Le nombre de maladies transmises par les animaux à l’homme a explosé ces cinquante dernières années. Après la Covid-19, c’est aujourd’hui la variole du singe, qui commence peu à peu à se répandre un peu partout dans le monde, qui fait parler.
Si de nombreux spécialistes cherchent à tempérer la situation, d’autres craignent néanmoins que tous les facteurs favorables à une pandémie soient réunis, à savoir la déforestation, les élevages intensifs d’animaux et une grande densité de population.
- D’abord la déforestation…
Pour Bensaïd Sahraoui, enseignant chercheur en écologie et patrimoine forestier à l’Université des sciences et de la technologie Houari Boumediène, la déforestation a eu un impact fort sur la destruction des habitats animaliers, ce qui a conduit à la disparition de certains et la migration d’autres vers d’autres milieux, ce qui les a de plus en plus rapprochés de l’homme. «L’exemple le plus proche de nous reste le singe magot que l’on retrouve en périphérie des villes ou certains villages en Kabylie, notamment à Béjaïa.»
Selon le chercheur, si ces animaux sont porteurs de virus inoffensifs pour eux, ils peuvent les transmettre à l’homme, la barrière pouvant être franchie facilement ou bien suite à des mutations. D’ailleurs, de récentes études ont démontré que les cartes de la déforestation avec celles des épidémies se superposent. Cela prouve donc que la déforestation implique la perte de biodiversité et entraîne plus d’épidémie.
A cet effet, M. Sahraoui explique: «Les cartes de la déforestation et des épidémies se superposent, car la disparition des forêts impacte les habitats d’animaux sauvages qui se rapprochent dangereusement des lieux de vie de l’homme et peuvent transmettre des maladies jusque-là inconnues.» La déforestation permet donc la dilution naturelle des virus. Les animaux survivants se déplacent, s’approchent des zones habitées et des élevages d’animaux génétiquement uniformes.
Ce qui est une aubaine pour les virus qui se diffusent bien plus rapidement au sein des troupeaux que si les espèces étaient variées. «Un mammifère comme le cochon est à 95% génétiquement identique à l’homme. Il va permettre au virus de ‘‘s’humaniser’’ puis de nous contaminer», prévient-il. Par ailleurs, la déforestation joue également un rôle important dans les changements climatiques.
En effet, selon le chercheur, l’augmentation des températures entraînera certainement une migration de certaines espèces animales, à l’instar des moustiques. «Des régions entières peuvent être impactées. A titre d’exemple, la dengue, transmise par les moustiques, a fait son apparition dans des régions jusque-là épargnées ou encore le moustique tigre, jusque-là inconnu au nord de l’Algérie, a fait son apparition dans la région algéroise», poursuit M. Sahraoui. Ce dernier confie que l’Institut Pasteur est en train d’élaborer une cartographie de la prolifération de ce moustique qui peut transmettre certains virus pathogènes pour l’homme tels que la dengue, le chikungunya ou le zika.
- Ensuite l’élevage intensif...
Selon les spécialistes, il existe une relation directe entre déforestation, élevage intensif et prolifération des pandémies. Ayant perdu leur habitat naturel, les animaux sauvages se rapprochent de l’homme et par conséquent des élevages intensifs, standardisés et uniformisés sur le plan génétique. «Avec un faible potentiel génétique, ces animaux d’élevage sont très vulnérables au virus provenant d’animaux sauvages», explique M. Sahraoui. Autrement dit, cette sélection massive dans les élevages intensifs entraîne une forte érosion génétique facilitant la circulation des virus dans ces derniers et le contact homme-animaux d’élevage permet la contamination de population entière.
- Et enfin, l’agriculture massive
Les dernières recherches font état que plus de 50% des zoonoses qui ont fait leur apparition depuis les années 1940 sont associées à l’agriculture. A cet effet, Djamel Belaïd, ingénieur agronome, assure qu’une récente étude a conclu que l’exploitation des terres pour l’agriculture intensive, qui rapproche les animaux sauvages, dont l’habitat est dérangé, de l’homme, rend plus probable la survenue de pandémies, comme celle du Covid-19 et aujourd’hui peut-être de la variole du singe. Toutefois, l’utilisation des terres pour l’agriculture s’étend chaque année, souvent au détriment d’écosystèmes.
Et cette pression serait, selon M. Belaïd, plus importante vu que la population mondiale augmente. Néanmoins, le spécialiste soulève un autre facteur qu’il estime important à prendre en considération qu’est le changement des habitudes alimentaires. Il y a eu d’abord la sortie des pénuries avec augmentation de la consommation de céréales du fait du progrès agricole puis diversification alimentaire.
La consommation de céréales a alors diminué au profit du sucre, de graisses et de protéines animales (viande). «Ainsi en Chine, entre 1978 et 1994, la consommation de viande a triplé. Ces dernières 50 années, c’est également le cas de l’Algérie où la consommation de viande a triplé», assure M. Belaïd. Ce dernier explique qu’en Europe, suite à l’apparition de maladies métaboliques (hypertension, hypercholestérolémie, diabète) une troisième phase a vu le jour.
Elle se caractérise par la consommation de plus de protéines d’origine végétales. D’ailleurs, le spécialiste estime que comme de nombreux pays émergents se trouvent en phase II, on pourrait penser que dans les décennies à venir, la pression sur les terres va se poursuivre.
Pression sur la forêt amazonienne pour la production de maïs et de soja, pression en Asie pour la production de palmier à huile. C’est pourquoi, M. Belaïd estime nécessaire de revoir la façon dont les terres sont exploitées. Un exemple intéressant mériterait d’être largement suivi. Il s’agit de l’Inde. Malgré une phase nutritionnelle de type II, la consommation de viande est restée faible : 5 kg par personne en 2009 contre 54 kg en Chine.
«L’explication vient d’une plus grande consommation de légumes secs en Inde, notamment de pois chiche. Ce pays en produit annuellement plus de 7 millions de tonnes quand l’Australie, deuxième producteur mondial, n’arrive à en produire que 0,8 million de tonnes. «Le cas de l’Inde s’explique par des traditions alimentaires particulières et donc un faible impact sur la déforestation. Le cas de ce pays mérite d’être pris en considération», conclut M. Belaïd.
- Cas de la bactérie Borelia
Dans le cas de la maladie de Lyme, provoquée par la bactérie Borreliaburgdorferi, M. Belaïd assure que le vecteur est la tique. A noter qu’une étude de l’université de Wageningen aux Pays-Bas a montré qu’il y avait 20 fois moins de tiques infectés en présence de renards.
Ces derniers régulent les populations de petits rongeurs (campagnol, mulots, souris) hébergeant la bactérie. «La bactérie incriminée est présente en Tunisie et en Algérie», affirme M. Belaïd.
Expliquant que l’absence de haies et de bosquets d’arbres dans les zones céréalières de l’intérieur du pays ne permettent pas le minimum de maintien des renards et la régulation des petits rongeurs. «Ainsi, un petit rongeur telle la gerboise, potentiellement réservoir de la bactérie Borelia, prolifère actuellement dans les champs de blé», prévient-il.
Sofia Ouahib
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Posté Le : 29/05/2022
Posté par : akarENVIRONNEMENT
Ecrit par : Sofia Ouahib
Source : elwatan-dz.com du jeudi 26 mai 2022