Virginie et Xavier, paysans-herboristes depuis cinq ans en Ille-et-Vilaine, viennent de s’installer à Notre-Dame-des-Landes. Un choix dicté par le désir d’imaginer d’autres possibles.
Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique) reportage
C’est le premier jour de l’hiver à la Zad de Notre-Dame-des-Landes. La température est plutôt douce, mais le soleil, lui, reste invariablement caché derrière l’épaisse couche de grisaille. Côté ouest de la zone, à deux pas de la ferme de Bellevue, une parcelle fait sa mue depuis quelques mois. À l’entrée, un grand hangar et des outils disposés pêle-mêle. Une centaine de mètres derrière, plusieurs rangées de plantes aromatiques et médicinales. Certaines — comme la verveine — sont recouvertes par un voile. D’autres, tels le romarin et la sauge, moins farouches, résistent au froid. La paille, un peu partout, protège le sol. Nous sommes au Très petit jardin bio de Virginie Philippe et Xavier Richard. Le couple nous invite à l’intérieur de sa caravane. L’odeur de café et des galettes sur le billig fumant réchauffent le petit intérieur. Aux murs, une carte illustrée de la Zad et l’affiche-manifeste «Les 6 points pour l’avenir de la Zad – Parce qu’il n’y aura pas d’aéroport». Sur la table, la dernière édition du Zad news, journal réalisé par des habitants.
Virginie, 45 ans, et Xavier, 51 ans, se sont installés ici, petit à petit, à partir du printemps dernier. Ils sont paysans herboristes depuis 2012 et ont fait un choix singulier et risqué. Établis à Sainte-Anne-sur-Vilaine, à une cinquantaine de kilomètres au nord de Notre-Dame-des-Landes depuis cinq ans, ils ont déménagé leur activité à la Zad en 2017, sur un terrain d’un hectare.
«On loue également une petite maison en dehors, notamment pour stocker nos plantes séchées, car ici le séchoir n’est pas encore terminé et elles risqueraient de prendre l’humidité», précise Xavier.
Il leur a fallu déplanter — et replanter — toutes leurs espèces (70 en tout), en prenant soin de bien choisir le moment pour ne pas les tuer. S’ils se sont embarqués dans cette aventure, c’est parce qu’ils sont contre le projet d’aéroport, bien sûr, mais aussi pour envoyer un signal fort, montrer qu’on peut fonctionner autrement, dans une dynamique collective.
«Le projet qui se construit ici depuis dix ans est enthousiasmant»
«Le projet qui se construit ici depuis dix ans est enthousiasmant. Il répond aux trois crises — écologique, énergétique et sociale — que nous vivons et dont notre société n’arrive pas à se saisir. On imagine d’autres possibles. Là, les gens pensent que tout n’est pas foutu. Et malheureusement, des projets qui donnent espoir d’un monde meilleur, dans notre société, il y en a peu…» résume Xavier, voix calme et mots toujours bien choisis.
Un pari militant ?
«Oui, mais je crois que le mot n’est pas suffisant. En fait, on ne milite pas pour qu’il y ait des changements, on est — ou du moins, on essaye d’être — le changement. On ne se bat pas contre le gouvernement, on se bat pour que les générations futures puissent vivre, pour qu’on ne crame pas toutes les ressources, pour que les inégalités ne s’accroissent pas», poursuit Virginie dans un sourire bienveillant.
«Bien sûr, on sait que les notions de démocratie directe et d’autogestion sont encore difficiles à partager — et peuvent faire peur — avec la majorité de la population. Certains pensent que c’est juste de la rébellion contre l’autorité.»
Le couple, séparément puis ensemble, est lié à la Zad depuis longtemps. Virginie a notamment fait partie de l’organisation du Camp action climat en 2009.
«C’est là qu’on s’est croisés pour la première fois», sourient-ils.
Ils sont depuis venus régulièrement visiter des amis et étaient présents, en 2012, lors de la violente tentative policière d’évacuation. À l’époque, Xavier, père d’une jeune ado, a choisi de ne pas s’installer à la Zad pour ne pas s’éloigner de sa fille, dont il s’occupait alors en garde partagée.
