rescapé valide de cette scène de fin du monde. Le fait est là. Sortie de route en solo, rails de sécurité du milieu détruits par l'impact, tonneau vers la voie opposée. Pourquoi ' Le procureur près le tribunal de Hussein Dey a, trois mois plus tard, considéré qu'un grand excès de vitesse, sur la foi du rapport de police, était la cause de ce triple homicide involontaire.
Mandat de dépôt. Jusque-là l'histoire tient dans le segment médiatisé de la guerre incivique routière. Tous les jours, la presse rapporte, la radio évoque, la télévision montre des accidents mortels. Des vies en lambeaux. La suite est le territoire discrétionnaire des juges. Rarement de la loi. L'homicide involontaire, lorsque la responsabilité du prévenu est établie sur infraction du code de la route, peut lui coûter 3 ans de prison ferme (article 288). Ailleurs, le délit de très grande vitesse a été créé pour prévenir de ses conséquences. Qu'a décidé le juge du tribunal de Hussein Dey devant le triple homicide involontaire des Djennaoui ' Il a reconnu l'infraction au code de la route et la responsabilité du conducteur de la Picanto dans les morts que son véhicule a semé. Mais au réquisitoire du procureur, réclamant deux ans de prison ferme, il répond par une peine de... trois mois de prison (et 9 autres avec sursis). Et 20 000 DA d'amende pour «détérioration de biens publics». La justice, maillon le plus faible Les décisions de justice à  l'encontre des chauffards sont, en Algérie, le maillon le plus faible de la lutte contre la délinquance routière. Les Algériens parlent plus facilement du trafic d'influence qui permet de récupérer un permis retiré. Des juges peuvent restituer, à  l'abri des médias, des «anges de la mort» au trafic routier. En toute bonne foi. Le jugement de l'affaire Djennaoui est loin d'être un cas isolé, «une bavure» judiciaire à  l'encontre de la famille suppliciée. Il n'est pas la norme non plus. C'est dans ce ventre mou de l'interprétation de la part du Destin et de celle de l'homme, que la conduite routière «homicidaire» a fleuri. Qu'elle s'est construit la relation la plus complaisante avec l'appareil judiciaire... dans le 3e pays qui souffre le plus au monde de la dangerosité des comportements routiers. L'Algérie va adopter, en 2012, le permis à  points et renforcer, encore une fois, son arsenal législatif pour lutter contre l'hécatombe des routes. Elle peut «verrouiller» le fichier national des permis de conduire et réduire la marge de manœuvre du gendarme et du policier. Mais des juges continueront à  ne pas protéger les citoyens de la récidive meurtrière et invalidante des chauffards ordinaires. Ils continueront tant qu'ils n'utiliseront pas la force symbolique de la sanction exemplaire, pour prévenir les grands délits. La loi le permet. Les automobilistes délinquants ne le savent pas. Les médias n'en parlent pas. Le jugement d'un triple homicide involontaire sur la route est un enjeu de société. L'association El Baraka lutte depuis de longues années pour rendre la route plus humaine. Elle soutient ses grands blessés souvent abîmés à  vie. Elle vient de pointer clairement la défaillance des décisions de justice dans la prévention routière. Celle-là en particulier. Toutes les enquêtes lui donnent raison. La dernière, celle de la Gendarmerie nationale, montre que l'état des véhicules et celui des routes représentent, à  eux deux, seulement 15% des causes d'accidents de la circulation. Tout le reste est la faute de l'homme. Qui ne respecte pas la loi. Et qui a si peu peur du juge. Le procureur de Hussein Dey a fait appel. L'affaire Djennaoui est rejugée ce jeudi 29 décembre.


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