Algérie

Plus de 600 millions d'Africains sans électricité, pourtant...



Publié le 21.03.2024 dans le Quotidien d’Oran
par Reghis Rabah*

Depuis mars 2022, l'Union européenne (UE), animée par la volonté de se soustraire à sa dépendance au gaz russe, se tourne vers l'Afrique qui dispose de vastes ressources encore inexploitées. Cette course effrénée au gaz marquera-t-elle la fin de la malédiction africaine due à la variété de ses ressources minières et solaires ?

Quelles sont justement ces ressources ?

L'activité pétrolière et gazière est très prometteuse en Afrique pour peu de trouver des investisseurs. C'est aussi une opportunité qui pourrait stimuler la croissance économique sur l'ensemble du continent avec 54 pays et une population de 1,4 milliard d'habitants soumis au diktat des pilleurs de richesses sans contrepartie juste et équitable. L'Agence Internationale de l'Energie (AIE) estime à plus de 5.000 milliards de m3 de réserves de gaz « inexploités » sans compter le nombre de découvertes de ces dernières années non encore délinéées pour entamer leur développement. Ces ressources pourraient fournir à l'Europe plus de 100 milliards de m3 supplémentaires d'ici le moyen terme à l'horizon 2028.

Au lendemain de l'invasion de l'Ukraine par la Fédération de Russie, l'Organisation du Traité Atlantique du Nord (OTAN) a consulté les sociétés opératrices en Algérie pour évaluer ces ressources supplémentaires et de créer un pont africain à travers ce pays pour alimenter les pays européens en gaz pour lui permettre de s'en passer progressivement du gaz russe. Il se trouve que les Etas Unis en voulaient autrement pour d'autres desseins qui ne semblent pas mener ce continent dans la bonne direction. Ceci devait déboucher les plus grandes économies de l'Europe sur de sérieux problèmes économiques notamment la France, l'Allemagne, l'Italie, l'Espagne pour ne citer que ceux-là. 5 des 30 premiers pays producteurs de pétrole au monde se trouvent dans le continent africain. Ce secteur d'hydrocarbures contribue à près de 53% du Produit Intérieur Brut (PIB). Les experts de la Banque africaine d'import -export (Afreximbank), ont estimé, dans un rapport, que ce n'est pas les ressources qui manquent aux Africains mais « le défi réside dans le manque de capacités financière et technique pour exploiter ces ressources pétrolières et gazières afin de répondre aux besoins énergétiques. Faut-il signaler par ailleurs que 3 pays africains à savoir : l'Algérie, le Niger et le Nigeria n'ont pas attendu d'être consultés pour penser à l'approvisionnement des pays européens en relançant le projet du Gazoduc TranSaharien (TSGP) qui est actuellement en phase de mise en œuvre. Profitant de l'occasion de la présence des hauts responsables du Nigeria, lors du Forum des Pays Exportateurs du Gaz (GECF), le ministre algérien Mohamed Arkab a animé une conférence de presse pour souligner que ce projet qui s'étend sur une distance de 4.000 km du Nigeria jusqu'au gazoduc d'exportation en Algérie, via le Niger a été réalisé à un peu plus de 50%. Il ne reste que 1.800 km dont 100 km au niveau du Nigeria, 1.000 km au Niger et 700 km en Algérie. Le projet du Gazoduc Galsi qui part de Koudiet Draouche où se trouvent des installations algériennes jusqu'à Piombino en Italie via l'Ile de la Sardaigne, en passant sous la mer Méditerranéenne, a été aussi relancé lors de la visite du président italien, en l'Algérie, Sergio Materella les 6 et 7 novembre 2021. Ce projet a été à l'occasion élargi au transport du gaz, de l'électricité et de l'Hydrogène vert.

Il faut ajouter à cela l'existant en Algérie pour l'Europe

Partant du principe que toutes les données sur les capacités de l'Algérie sont publiques et connues de ses partenaires. Ainsi l'entreprise nationale Sonatrach exploite actuellement quatre complexes de Gaz Naturel Liquéfie (GNL) à Arzew et Skikda, d'une capacité totale de 56 millions de m³ /an, dont deux nouveaux complexes mis en production, respectivement en 2013 et 2014, dans ces mêmes zones, dotés d'une capacité respectivement de 10,59 millions de m³/an et 9,98 millions m³/an. Pour la séparation des GPL, Sonatrach exploite deux complexes de séparation de GPL situés à Arzew, d'une capacité totale de 10,4 millions de tonnes/an. Sachant que 1 m³ de GNL = 600 m³ de gaz naturel, d'où une capacité totale de GNL : équivalent gaz naturel : 33,6 milliards de m³. L'ensemble de ces capacités ne sont pas saturées à cause du manque de feed stock, c'est-à-dire le Gaz Naturel (GN). En ce qui concerne la capacité installée de transport gazier du réseau nord du pays a été portée à près de 138 milliards de Contrat mètres cubes/an, dont 57 milliards de Cm³/an via les trois gazoducs destinés à l'approvisionnement de l'Europe. Depuis l'arrêt d'expédition via le Maroc, il en reste 45 milliards de m³. Si l'on ajoute les 2 milliards, résultant du super compresseur installé, tout récemment, sur le Medgaz, on y arrive à une capacité potentielle de transport à près de 80 milliards de m³, toutes formes confondues. Il faut préciser par ailleurs que jusqu'à ce jour, l'Afrique procure 20 % du gaz consommé en Europe. Les Africains estiment que la crise énergétique est une opportunité unique pour développer des projets de gaz naturel, en tirant avantage des nouveaux investissements pour renforcer leur mix énergétique.