«Quant à moi, le squat me faisait peur et j’avais aussi en projet d’avoir un enfant», précise Virginie.
C’est finalement l’an dernier qu’ils ont décidé de franchir le pas.
Des paysans, ici, il y en a d’autres, mais ce sont les seuls à avoir déménagé une activité déjà installée ailleurs.
«Quand nous sommes venus présenter notre projet à Sème ta Zad [qui appelle à cultiver les terres collectivement], l’accueil a été froid puisque le collectif craignait le côté marchand de notre activité, dans la mesure où l’on vend nos tisanes, sirops et cosmétiques sur le marché à Nantes, en Biocoop, et dans des groupements d’achat. Leur crainte était que des personnes s’installent dans une logique de profit individuel. Après discussions et explications, sur le fait notamment qu’on travaille de manière non mécanisée, mais aussi qu’on a une culture commune d’autogestion, notre démarche a été comprise», dit Virginie.
Désormais, le couple participe aussi au «non-marché» hebdomadaire de la Zad, où l’on trouve toutes les denrées produites par les paysans, gratuitement ou à prix libre.
«Le fait de rejoindre la Zad nous a aussi fait changer. On propose désormais des cueillettes sauvages collectives et chaque semaine des chantiers ouverts à tous. C’est pour nous une occasion de transmission. Certaines personnes viennent, ne connaissent pas forcément grand-chose au jardin, n’ont parfois jamais mis les mains dans la terre. Alors, on discute et on partage. Ça nous apprend aussi beaucoup, puisqu’on n’avait pas l’habitude d’expliquer, de raconter ce que l’on fait. On s’est rendu compte qu’on s’était peu à peu isolés à Sainte-Anne-sur-Vilaine», détaillent-ils sans se quitter du regard.
«S’il se passait quelque chose, on perdrait tout ce qu’on a investi, qui n’est rien d’autre que ce que l’on a»
C’est le cas ce jeudi-là. À 14 h tapantes, cinq volontaires — de passage pour quelques jours à la Zad pour la plupart — arrivent au jardin. Après une tisane partagée dans le séchoir en construction, la petite troupe débute les tâches du jour: dérouler le round baller pour pailler les rangées de plantes et désherber.
Le couple de paysans-herboristes a une idée en tête: que tout soit fin prêt pour le tout début du printemps, temps des premières récoltes. L’éventuelle évacuation de la Zad est-elle dans leurs têtes?
«S’installer ici, c’était un risque conscient, mais on apprend à affronter nos peurs. S’il se passait quelque chose, on perdrait tout ce qu’on a investi, qui n’est rien d’autre que ce que l’on a. On a parfois ici un seul exemplaire de telle ou telle variété de plantes. Malgré tout, de mon côté, certaines de mes affaires sont stockées dans la petite maison qu’on a louée. J’avais besoin de ça pour mon “confort” personnel», explique Virginie.
Le couple se rappelle aussi 2012.
«Cette année-là, on a gagné, l’évacuation n’a pas eu lieu. Ça donne de la force.»
De la force sans «boules de pétanque hérissées de lames de rasoir» ou «pièges dissimulant des pieux» — comme on a pu le lire récemment dans la presse —, ironisent-ils.
«Bon, on en rigole, mais ce n’est pas très drôle… On pense aussi à la résistance et au courage de ceux qui sont installés ici depuis longtemps, qui ont lutté, de diverses manières, pour préserver ces terres. Là, vous voyez, aujourd’hui, des avions pourraient être en train de décoller, on est précisément sur le trajet de la piste. Ils ont mis leur vie et ce qu’ils avaient en danger pour sauver un bien commun, on ne va pas lâcher maintenant.»
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Claire Baudiffier (Reporterre)
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Posté Le : 12/01/2018
Posté par : akarENVIRONNEMENT
Ecrit par : 10 janvier 2018 / Claire Baudiffier (Reporterre)
Source : reporterre.net