Un rapport publié le 18 décembre met en avant l’inefficacité des politiques d’adaptation mises en œuvre pour la biodiversité dans le monde. Les experts mettent en avant les bonnes actions déjà menées et à prendre en exemple.
Quand les scientifiques du monde entier invitent les États à faire la révolution... Selon les experts du «Giec de la biodiversité», «un changement transformateur» est «urgent, nécessaire et difficile, mais possible», afin «de sauvegarder la vie sur Terre». Tel est le message clé du rapport sur «Les causes sous-jacentes de la perte de biodiversité, les facteurs déterminants du changement transformateur et les options pour réaliser la vision 2050 pour la biodiversité» de la Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES), présenté mercredi 18 décembre en Namibie.
Le résumé pour les décideurs, long de 49 pages, est le résultat de trois ans de travaux menés par 165 experts du monde entier, validés par quelque 150 pays. Il vient compléter le rapport Nexus, publié la veille, qui documente l’ampleur de la crise écologique actuelle frappant à la fois le climat, l’eau, la santé, la biodiversité... Le message de ce second rapport consacré aux solutions est clair et radical: pour sauver notre environnement — et nous-mêmes, au passage —, les vieilles recettes ne suffiront pas. Il faut tout changer, y compris nos organisations sociales inégalitaires et nos représentations de la nature.
- Politiques inadéquates et institutions inadaptées
«L’un des défis majeurs que nous avons identifiés dans la littérature est la persistance des relations de domination forgées pendant les périodes coloniales, qui continuent aujourd’hui à influencer la façon dont nous organisons la société», a expliqué Karen O’Brien, professeure de sociologie et de géographie humaine à l’université d’Oslo (Norvège) et coprésidente du rapport, lors d’une présentation à la presse, mardi 17 décembre.
Elle a également pointé les inégalités économiques et politiques, des politiques inadéquates et des institutions inadaptées, un manque de coordination des systèmes de connaissance et d’innovation, des systèmes de consommation et de production non durables à l’échelle mondiale, ainsi que «des habitudes et pratiques individuelles qui sapent les systèmes de soutien à la biodiversité» et un accès limité aux technologies propres.
Ces freins sont les manifestations d’un lien profondément dysfonctionnel à notre environnement. «Il est important que les changements transformateurs s’attaquent aux causes sous-jacentes de la perte de la biodiversité et au déclin de la nature, a précisé Karen O’Brien. Et cela concerne en grande partie notre relation, notre séparation et notre domination des hommes sur la nature.»
- Arrêt des subventions les plus néfastes
Les auteurs du rapport proposent cinq stratégies pour rectifier le tir: la conservation et la régénération des milieux naturels; la mise en œuvre de changements systémiques dans les secteurs les plus responsables de la perte de biodiversité (agriculture, sylviculture, mines, pêche...); la transformation des secteurs économiques en faveur de la nature et de l’équité; la transformation des systèmes de gouvernance; la modification des points de vue et des valeurs de la société, afin de privilégier les interconnexions fondamentales entre l’homme et la nature.
Parmi les actions concrètes à mettre en œuvre, les auteurs du rapport préconisent l’arrêt des subventions les plus néfastes pour l’environnement. D’après le résumé, les subventions contribuant à la destruction de la nature étaient comprises entre 1.400 et 3.300 milliards de dollars en 2023 (entre 1.333 et 3.142 milliards d’euros). Les secteurs les plus arrosés étaient l’agriculture (entre 520 et 851 milliards de dollars) et les combustibles fossiles (entre 440 et 1.260 milliards de dollars).
La même année, le coût des pollutions de l’air et de l’eau et la destruction des sols causés par ces activités était estimé à 10.700 milliards de dollars. En comparaison, entre 135 et 156 milliards de dollars avaient été consacrés à la conservation de la biodiversité. Bien loin des 722 à 967 milliards de dollars que les auteurs estiment nécessaires pour maintenir l’intégrité des écosystèmes.