En 2023, la production commerciale de l'Algérie a atteint 102 milliards de m3 et arrive en tête des pays africains en production/exportation pour livrer 49,14 milliards de m3 vient après l'Egypte avec un rapport production/exportation de 66,8/12,06 ; le Nigeria 42,10/25,59 ; la Libye 12,57/2,58 ; la Guinée Equatoriale 8,1/5,76. (Voir détails dans le rapport 2023 du Forum des Pays Exportateurs de gaz GECF disponible dans leur site). D'autres acteurs comme le Mozambique ou le fameux projet Mauritano- Sénégalais dit Grand Tortue Ahmeyim (GTA) situé dans l'ultra- deep auquel il faut ajouter Yakaar- Taranga prévus faire rentrer le Sénégal dans le Top 5 des pays producteurs de gaz en Afrique. Les deux pays Maurétanie et Sénégal viennent d'adhérer dans le GECF, l'un comme membre permanent et l'autre observateur mais les deux attendent beaucoup de profiter de l'expérience de 62 ans de leur consœur algérienne.

L'Afrique peut aider l'Europe pour peu qu'elle change ses lunettes pour le voir

Au vu de la situation en cours citée dans plusieurs rapports des ONG, les deux tiers de la production d'hydrocarbures est entre les mains des multinationales étrangères purement destinées à l'exportation altérant ainsi d'une part la souveraineté de la majorité des pays africains sur la commercialisation des hydrocarbures dont le gaz. D'autre part, ces pays sont exclus de leur destination pour le développement de leurs pays respectifs, sous prétexte que ces multinationales ont pris le risque, ce qui est fallacieux. Le groupe européen TotalEnergies est cité comme un grand rafler de nouvelles ressources pétrolières et notamment gazière en Afrique. Il est d'ailleurs mis en cause par les défenseurs de l'environnement pour ses projets pétroliers et gaziers en Ouganda, Tanzanie et en Afrique du Sud. De nombreux pays, cite ce rapport, cette positions dominante des sociétés opérantes leur ramène plus de tracas que de les aider au développement de leur pays et encore moins relever leur taux d'électrification. Le Ghana par exemple est au bout de la « déstabilisation économique » à cause du gaz que les sociétés lui vendent par contrat du type Take or Pay qui force le gouvernement ghanéen à verser des centaines de millions de dollars pour le gaz non utilisé. Au Mozambique les projets du Gaz Naturel Liquéfié (GNL) concentré dans le sud-est du pays exacerbent une population qui voit le gaz exporté alors que 70% sont sans électricité. Ceci génère des conflits inextricables. Au Nigeria, l'exploitation intensive d'une soixantaine d'années ont transmuté le Delta du fleuve Niger pour en faire un lieu le plus pollué au monde impactant sérieusement la « santé et le mode de vie des communautés qui y vivent. Cette situation est décrite sans compter les ressources minières à côté de celle fossile qui fait que les plus riches en ressources naturelles vivent une contradiction flagrante de pauvreté comme la République Démocratique du Congo (RDC), la Zambie, le Mozambique, la Maurétanie ou la Guinée. Cette dernière dort sur près 40 milliards de tonnes de bauxite, considérée comme la plus grande réserve du monde sans compter les minerais de fer, du diamant, de l'or et des quantités innombrables d'Uranium. 55% de sa population vivent avec moins 1,25 dollar par jour selon les chiffres révélés par la Banque Africaine de Développement (BAD)

