Algérie

Poèmes de l'adieu de Hamid Skif, (Poésie) - Éditions Autres Temps, Paris 2005



Poèmes de l'adieu de Hamid Skif, (Poésie) - Éditions Autres Temps, Paris 2005
Les éclipses de Hamid Skif

À quoi tient une présence littéraire ? La chance, le talent, le travail et la persévérance de l’auteur ? Sans doute. Mais il convient de tenir grandement compte de facteurs indépendants de sa volonté, à savoir l’existence ou non d’un milieu éditorial structuré, d’une presse, d’une critique et, bien entendu, d’un lectorat plus ou moins étoffé.

Disons-le tout de suite : les écrivains de l’hémisphère Sud ont rarement la chance de bénéficier de tous ces facteurs qui font un champ littéraire digne de ce nom. Si on laisse de côté l’exemple indien, complexe à souhait, les autres espaces littéraires sont plus ou moins structurés, plus ou moins autonomes. Pour le continent africain, l’Égypte, l’Afrique du Sud et, dans une moindre mesure, le Nigeria et l’Algérie apparaissent comme les pays où la structuration et l’autonomie auront le plus de chances de réussir, du fait de leur poids humain et économique mais aussi à cause de l’ancienneté de leur champ respectif. à propos de l’Algérie justement, la fortune du poète et romancier Hamid Skif mérite attention à maints égards.

Hamid Skif, Mohamed Benmebkhout de son vrai nom, est né en 1951 à Oran. Cette ville nous a donné d’autres écrivains talentueux de la même génération, à l’instar d’Abdelkader Djemaï ou Amin Zaoui. Skif fréquente tôt le cénacle des jeunes poètes animé par Jean Sénac, le chantre de la révolution et le martyr assassiné en 1973.

Il se fait connaître à dix-huit ans, après la publication de ses poèmes dans une anthologie consacrée par le bouillonnant Sénac à la jeune poésie algérienne d’expression française : un début littéraire gros de promesses, d’autant plus que dans ces années-là, ENAL, les éditions de l’État, font un prodigieux effort pour faire exister les talents nationaux. Mais il ne faut pas oublier les violences que va connaître l’Algérie des années 1990.

1992 a vu Hamid Skif se battre contre l’intégrisme religieux comme tant d’autres. Il quitte l’Algérie en 1997 pour Hambourg, où le Pen Club allemand l’adopte comme écrivain réfugié en butte à l’intolérance dans son pays. S’il a renoué avec l’écriture au mitan des années 1990, c’est en exil qu’il publiera l’essentiel de sa production qui comprend au moins un recueil de nouvelles et deux romans, respectivement Citrouille fêlée (1998), La Princesse et le Clown (2000) et Monsieur le président (2002) (1), ainsi qu’un autre recueil poétique, Poèmes de l’adieu (2).

Le plus intéressant dans ce parcours est le choix éditorial pour les trois premiers livres : les éditions électroniques 00h00.com, dont les bureaux sont installés à Paris. Hélas pour l’auteur, l’e-book et l’édition électronique n’ont pas tenu leurs promesses. Pire, elles ont précipité l’auteur dans une certaine clandestinité.

Roman par lettres, Monsieur le président nous introduit dans la conscience du dénommé H.B., instituteur à la retraite et inventeur de la règle à calculer universelle. Scribe public, H.B. ne cesse d´écrire au président de la République pour réclamer le paiement de sa pension, promouvoir son invention et tenter d’améliorer le sort des gens de peu. Et Hamid Skif, tour à tour pédagogue et révolté, de nous brosser les quatre dernières décennies de l’histoire algérienne.

La Princesse et le Clown est d’une tout autre facture. Un étudiant qui se veut « le narrateur le plus brillant de sa génération » sort du grenier de son imagination un trio insolite : Selma, la princesse du désert du milieu, Zembreto le clown acrobate et Charlot, le poney danseur de tango. Ce monde poétique et mystérieux est secoué par l'irruption de Souleymane le Magnifique, théologien aux ambitions despotiques qui martyrise la fantaisie, la magie et l'amour. Il prend le pouvoir, chasse Zembreto et promulgue toutes sortes de lois répressives. Comment retrouver la paix d'antan ?

Au-delà de l’argument narratif, Hamid Skif déroule une écriture assurée et fait montre d’un sens du récit en multipliant les effets de miroir. On passe d’un village fouetté par « le souffle de la géhenne » à la « ville d’O. illustre par la peste qui y fit des ravages et la fortune d’un auteur » (p. 36). On croise un monde interlope digne d’un conte merveilleux. On se dit enfin que Hamid Skif mérite un meilleur sort que ces éditions si virtuelles.


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