Algérie

«Plutôt que des réticences, c'est la peur de s'exprimer»


«Plutôt que des réticences, c'est la peur de s'exprimer»
Depuis Dijon, une expérience filmée originale donne la parole à la mémoire portée par des gens ordinaires sur la guerre d'indépendance de l'Algérie. Réalisé par Caroline Philibert et Luc Thiébaut, le documentaire A chacun son Algérie est monté à partir de témoignages de Dijonnais d'aujourd'hui sur l'Algérie de 1954 à 1962.Ceux-ci sont Algériens, Français ou les deux à la fois, pieds-noirs pour ou contre l'indépendance, militaires, combattants du FLN, harkis, pacifistes, petits paysans que la guerre a broyés, «fils ou filles de?» qui souffrent, une ou deux générations plus tard, d'une histoire qui les écartèle encore. Certains ont parlé de ces événements pour la première fois lors de ces entretiens. D'autres n'ont pu s'y résoudre. Quatorze de ces entretiens ont été diffusés sur France 3 en juillet 2012. Les illustrations sont des photos de l'époque, conservées par les témoins.-Les témoins que vous avez rencontrés ont-ils eu des réticences à être filmés ' Ceux qui ont refusé, je ne les ai pas interrogés. Je ne vais jamais au-delà des réticences. Je pense notamment à une dame aujourd'hui âgée, juive, partie en catastrophe d'Algérie après l'indépendance sans avoir pu retrouver son mari. Elle m'a tout raconté, mais au moment de lancer la caméra, elle n'a pas voulu. Un autre, pied-noir, plutôt opposé à l'action coloniale du gouvernement français, m'a parlé pendant trois heures, puis a arrêté la caméra car c'était trop douloureux pour lui. Un troisième personnage avec qui cela a été impossible, c'était un harki qui était au départ d'accord, puis qui n'a pas plus répondu à mes appels de rendez-vous. Plutôt que des réticences, c'est la peur de s'exprimer.-Cela veut-il dire qu'il y a encore des choses qui ont du mal à être dites, 52 ans après l'indépendance 'C'est certainement encore très douloureux. C'est quelque chose que j'ai découvert. Moi, à l'époque, j'étais adolescente, en France. Je ne me rendais pas vraiment compte de ce qui se passait. Ce qui m'a frappé c'est que les douleurs sont de tout bord. Un homme, par exemple, m'a dit des choses, mais deux ans après, sans accepter d'être filmé.-Quels sont les enseignements que vous tirez de cette expérience 'Je pense qu'il faut travailler sur cette mémoire. Je pense en particulier à ce que le documentaire a provoqué comme réactions chez des personnes qui l'ont vu. Récemment, dans un centre culturel, nous avons été agressés avec une violence extraordinaire, avec ensuite des lettres de pieds-noirs, encore pieds-noirs si j'ose dire, et qui n'ont pas encore digéré. C'est grave si, après cinq décennies, on ne peut pas recueillir les témoignages, car après ce sera trop tard. Il faut en passer par là, y compris par cette colère expurgée, même si je ne suis pas admirative de ces réactions. Je ne savais pas ce que le film allait bouleverser, mais je sais ce qu'il a touché en moi. De l'idée théorique que j'avais, cela m'a mis la réalité en face, la souffrance de tout un chacun et comment elle pouvait être récupérée. Cela m'a mis le nez dedans.-Ce documentaire a été réalisé dans la région de Dijon. Est-ce que cette ville a une histoire particulière par rapport à la guerre d'Algérie 'Pas du tout. Nous nous sommes simplement dits qu'autour de nous, des personnes sont concernées. Des gens qui se côtoient sans se connaître. La société française est truffée de gens qui ont encore à voir avec cette histoire-là et qui se frôlent dans la vie sans échanger. Notre documentaire était une occasion pour avancer.-En France, des millions de gens qui ont un lien direct ou indirect avec l'Algérie. Est-ce l'un des messages de votre film 'Oui, avec quelque chose de pas très propre dans notre société au plan des ressentiments. La difficulté entre la France et Algérie vient de là. Tant que l'histoire ne sera pas assainie, on n'ira pas loin ; tant qu'on ne s'est pas demandé pardon, de quelque bord qu'on soit. Tant qu'on n'a pas dit qu'il y a eu des choses difficiles. La façon dont ont réagi des spectateurs pieds-noirs, cela m'a sidéré, car cela veut dire qu'ils ont encore une rage totale. Leur argument était «vous ne donnez la parole qu'aux autres». Ce qui n'est pas vrai.-C'est là aussi un signe de la montée des extrêmes en France, dont celle de l'extrême droite qui profite des non-dits de la blessure algérienne. Pensez-vous que pour l'apaisement, il faut dire plutôt que se taire 'J'ai fait quand même les choses modestement. Les quelques gros films sortis ces dernière années sur grand écran sont utiles pour dire les choses. Il y a un amalgame avec l'histoire, le terrorisme, la religion... on mélange tout dès qu'on parle du Maghreb.-Vous feriez un autre film sur cette question 'S'il fallait faire une suite, je pense que je ferais le même film, mais en Algérie, pour faire un effet miroir du rapport avec la France.


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