- Plus de 400 exemples positifs
Le résumé regorge de bons exemples déjà mis en place, notamment en agroécologie. «Nous avons recueilli plus de 850 visions favorables au changement et près de 400 exemples: la réserve nationale du Masai Mara au Kenya, la gestion communautaire de l’eau au Népal, la résilience des éleveurs du nord de la Patagonie, au Chili...», a énuméré Lucas Garibaldi, professeur à l’université nationale de Río Negro à Viedma (Argentine) et coprésident du rapport.
. La gestion communautaire de l’eau au Népal est citée comme un exemple à suivre par le rapport. Wikimedia Commons / CC BY-SA 3.0 / Sergey Ashmarin (Voir photo sur site ci-dessous)
Ces derniers ont ainsi résisté à dix années de sécheresse et à une chute massive de cendres volcaniques en 2011 en se diversifiant, en s’appuyant sur des variétés locales et adaptées et sur leurs connaissances et en prenant les décisions conjointement entre époux, lit-on dans le résumé.
Les auteurs du rapport invitent ainsi à s’inspirer des peuples autochtones et des communautés locales, déjà associées à la gouvernance forestière en Guyane ou à la gestion côtière au Chili.
«Nous devons nous inspirer de ces exemples, car c’est là que réside notre espoir pour l’avenir»
Ce «changement transformateur» peut donc être mené de manière très concrète. Il est d’ailleurs déjà à l’œuvre un peu partout dans le monde. «Depuis le Covid, et même avant, nous voyons tant d’exemples inspirants de groupes d’acteurs, des jeunes, des femmes, des peuples autochtones qui remettent en question le statu quo et essaient d’apporter le changement, a observé Arun Agrawal, chercheur à l’université du Michigan à Ann Arbor (États-Unis) et coprésident du rapport. Nous devons nous inspirer de ces exemples, car c’est là que réside notre espoir pour l’avenir.»
Mais aussi à protéger les défenseurs de l’environnement. Le résumé mentionne ainsi une analyse de 2.802 mobilisations sociales environnementales menées entre 1992 et 2002: 54 % auraient abouti à des solutions réformistes (mise en œuvre de solutions techniques, application de réglementations existantes, compensations) et 19 % auraient même entraîné le retrait, l’annulation ou la suspension de l’activité à l’origine de la mobilisation.
. Les auteurs du rapport invitent ainsi à s’inspirer de la gestion côtière au Chili. Pexels / CC0 / Marcelo Gonzalez (Voir photo sur site ci-dessous)
«Pourtant, nous constatons que près de 2.000 défenseurs de l’environnement ont été tués entre 2012 et 2023. Les efforts déployés par les gouvernements pour protéger, soutenir et encourager le travail des défenseurs de l’environnement peuvent faire une énorme différence dans la manière dont nous provoquons et obtenons un changement transformateur», a insisté Lucas Garibaldi.
Tous les acteurs — citoyens, entreprises et surtout gouvernements — sont invités à mettre la main à la pâte dans cette perspective révolutionnaire. Mais quelles sont les chances d’aboutir, dans un contexte politique marqué par l’élection de plusieurs dirigeants climatosceptiques —Donald Trump aux États-Unis, Javier Milei en Argentine, pour ne citer qu’eux — et par l’échec de la COP29 de Bakou?
Les coprésidents l’assurent, leur résumé des décideurs a été approuvé par les États membres de l’ONU. Ils avancent aussi un intérêt économique: le changement transformateur préconisé pourrait engendrer 2.010 milliards de dollars d’opportunités commerciales et créer 395 millions d’emplois. Une décennie supplémentaire d’inaction, elle, coûterait le double.
Photo: La gouvernance forestière en Guyane est citée comme un bon exemple à suivre pour le changement des pratiques. - Wikimedia Commons / CC BY-SA 4.0 / Melanie Dinane
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Par Émilie Massemin
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Posté Le : 25/12/2024
Posté par : akarENVIRONNEMENT
Ecrit par : Par Émilie Massemin - 18 décembre 2024
Source : https://reporterre.net/