Dans un livre, le biologiste Dave Goulson alerte sur le déclin des populations d’insectes. Lecture nécessaire pour prise de conscience indispensable.
Franchement, qu'en avons-nous à faire du sort des mouches, mantes religieuses et autres fourmis? Pas grand-chose, si l'on répond en toute franchise. Et pourtant, nous aurions tout intérêt à nous en soucier… Dans Terre silencieuse. Empêcher l'extinction des insectes (éditions du Rouergue), le biologiste britannique Dave Goulson alerte sur le déclin des populations mondiales d'insectes.
S'il n'existe pas encore de chiffres globaux, plusieurs études locales attestent du phénomène. La plus connue, celle de la Krefeld Entomological Society (2017), indique un déclin de 76 % de la biomasse d'insectes volants entre 1986 et 2016 en Allemagne. Une autre, provenant du Royaume-Uni, observe un recul de 46 % de la population des papillons dans les zones rurales entre 1976 et 2017. Des ordres de grandeur que l'on peut retrouver dans d'autres pays industrialisés comme la France ou les États-Unis.
- Pilier de la chaîne alimentaire
Après un chapitre énamouré sur l'histoire de ces petits invertébrés, qui constituent d'ailleurs la majorité des espèces connues de notre planète, le chercheur à l'université de Sussex (Royaume-Uni) décrit avec pédagogie le rôle «majeur» de ces bestioles. Elles occupent en particulier une place fondamentale au sein de la chaîne alimentaire. C'est cruel, mais certains insectes (comme les chenilles, sauterelles, carabidés…) constituent «une savoureuse protéine» pour les animaux plus gros qu'eux, comme les oiseaux, chauves-souris, reptiles et petits mammifères. Sans les insectes, ceux-ci n'auraient presque plus rien à manger, brisant le reste de la chaîne alimentaire.
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La disparition de ces «bébêtes» impacterait aussi l'alimentation humaine. Les Occidentaux ont parfois tendance à l'oublier, mais il est absolument normal de se nourrir d'insectes ailleurs dans le monde. «Au Japon, l'inago (sorte de sauterelle) en conserve est largement vendu comme un mets de luxe», rappelle Dave Goulson. En Afrique du Sud, on raffole également des vers de mopane, à savoir une espèce de très grosse chenille juteuse.
En plus d'être nutritifs, certains insectes rendent bien des services à l'environnement. L'élevage de criquets, par exemple, produit beaucoup moins de gaz à effet de serre que celui des bovins. «Pour 1 kg de viande fournie, une vache exige 55 fois plus d'eau et 14 fois plus d'espace qu'un criquet», ajoute le professeur en biologie, conscient qu'il reste encore du chemin à parcourir avant de convaincre Européens et Nord-Américains de troquer leur côte de bœuf contre une salade de criquets…
- Maîtres de la pollinisation
Les insectes rendent également de merveilleux services aux écosystèmes. Ce sont eux qui pollinisent la flore et, par extension, gouvernent le monde. Neuf plantes sur dix ont en effet besoin de la pollinisation animale, effectuée en grande partie par les insectes, pour se reproduire. «Sans pollinisation, les fleurs sauvages ne produiraient pas de graines, et la plupart finiraient par disparaître», écrit Dave Goulson.
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Sans les insectes pollinisateurs, il serait en outre impossible de nourrir correctement l'humanité, dont la population, elle, augmente. Certes le blé, l'orge, le riz et le maïs, qui se contentent du pollen charrié par le vent, pourraient produire des calories en nombre suffisant. Mais il faudrait dire adieu aux fraises, pommes, concombres, haricots et autres tomates… «Le monde produit déjà une quantité de fruits et de légumes inférieure à celle qui serait nécessaire pour que, sur la planète, chaque individu puisse bénéficier d'une alimentation saine», précise l'auteur.
Le rôle des insectes est tellement important qu'il possède même sa valeur monétaire – certes approximative. Elle se situe entre 235 et 577 milliards de dollars à l'échelle mondiale. C'est peu ou prou le PIB de la Grèce (pour sa valeur minimale) ou celui de la Norvège (pour sa valeur maximale).
- Déserts verts
Après avoir convaincu le lecteur du lien étroit entre les insectes et l'humain, l'auteur s'attaque aux nombreuses causes de leur «extinction». La disparition de leur habitat est la première explication évoquée. La construction de routes, de lotissements, le développement de l'agriculture intensive et la déforestation font reculer de manière dramatique la place de la nature sauvage ou semi-sauvage. Or ce sont dans ces endroits-là que prospèrent les insectes…
«L’épandage d’herbicides réduit drastiquement le terrain de jeu de ces petites bestioles.»
L'usage d'insecticides (comme les néonicotinoïdes), dont on doit souligner les vertus sur le strict volet de la production agricole, a aussi pour effet «d'empoisonner» les sols et de tuer certains insectes, comme les abeilles. L'épandage d'herbicides, en plus d'intoxiquer les insectes, réduit drastiquement le terrain de jeu de ces petites bestioles. L'auteur écrit aussi que l'utilisation d'engrais chimiques dans certains pâturages favorise la croissance d'herbe au détriment des fleurs. On se retrouve ainsi avec des «déserts verts».
- Sauver les insectes
Dave Goulson conclut son livre avec une précieuse boîte à idées. Il recommande de végétaliser les espaces urbains, installer des ruches pour abeilles en ville, proscrire l'usage des pesticides et réduire le plus possible la lumière la nuit. Toutes ces actions sont déjà entreprises dans un certain nombre de villes françaises, comme Paris. Le chercheur britannique suggère, également, de multiplier les terrains de jardins partagés en ville, des endroits «favorables à la diversité des pollinisateurs».
Surtout, l'auteur appelle à une véritable révolution du modèle agricole. Par exemple, en renouant avec les haies bocagères, qui ont réduit comme peau de chagrin avec le remembrement agricole et le développement de la céréaliculture intensive. Il recommande (sans surprise) de développer l'agriculture biologique, moins gourmande en pesticides. Enfin, Dave Goulson appelle à financer le réensauvagement de la planète. Quand on laisse faire, la nature se régénère.
Livre: Terre silencieuse. Empêcher l'extinction des insectes, traduit par Ariane Bataille, éditions du Rouergue, 400 pages, 23,80 euros.
Photo: Les insectes rendent de merveilleux services aux écosystèmes. © Solas Stein/dpa picture-alliance via AFP
Pour accéder et lire les articles cités en annexe: https://www.lepoint.fr/debats/pourquoi-la-disparition-des-insectes-doit-nous-preoccuper-21-04-2023-2517297_2.php
Par Kévin Badeau
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Posté Le : 10/06/2023
Posté par : akarENVIRONNEMENT
Ecrit par : Par Kévin Badeau
Source : https://www.lepoint.fr/