En Suisse, une association de femmes âgées – 73 ans en moyenne – a saisi la Cour européenne des droits de l’Homme pour forcer le gouvernement à agir contre le changement climatique.
Lausanne (Suisse), reportage
Elle n’hésite pas à parler de «confinement climatique». Quand la température augmente, Véronique Mermoud, ancienne comédienne suisse de 76 ans, doit se barricader chez elle. «La chaleur m’épuise alors je me planque, dit-elle en mimant des volets qui se referment sur elle. Sans ça, j’ai du mal à respirer, je suffoque.» Quand les vagues de chaleur durent plusieurs jours, elle reste ainsi cloîtrée, sans voir personne. «Je n’ai plus de vie sociale du tout», soupire-t-elle.
C’est pour cette raison que la septuagénaire a décidé de rejoindre l’association Les Aînées pour la protection du climat. Ce regroupement de femmes suisses retraitées — la moyenne d’âge est de 73 ans — a été créé en 2016 dans un but: contraindre le Conseil fédéral (l’équivalent du gouvernement en France) à lutter véritablement contre le changement climatique.
«Depuis la canicule de 2003, on dispose de statistiques. Lors des épisodes de chaleur, tout le monde est évidemment touché, mais particulièrement les femmes âgées», explique Anne Mahrer, 75 ans, coprésidente de l’association. L’Office fédéral de la santé publique écrit ainsi que «c’est surtout chez les personnes du troisième âge que l’organisme a du mal à s’acclimater: le cœur et les vaisseaux sont fortement sollicités, l’équilibre hydrique est bouleversé, la pression artérielle augmente, le pouls s’accélère et la personne s’essouffle». L’Organisation mondiale de la santé relève aussi que «les femmes risquent davantage de mourir en cas de canicule».
Les Aînées estiment donc que, parce qu’il n’applique pas dès maintenant des mesures écologiques fortes — la loi Climat n’entrera en vigueur qu’en 2025 par exemple — l’État suisse contrevient à son devoir de protection de la population.
Après des recours déposés devant les tribunaux de Saint-Gall et de Lausanne en 2017 et 2019, l’association a pu exposer ces arguments devant la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH), le 29 mars 2023. C’était la première fois que cette instance était saisie de la question climatique [1]. La décision est attendue d’ici début 2024.
- «Être une vieille, ça sert à quelque chose!»
Si ces femmes ont choisi la vulnérabilité des seniors comme angle d’attaque, c’est pour une raison pratique. «Il faut pouvoir prouver à la justice une qualité à agir, c’est-à-dire en quoi nous sommes pertinentes pour mener cette action», dit Anne Mahrer. D’où la mise en avant de témoignages comme celui de Véronique Mermoud. Mais «ce n’est pas pour nous ou notre petite santé qu’on fait ça, c’est pour les plus jeunes qui vont continuer à vivre dans ce monde», explique Gisèle Sallin.
Cette ancienne metteuse en scène de 74 ans, militante écolo depuis les manifestations antinucléaires des années 1970, a découvert l’existence de l’association via un tract abandonné dans un train. «Ça m’a tout de suite réjouie, cette possibilité d’être utile, de sortir de l’impuissance en attaquant notre pays pour qu’il se bouge, raconte-t-elle. Être une vieille, ça sert à quelque chose finalement!» S’investir dans l’association a fait grandir un enthousiasme chez toutes ces femmes. Fini l’impression de ne «servir à rien», de «coûter cher», d’être invisibilisée dans la société. Elles ont consacré du temps à organiser des rencontres, répondre aux sollicitations des médias, créer des groupes locaux...
«Je n’ai pas vraiment d’espoir dans le futur, mais j’essaie de mener les combats que je peux, poursuit Gisèle Sallin. Ça m’apporte du plaisir, de l’air frais, de la joie.» Et des rencontres. Les membres des Aînées — plus de 2.400 sont réparties dans tout le pays — ont rejoint l’Alliance climatique de la Suisse, un regroupement d’organisations écologistes. L’occasion de nouer des liens avec des militants plus jeunes, lors de manifestations avec Greenpeace et Extinction Rebellion, ou de grèves pour le climat.
Le combat des Aînées dépasse même les frontières de la Suisse. Il inspire d’autres groupes de femmes, du Luxembourg en passant par Pasadena, cette ville californienne qui subit régulièrement des températures extrêmes. «Sentir toutes ces énergies et tous ces gens qui tirent sur la même corde, ça aide à ne pas laisser tomber», se réjouit Anne Mahrer.
- «Si des manifs de protestation sont organisées, j’irai avec mes béquilles!»
Car la tentation du désespoir n’est jamais loin quand les effets du changement climatique sont sous nos yeux. «On est dans un pays alpin. Nos glaciers, on marche pour leur dire au revoir», dit Anne Mahrer. «À notre âge, on a toutes en tête des paysages d’enfance qui sont complètement différents aujourd’hui», ajoute Anne-Catherine Menétrey-Savary. À 85 ans, cette ancienne conseillère nationale dénonce «l’inertie» du Conseil fédéral. L’homme qui y est en charge de la question climatique, Albert Rösti, est ainsi connu pour... ses positions pro-pétrole, pro-automobile et pro-nucléaire.
Mais les Aînées ne baissent jamais les bras. Un projet d’enneigement artificiel à la station des Mosses? «Si des manifs de protestation sont organisées, j’irai avec mes deux cannes!», promet Véronique Mermoud en agitant ses béquilles. Les membres répondront également présentes à Strasbourg fin septembre, lorsque la CEDH étudiera la demande de six jeunes Portugais, qui accusent trente-trois pays d’avoir «échoué à faire leur part afin d’éviter une catastrophe climatique».
En attendant la décision de leur propre affaire, elles aiment se remémorer une phrase qu’a prononcé la représentante du réseau européen des institutions nationales des droits de l’Homme, Jenny Sandvig, devant les juges de la Cour. «Peu de personnes ont le pouvoir de changer le cours de l’Histoire. Vous l’avez.» Après tout, peut-être que ces femmes aussi.
Notes
[1] Le même jour, la CEDH a ensuite étudié « l’affaire Grande-Synthe », initiée par Damien Carême. L’ancien maire de cette ville du nord de la France, aujourd’hui député européen, estime que la France n’agit pas assez pour lutter contre le changement climatique.
Photo: Les Aînées estiment que, parce qu'il n'applique pas dès maintenant des mesures écologiques fortes, l'État suisse contrevient à son devoir de protection de la population. - © Dom Smaz / Reporterre
Pour voir l'article dans son intégralité avec plus d'illustrations: https://reporterre.net/Climat-des-retraitees-suisses-engagent-un-bras-de-fer-avec-leur-gouvernement
Par Justine Guitton-Boussion
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Posté Le : 13/09/2023
Posté par : akarENVIRONNEMENT
Ecrit par : Par Justine Guitton-Boussion et Dom Smaz (photographies) - 8 septembre 2023
Source : https://reporterre.net/