Algérie

Plus qu'un film, une ode à une humanité retrouvée



La floraison d'articles de presse, d'interviews radio, de sujets télé (le 20h de TF1 !) rappelle, aux plus âgés, l'engouement et l'enracinement dans l'Hexagone ce qu'a été le raï dès 1986, après le festival de Bobigny qui révéla, à  l'époque, au public français et franco-arabe, Khaled ou Mami. Durera-t-il dans le temps ' On peut le penser, à  voir les foules de jeunes, mais pas seulement, qui se pressent dans les salles de concerts (voir l'article de Nadjia Bouzeghrane ci-contre). El Gusto  (Le goût), le film, raconte tout à  la fois la naissance et l'essor du chaâbi sous la houlette de son créateur premier, El Hadj M'hamed El Anka, mais va bien au-delà, se muant en une aventure aux accents d'une pleine humanité dès lors que sa genèse réveille une part de cette histoire culturelle commune, qui a lié juifs et musulmans d'Alger. Le mérite en revient à  une toute jeune femme, Safinez Bousbia, la trentaine, architecte de son état, originaire d'Alger et vivant à  Dublin, et qui, un jour de 2003, a poussé  — pour le meilleur — la porte d'une échoppe de La Casbah tenue par le miroitier-musicien, Mohamed El Ferkioni. L'intérêt pour la miroiterie  s'est vite mué en passion pour ce genre chaâbi dont El Ferkioui est l'un des dépositaires d'une formidable mémoire. Subjuguée, les quatre heures d'entretien dans l'échoppe vont déclencher une incroyable ouverture aux accents humains autant que musicaux. Car, la jeune Safinez va se lancer dans une entreprise au long cours qui va s'étaler sur plusieurs années. Cela commence par la recherche de cette trentaine de chanteurs et musiciens disséminés au gré des vents de l'histoire… Les Algériens de La Casbah, relégués dans la périphérie suite à  la dégradation des habitations et à  l'arrivée massive des «blédards» après 1962, et ces juifs si fortement intégrés et que les aléas de l'histoire ont déposés sur l'autre rive de la Méditerranée. Le film tisse d'abord la toile des connections en plongeant dans les souvenirs des uns et des autres qui, nostalgie aidant, font revivre une grande part de l'histoire algérienne du chaâbi qui, non content d'inscrire une musique populaire dans le patrimoine national, révèle les entrelacs sémantiques d'une langue, la dardja, aux contours et au souffle d'une poésie qui aurait dû pénétrer beaucoup plus fortement l'école algérienne, quand de plus l'arabe du Moyen-Orient demeure un élément exogène à  la culture proprement algérienne… Mais cela est une autre histoire qui met en cause des choix stratégiques culturels et linguistiques sur lesquels il y aurait beaucoup à  dire… Entrelacement de témoignages tantôt teintés d'émotion, tantôt frappés du sceau de l'humour algérois, El Gusto, le film, culmine dans ces moments de rencontres physiques (l'arrivée des Algériens à  Marseille retrouvant leurs «frères» juifs pour un premier concert donné au Gymnase). Et là, c'est le miracle de l'alchimie, lorsqu'une phrase musicale est tout de suite reprise dans une harmonie qui n'a jamais disparu, malgré un demi-siècle de séparation… S'il existait une référence cinématographique et musicale, ce serait évidemment l'aventure du «Buena Vista Social Club», ce «son» de La Havane immortalisé par la caméra de Wim Wenders. Et, El Gusto de Safinez Bousbia n'a rien à  envier au travail pourtant très fouillé du cinéaste allemand. Ce qui ressort aussi de l'œuvre de la documentariste, c'est qu'au-delà des individus filmés, La Casbah, elle-même, devient un personnage central du récit, dont les images hésitent entre sa célébration et sa désolation, née des décombres et des ordures qui la caractérisent en 2011. Aussi, qu'un hommage soit rendu à  cette jeune Algérienne soucieuse de mémoire, et dont seule la détermination a permis de surmonter tous les obstacles inhérents à  un tel projet. En effet, le premier concert d'El Gusto devait se dérouler à  Alger… malheureusement les autorités publiques en ont décidé autrement. Ce qui est dommageable, c'est qu'en Algérie, on est si prompt à  dénoncer les méfaits du colonialisme et de la guerre — à  juste titre au demeurant — et qu'on ne soit pas capable de louer les moments de fraternité, même s'ils se sont inscrits en pointillés. A notre connaissance, aucun juif de «Djamaa Lihoud» n'a fait partie des tristement célèbres commandos «Delta» de l'OAS.


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