Outre la question des dégâts écologiques, que le film documentaire américain Gazland avait, spectaculairement, traitée, le gaz de schiste est-il un vecteur économique pertinent ? Thomas Porcher, docteur en économie, chargé de cours à Paris-Descartes, défriche les données d’un domaine crucial.
- On met en avant l’intérêt économique pour vendre le gaz de schiste, c’est le cas en Algérie où un appel d’offres pour exploiter les gisements a été lancé. Vous, vous remettez en cause cette justification économique.Pourquoi?
En fait, l’intérêt économique du gaz de schiste est beaucoup moins important que celui du gaz conventionnel, car ces gisements ont une durée de vie plus longue, jusqu’à 25 ans. Pour le gaz de schiste, au cours des deux premières années, le taux de récupération est assez fort puis, au bout de deux ans, il chute. Pour maintenir un flux important, il faut forer sans cesse. Donc, en Algérie, il faudra s’attendre à cela. Il y aura des dizaines de milliers de forages. Pour ce qui est des entrées financières, le gaz de schiste est plus cher à extraire que le gaz conventionnel, et la marge bénéficiaire sera plus faible. Ce qu’il faut voir aussi, ce sont les conditions dans lesquelles il est exploité. L’Algérie est un pays producteur de pétrole et de gaz depuis très longtemps, et une part énorme du PIB vient des hydrocarbures. C’est vrai que les réserves s’épuisent. Il faut en trouver d’autres, pour maintenir une situation budgétaire à peu près équilibrée, mais tout dépend dans quelles conditions le gaz de schiste sera exploité. Si l’Algérie fait des appels d’offres extrêmement avantageux pour attirer les compagnies étrangères et partager la rente, cela ne profitera en rien au pays. Si par contre, c’est une compagnie publique qui s’en charge, comme pour le pétrole et le gaz conventionnel, avec des normes restrictives qui sont celles de l’Opep, dans ce cas, cela peut générer une richesse, mais jamais à la hauteur du conventionnel, c’est sûr. Sans parler des conditions d’exploitation qui peuvent être extrêmement gênantes pour les populations avoisinantes.
- Justement, lorsqu’on parle des ressources qui vont permettre à l’humanité de survivre, il s’agit de l’énergie, mais aussi de l’eau, et il en faut beaucoup pour la fracturation hydraulique. L’eau, n’est-ce pas aussi une donnée économique, en dehors des questions écologiques des produits chimiques introduits?
Oui, pour un puits, on fracture plusieurs fois et chaque fracturation, c’est 25 à 30.000 millions de litres d’eau. La consommation d’eau nécessaire est à prendre en compte. Je ne veux pas me mettre dans la peau d’un moralisateur, mais 80% des énergies sont consommées par 20% de la population mondiale, dont la France fait partie. Quand en France on veut produire du gaz de schiste, je pense qu’on doit d’abord s’interroger et faire un effort sur nous- mêmes pour consommer différemment, avec plus d’intelligence, car l’énergie se raréfie, devient chère et porte atteinte au climat. Nous devons balayer devant notre porte avant de faire la morale aux autres. C’est d’ailleurs terrible qu’une puissance, comme les Etats-Unis, place les aspects climatiques ou environnementaux en second plan. Drôle de signal envoyé au reste du monde, de dire: «Le climat passe en second plan, je cherche le non-conventionnel, type ruée vers l’or, en produisant massivement.» Puissance majeure, les Etats-Unis auraient dû montrer l’exemple et s’engager dans la transition énergétique. Le véritable coupable du succès du gaz de schiste, ce sont les Etats-Unis qui ont influé sur le monde.
- On a présenté le gaz de schiste comme un booster économique, comme un miracle américain qu’on est tenu de suivre. Or il y a quelques jours, une étude indiquait que le schiste n’est pas si rentable que cela. Qu’en est-il réellement?
Le gaz de schiste était rentable à exploiter lorsque le pétrole était cher. Aux USA, il y avait un cadre réglementaire favorable pour forer sans s’inquiéter des normes environnementales. Ils ont tellement produit que le gaz est descendu à 3 dollars. Il faut sans cesse fracturer de nouveaux sites et cela a un coût qui n’est pas compensé par le prix de vente. Après l’engouement, le marché va se retourner.
- Comment voyez-vous l’évolution en 2014?
La France a été un des premiers pays à se mobiliser fortement contre l’exploitation du gaz de schiste mais, quoi qu’il en soit, plusieurs pays s’interrogent. Aux Etats-Unis, dès que les sociétés pétrolières se sont approchées de zones urbaines il y a eu des interdictions. En Pennsylvanie, New-York a interdit la fracturation hydraulique. Il y a un grand débat en Suisse et aux Pays-Bas, la Bulgarie a interdit l’exploitation du gaz de schiste. On sent un élan d’opposition mondial, hormis de la part du Royaume-Uni, malgré l’opposition citoyenne. Le gaz de schiste, ce ne sera pas la révolution géopolitique qu’on nous avait promis, ni un rabattement des cartes énergétiques. Il y aura eu une courte histoire du gaz de schiste mais le conventionnel reviendra en force. L’Agence internationale de l’énergie estime que le gaz de schiste va durer jusqu’en 2035. La réserve s’épuise rapidement, le coût d’extraction est élevé et les impacts écologiques sont forts.
- L’Algérie a cependant la troisième réserve de gaz de schiste au monde.Cela peut faire rêver, non? Ou bien cauchemarder?
La rente tirée du conventionnel ne sera pas la même avec le gaz de schiste car son coût est plus élevé. Mais je pense aussi qu’il faut sortir de l’économie de rente et la diversifier. En Algérie ne vaudrait-il pas mieux préparer l’après-pétrole que de continuer une espèce d’économie rentière qui n’est pas la meilleure des choses?
- Est-ce que le gaz de schiste crée de l’emploi?
En réalité non. Les sociétés qui vont venir ne perdront pas le temps pour former des gens sur place, sauf si c’est imposé par voie réglementaire. Elles vont ramener leurs équipes. Au début, chaque forage créera une dizaine d’emplois. Pas plus. Ensuite, lorsque le puits sera ouvert, il ne faudra pas plus d’une personne pour le surveiller. Cela veut dire qu’il faut forer autant de puits qu’on veut créer d’emplois. Aux Etats-Unis, 500.000 emplois correspondent à 500.000 puits. Une valeur de 1 million de dollars ne crée que deux emplois. C’est cela la réalité du gaz de schiste, comme du conventionnel d’ailleurs.
* Thomas Porcher est l’auteur de Le miracle du gaz de schiste , publié aux éditions Max Milo (Paris 2013).
Walid Mebarek
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Posté Le : 28/12/2013
Posté par : akarENVIRONNEMENT
Photographié par : Photo: El Watan ; texte: Entretien par Walid Mebarek
Source : El Watan.com du samedi 28 décembre 2013