Le même refrain dans l'énergie solaire

La plateforme spécialisée dans la collecte, le traitement et la diffusion des informations sur les ressources solaires « Global Solar Atlas, estime que les pays africains « occupent » un rang très avancé sur l'indice du potentiel d'énergie solaire. (01) Selon cette fondation, la Namibie, l'Egypte, la Libye, le Botswana, le Maroc et le Soudan font partie des 20 pays ayant« les plus hauts indices de productivité potentielle » parce qu'ils disposent d'un rayonnement solaire appréciable et surtout la disponibilité des terrains qui conviendraient aux projets solaires. Malheureusement constate ce Think Tank, les résultats en termes de production restent insignifiantes, probablement par manque de moyens financiers. Leur rapport, estime leur apport au volume total d'électricité solaire à moins de 1,4%. Le passage à cette énergie verte a besoin des investissements qu'ils n'ont pas. Peut-on comparer cela à la Chine dont le taux d'ensoleillement faible mais dispose d'assez de moyens pour en profiter de cette énergie. Ce pays est le plus important producteur mondial d'énergie solaire alors que la Banque Mondiale (BM) le classe 150ème sur la liste des pays qui jouissent le mieux du potentiel d'énergie photovoltaïque. L'estimation de cette capacité photovoltaïque est basée sur un concept scientifique que ces experts appellent « PVOUT » (Photovoltaic Power Potentiel). Cet indice se calcul en incluant dans son équation le type, le nombre de panneaux photovoltaïques ainsi que la surface occupée. La quantité de rayonnement solaire disponible pour justement produire cette électricité. Partant, on aboutira à une estimation précise de la quantité d'énergie « que l'on peut espérer générer à partir de la puissance installée d'un site photovoltaïque, mesurée en kilowattheures par kilowatt-crête (kWh/kWp. » Paradoxalement à la Chine, les pays africains suscités ont un potentiel de production de photovoltaïque le plus élevé au monde mais n'ont que peu, parfois aucun, moyens pour exploiter cette ressource qui pourrait servir leurs pays respectifs et exporter aux continents qui ont en besoin comme le cas de l'Europe qui connait bien l'Afrique.

L'Europe trouvera son salut en Afrique

Tout porte à croire que les pays européens sont entraînés, malgré eux, dans un conflit suivi d'une guerre qui s'enlise. Dans les conditions normales et la logique des relations internationales, lorsqu'un pays envahit un Etat souverain, les voisins condamnent mais font appel aux instances internationales, l'ONU et son Conseil de sécurité pour baliser la voie à suivre qui règlerait le problème. Des intérêts géopolitiques se sont incrustés pour soutenir un belligérant et sanctionner l'envahisseur, sans résolutions claires du Conseil de sécurité de l'ONU. Depuis le 24 février, date de l'invasion de la Fédération de Russie en Ukraine, il n'y avait en Europe aucune pénurie de gaz qui est apparue dans ce continrent sous forme de panique seulement. Ce sont les sanctions économiques envers la Russie et le sabotage de North Stream 1 et 2 qui ont aggravé cette panique et ont fait flamber les prix du gaz. Qui tire les ficelles ? Ce n'est pas en Europe qu'il faudrait chercher car l'exemple de ce sabotage est édifiant. En effet, North Stream 1 et 2 alimente l'Allemagne, première économie de l'Europe surtout dépourvue de stations de regazéification pour acheter le Gaz Naturel Liquéfié (GNL). Conséquences : les principales économies européennes sont rentrées en récession mais les Etats Unis ont sauvé leurs producteurs de gaz de schiste qui le vendent cher en Europe créant ainsi une inflation suivie d'un marasme de l'activité économique. Il faut reconnaître que l'Europe n'est pas restée bras croisés mais la Commission européenne a établi un plan baptisé «REPowerEU» pour se passer du gaz des énergies fossiles russes, au plus tard en 2027. Ce plan est basé surtout sur le compter sur soi à savoir : réduire la consommation d'énergie à travers l'économie et l'efficacité énergétique, diversifier l'approvisionnement en gaz et mise sur les énergies renouvelables. Les résultats ont été excellents puisque la consommation du gaz a chuté de 19,3% et les prix ont baissé. Mais étant donné les circonstances, on peut résumer ce vaste programme à une sobriété énergétique qui fait appel à une austérité du citoyen européen. Or, une austérité vise un objectif qui change la situation actuelle en positive, est-ce le cas ? Jusqu'à quand le citoyen européen sert la ceinture de sa consommation en gaz pour se chauffer à basse température et subir les dysfonctionnements des prix hauts et leurs impacts sur l'économie et le quotidien de l'Européen (inflation, stagflation, chômage, etc.) Donc ce plan, s'il soulage la situation aujourd'hui avec un temps clément, ne le fera pas en cas de changement. Il est donc conjoncturel car même la diversification qui consiste à ramener le GNL de loin coûte plus cher avec toutes les conséquences qui en découlent. La prospection de l'UE en Afrique est plus qu'opportune. Ce continent lui offre un gaz disponible en permanence et moins cher pour peu qu'elle mette la main dans la poche et investir et aider ses approvisionneurs de développer leurs pays, stabiliser leurs populations qui immigrent tous azimuts. Dans sa 8ème Edition Global Gas Outlook 2050 du Forum des Pays Exportateurs de Gaz (GECF) prévoit une augmentation de la demande de gaz de 34%. Elle passe donc de 4.015 milliards de m3 à 5.380 milliards de m3. (02) Aujourd'hui les 9 pays africains du GECF totalisent à eux seuls 15.000 milliards de m3 de réserves récupérables. Ils produisent tout de suite 245 milliards de m3. Selon ce rapport, pour faire face à cette demande en perspective, il faudrait investir dans le monde 8.900 milliards de dollars. La part de l'Afrique serait de 1100 milliards de dollars.

*Economiste Pétrolier

Notes

(01)-https://globalsolaratlas.info/map?c=24.046464,-37.265625,2

(02)-https://www.gecf.org/_resources/files/pages/global-gas-outlook-2050/gecf-global-gas-outlook-20231.pdf



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