Jacob Cohen est un politologue et écrivain franco-marocain politiquement engagé contre le sionisme et pour une Palestine libre et unie. Il nous livre ici son analyse au sujet du conflit israélo-palestinien. Il explique pourquoi Netanyahou refuse la trêve et révèle les raisons de l’“empathie” de l’administration de Joe Biden à l’égard d’Israël. Selon lui, le destin de Gaza se jouera autrement avec l’implication de l’Égypte – vers la constitution d’un “bantoustan” à l’image du projet de l’Afrique du Sud de l’apartheid pour ses populations noires. Ce plan officialisé par Trump a quasiment l’aval de la communauté internationale.
- Liberté: L’armée israélienne frappe indistinctement Gaza, n’épargnant ni maison ni infrastructures de base. Pourquoi cette subite offensive contre les populations palestiniennes et quels liens peut-il y avoir avec la politique intérieure d’Israël?
Jacob Cohen: Le territoire de Gaza constitue une variable de la politique intérieure israélienne que le régime gère selon les intérêts du moment.
Il ne faut pas oublier que c’est Ariel Sharon qui a permis l’entrée des “islamistes” du Hamas à Gaza en 1982 pour affaiblir le mouvement nationaliste laïque. Depuis, les Israéliens ont réussi, avec un certain succès, à diviser ce qui reste de la Palestine en deux parties presque antagonistes. De même, Israël fera tout pour empêcher le retour de l’Autorité palestinienne à Gaza. Reste à gérer ce territoire en l’enfermant comme un immense camp de concentration mais avec suffisamment de possibilités d’organisation militaire pour pouvoir lancer quelques rounds de temps en temps. Israël n’a plus beaucoup d’ennemis directs avec qui se frotter. Le Hamas est un bon sparring-partner. La “menace terroriste” qui vise à l’éradication d’Israël est un slogan qui n’a pas perdu de son effet. Il est aussi probable que Netanyahou, à qui le pouvoir allait échapper avec une nouvelle coalition de centre-gauche sur le point d’aboutir, ait favorisé cette escalade qui va lui permettre de reconstituer un gouvernement réunissant tous les partis de droite pour faire face à un danger sécuritaire existentiel.
- Les États-Unis ont encore une fois bloqué une déclaration commune du Conseil de sécurité de l’ONU condamnant les violences et affiché un parti pris en faveur d’Israël, en montrant une empathie à son égard pour “le droit de se défendre”.
Il faut partir du postulat suivant: les États-Unis sont et demeurent un allié stratégique d’Israël et ne feront absolument rien qui puisse le gêner véritablement. Trop d’intérêts unissent les deux pays. Israël a montré son efficacité en tant que chien de garde des intérêts américains dans la région. Les veto contre les résolutions condamnant le régime sioniste se comptent par dizaines. Il ne faut pas se leurrer sur quelques positions critiques adoptées ici ou là, notamment sous la présidence d’Obama. Le fond reste inébranlable. Et ce ne sont pas seulement des questions stratégiques. Le lobby sioniste a réussi à devenir l’un des plus puissants aux États-Unis, infiltrant non seulement la classe politique, mais la plupart des églises évangéliques qui combattent pour le Grand Israël. Par ailleurs, il doit y avoir au minimum 10.000 “sayanim”, ces juifs américains qui collaborent pour le Mossad et qui contrôlent le monde de la finance, des médias, du cinéma, de la télévision, des réseaux sociaux (le président de Facebook est un grand ami de Netanyahou). Certes, il y a quelques frémissements du côté des démocrates, mais on est loin du compte.
- Les massacres des civils ont eu pour effet d’accentuer les pressions sur les gouvernements occidentaux, mais ces derniers sont dans l’embarras, car condamner Israël peut être perçu comme un soutien à Hamas.
La propagande sioniste a réussi à faire du Hamas un mouvement “terroriste” qui veut la destruction d’Israël. On ne veut pas voir l’énormité de cette menace factice. Même les seules élections libres qui avaient eu lieu sur le territoire palestinien en 2006 sous l’égide des Européens et qui avaient vu la victoire démocratique du Hamas n’eurent pas de suite. Les nombreuses voix, dont celle de l’ancien président américain Jimmy Cater, assurant que le Hamas serait prêt à signer une paix véritable avec Israël ont été étouffées. Les gouvernements européens sont également tétanisés par le souvenir de l’holocauste nazi que le lobby judéo-sioniste réussit à entretenir et même à développer d’année en année. Ce lobby a également réussi à faire adopter par les principaux centres de pouvoir européens une définition de l’antisémitisme qui inclurait les critiques contre Israël. La lutte contre l’“antisémitisme” a pris un tour si obsessionnel en Europe que toute expression critique, ou même l’exigence d’une solution juste fondée sur la solution à deux États est faite avec une timidité qui frise le ridicule. Vous comprendrez que dans cette situation le régime sioniste est quasiment le maître de la marche des opérations.
- Pensez-vous que la paix soit possible ? Quels sont les scénarios possibles pour le conflit?
Une paix véritable basée sur la justice et le droit est quasiment impossible. Elle relève de l’illusion coupable. Dès le départ, l’idéologie sioniste a été envisagée comme ethniquement pure, incompatible avec le voisinage arabe. De là s’est aussi développé un sentiment de type colonial vis-à-vis du Palestinien avec tous les préjugés bien connus, et qui se renforce avec la dérive de la société israélienne vers l’extrémisme et le messianisme. Il existe un large consensus au sein de la société juive israélienne – malgré des déclarations pacifiques fallacieuses – d’empêcher à tout prix la constitution d’État palestinien libre et indépendant. D’ailleurs, les conditions actuelles – présence de 800.000 colons et souveraineté israélienne sur les 2/3 de la Cisjordanie – le rendent déjà impossible. Israël est en train de diriger les Palestiniens de Cisjordanie – le destin de Gaza se jouera autrement avec l’implication de l’Égypte – vers la constitution d’un “bantoustan”, à l’image du projet de l’Afrique du Sud de l’apartheid pour ses populations noires. Ce plan officialisé par Trump a quasiment l’aval de la communauté internationale – toutes les grandes puissances et l’Europe malgré les belles déclarations – ainsi que de la plupart des pays arabes. Ce plan s’est mis en place dès les accords d’Oslo et on peut regretter que les dirigeants de l’Autorité palestinienne ne l’aient pas vu ou ne veuillent pas le voir ou sont trop lâches pour le voir. C’est le scénario qui paraît le plus probable à moyen terme. À moins que l’Autorité palestinienne s’effondre, volontairement ou sous la pression populaire, pour laisser place à un combat semblable à celui de l’Afrique du Sud, un homme une voix, l’égalité pour tous dans un seul État.
Ce n’est pas une perspective illusoire. C’est un combat qui a toutes les chances de rencontrer un écho universel. À long terme, je crois que le régime sioniste – avide de puissance et de domination, obsédé par la conquête de l’autre rive du Jourdain, du Sud-Liban, et par l’élargissement de “son” Golan, suscitant l’écœurement grandissant des générations montantes en Occident et le réveil des peuples arabes, et soumis à ses contradictions internes intenables – disparaîtra d’une région dans laquelle il n’avait jamais eu sa place.
Photo: Jacob Cohen, politologue et écrivain franco-marocain. © D.R
Entretien réalisé par : Amar RAFA
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Posté Le : 23/05/2021
Posté par : akarENVIRONNEMENT
Ecrit par : Entretien réalisé par Amar RAFA
Source : liberte-algerie.com du samedi 22 mai 2021