Algérie

Poésie de l'Ahaggar



Poésie de l'Ahaggar
Déclamation de poèmes par l'auteur et chercheuse Rabéa Douibi, quelques notes du mythique son de l'Imzad magnifiquement jouées et chantées par la musicienne Fatima Channa, ont marqué la rencontre poético-artistique tenue avant-hier au petit théâtre de Riadh El Feth à Alger.Une fois n'est pas coutume, à l'instar du monde entier, l'Algérie célèbre elle aussi la poésie en organisant ces derniers mois de nombreuses activités poétiques, comme les samedis de la poésie, Tipasa des Poètes ou encore «Rendez-vous avec la poésie» pour ne citer que ceux-là. Ces rendez-vous initiés par le ministère de la Culture ont pour but de sortir de l'ombre les talentueuses âmes sensibles qui brillent à travers cet art millénaire. Fatima Channa, l'une des rares joueuses d'Imzad, déclame et chante la poésie en tamasheq d'une manière remarquable et mystérieuse.Cette sexagénaire, vêtue d'une mlehfa bleu nuit et accompagnée de son amie Aïcha, nous dira que la poésie et l'Imzad sont une histoire de famille. Elle qui a grandi auprès de son père et de sa tante, voue un grand amour et une profonde passion pour cet instrument, symbole de la femme targuie. «Mon père était un chanteur très connu dans l'Ahaggar. Avec ma tante, nous étions souvent invitées à nous produire dans les fêtes et mariages durant l'époque coloniale. C'est avec eux que j'ai tout appris et aujourd'hui je suis très fière de tenir cet instrument entre mes mains, et de chanter des poèmes ancestraux que m'a appris mon père», nous dira Fatima Channa avant de gratifier l'assistance de quelques notes d'Imzad.L'universitaire, chercheuse et auteur Rabéa Douibi, est également une éternelle mordue du grand sud. Dans son livre Poésie de l'Ahaggar écrit au bout de trois longues années d'exhaustives recherches, elle traduit la poésie targuie, ancienne et contemporaine. Avec l'aide de son amie Zahra Khodja, une quarantaine de pièces sont donc transcrites en tifinagh et en caractères latins dans le souci de garder la version originale du texte, puis traduites en langue française. En outre, cinq grands poètes, des monuments sacrés de la culture targuie, et deux vieilles gardiennes du patrimoine poétique ancien témoignent dans le livre de Rabéa en révélant une facette de la culture targuie dans toute sa splendeur. Ce livre est un des rares travaux à avoir été mené pour mettre en valeur et sauvegarder des pans entiers de la poésie née dans l'Ahaggar il y a plusieurs siècles. «Traduire la poésie de l'Ahaggar n'était pas chose facile. C'est un travail très difficile qui a nécessité des moyens matériels conséquents et beaucoup de temps et de patience. Le plus difficile était de ressusciter, bribes par bribes, des fragments de poésie séculaire. Un patrimoine culturel immatériel retransmis de génération en génération, depuis la nuit des temps, par voie orale» nous dira Rabéa Douibi. Réagir face à l'oubli !Questionnée sur ce qui l'a poussé à écrire ce livre, elle nous dira qu'un jour, alors qu'elle sirotait un thé à la menthe autour d'un feu de camp au Tassili N'Ajjer, un vieux guide a ressuscité un vieux poème tout en le déclamant et en le traduisant de la plus belle des manières. «Ce fut pour moi le déclic qui m'a fait pencher vers la traduction des poèmes de l'Ahaggar.C'était tellement beau, tellement exceptionnel que j'ai senti les entrailles du désert me parler», fera savoir Rabéa, les yeux pleins d'émotion. Surtout que la poésie dans l'Ahaggar commençait à souffrir de déclin. «Cette poésie disparaît lentement alors que dans les années 1940, c'était une pratique courante et riche dans la région. Avec l'Ahall, rendez-vous poétique et musical disparu pendant la colonisation française, la poésie s'était beaucoup développée et est devenue plus raffinée», a-t-elle souligné, avant de poursuivre :«Il faudrait que les autorités du pays réagissent vite face à ce déclin en attribuant le statut de chercheur aux personnes qui travaillent pour la sauvegarde et l'écriture très compliquée de l'histoire de ces peuples ethniques, en donnant les moyens nécessaires», a-t-elle conclu.




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