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Planète - Omar Baddour, météorologue: «L’Afrique du Nord s’est déjà habituée aux vagues de chaleur que découvre l’Europe»



Planète - Omar Baddour, météorologue: «L’Afrique du Nord s’est déjà habituée aux vagues de chaleur que découvre l’Europe»


Faute de données statistiques, le nombre de morts lié aux événements climatiques extrêmes reste une inconnue en Afrique, explique, dans un entretien au «Monde», Omar Baddour, expert de l’Organisation météorologique mondiale.

La vague de chaleur en provenance du Sahara qui frappe l’Europe du Sud met aussi à l’épreuve les pays d’Afrique du Nord, où des records de températures ont été relevés, notamment dans le centre de l’Algérie et le sud du Maroc. Ce qui est perçu comme un phénomène nouveau au nord de la Méditerranée s’est déjà inscrit dans une forme de normalité sur la rive sud, explique Omar Baddour, responsable de la division des services de surveillance du climat et des politiques climatiques de l’Organisation météorologique mondiale (OMM). Mais à la différence de l’Europe, l’incidence de ces événements climatiques extrêmes sur la santé et la mortalité reste méconnue, faute de données statistiques.

- La vague de chaleur qui frappe l’Europe du Sud est-elle ressentie de manière aussi sévère en Afrique?

Le continent est régi par différents régimes climatiques, mais pour ce qui est des vagues de chaleur, elles se manifestent avant tout au-dessus de la ligne tropicale dans l’hémisphère nord, c’est-à-dire dans la zone qui va du Sahara jusqu’à la Méditerranée. La vague de chaleur que connaît l’Europe provient d’ailleurs directement du Sahara. Ses conséquences sont moins perceptibles dans les zones désertiques, déjà quasiment inhabitées en dehors de quelques populations nomades qui les traversent, que dans les régions méditerranéennes, où elles posent de véritables problèmes, en particulier pour l’agriculture.

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Nous parlons d’écart aux moyennes saisonnières allant de 4 °C à 10 °C. Des bulletins d’alerte ont été émis par les services météorologiques de plusieurs pays du Maghreb en raison de températures atteignant 47 °C ou 48 °C. Mais contrairement à l’Europe du Sud, cela fait déjà plusieurs années, sinon des décennies, que ces températures ne sont plus exceptionnelles. L’Afrique du Nord est la région du continent qui se réchauffe le plus vite. Dans les années 1970, 42 °C étaient considérés comme une forte chaleur. C’est aujourd’hui une valeur perçue presque en deçà de la moyenne saisonnière en été.

- De quelle manière le retour du phénomène climatique El Nino, annoncé il y a quelques jours par l’OMM, pourrait-il se traduire en Afrique?

L’impact de ce phénomène est complexe et opposé d’une région à une autre. En Afrique de l’Est, El Nino coïncide généralement avec des pluies plus abondantes à partir du mois de septembre, c’est-à-dire au moment où commence la «petite» saison des pluies dans cette zone. Cela pourrait soulager les pays de la Corne – Ethiopie, Somalie, Kenya –, qui subissent depuis plusieurs années une sécheresse prolongée dont le coût est très important en termes d’insécurité alimentaire, de pertes de troupeaux et de récoltes.

. Lire aussi: Le réchauffement climatique accélère la sécheresse record dans la Corne de l’Afrique (A lire sur site)

Les connaissances que nous avons de son incidence sur l’Afrique du Nord sont beaucoup moins établies. Beaucoup d’études ont été réalisées sans apporter de résultats clairs. En cas de phénomène El Nino prononcé, il semble toutefois que cela conduise à une diminution de la pluviométrie au printemps, qui est la période critique pour la croissance des cultures céréalières. Si cela se confirme, ce n’est pas une bonne nouvelle.

- Alors que l’Afrique du Nord est écrasée par la chaleur, de la neige est tombée à Johannesburg pour la première fois depuis onze ans. Faut-il y voir aussi une conséquence du dérèglement climatique?

Beaucoup de changements sont en train de se produire dans la zone antarctique, dont le climat de l’Afrique australe dépend pour beaucoup. Et nous devons admettre que pour l’instant, nous n’en comprenons pas toute la portée. Par le passé, des chutes de neige sont déjà survenues; et si elles sont inhabituelles, elles sont néanmoins possibles d’un point de vue météorologique. Il est donc difficile aujourd’hui de faire un lien avec le dérèglement climatique.

- Les récentes vagues de chaleur ont provoqué une surmortalité importante en Europe. Qu’en est-il en Afrique?

Si la canicule de 2003 a permis à l’Europe de prendre conscience qu’il fallait se doter d’outils de surveillance et de mesure plus performants, ce n’est pas le cas en Afrique. Comme partout, ce sont les personnes les plus vulnérables qui paient le prix le plus fort des vagues de chaleur, mais il n’existe aucune statistique de cette mortalité additionnelle.

- Est-ce un problème d’outils de prévisions climatiques?

Tous les pays africains disposent aujourd’hui des moyens d’anticiper les vagues de chaleur, de froid ou de précipitations intenses. Il existe des modèles régionaux fiables. En revanche, l’impact de ces épisodes extrêmes n’est pas mesuré. Ce devrait être pourtant une priorité pour pouvoir élaborer des politiques de prévention et d’adaptation.

. Lire aussi: «Tout le monde ne pourra pas s’adapter»: à Madagascar, le changement climatique ébranle les paysans des Hautes Terres (A lire sur site)

Il faut pour cela pouvoir coupler des modèles climatiques avec des données sur la santé, sur les systèmes agricoles, sur les migrations… En Europe ou aux Etats-Unis, par exemple, on utilise des systèmes qui permettent de connaître l’incidence des fortes chaleurs sur la santé à partir de certains seuils. Cela suppose d’engranger pendant plusieurs années des données locales auprès des populations cibles les plus vulnérables.

Le programme «Early Warning for All», lancé au printemps par le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, et dont l’OMM assure le pilotage, a pour objectif de combler ce manque. Il est capital de doter tous les pays, en particulier les plus vulnérables, de systèmes d’alerte précoce pour réduire le nombre de morts et les pertes économiques liés aux événements climatiques extrêmes, qui vont se multiplier.

- Au lendemain du sommet de Paris sur le climat, en 2015, des efforts importants avaient été promis pour améliorer les systèmes d’observation climatique dans les pays les plus vulnérables et en particulier en Afrique. Qu’en est-il aujourd’hui?

L’Afrique reste le continent avec le réseau d’observation le moins dense. Des efforts importants ont été réalisés et il est devenu relativement facile d’installer des stations météorologiques automatisées même dans des lieux reculés. Toutefois, ces stations demandent une maintenance et un calibrage régulier qui n’a pas toujours été assuré. En conséquence de quoi des milliers de stations ne sont plus en état de fonctionnement quelques années plus tard. Il ne suffit pas d’équiper les pays, il faut prévoir des programmes de formation et de renforcement de capacités pour qu’ils soient en mesure de les entretenir. A l’avenir, les bailleurs de fonds étrangers qui financent ces programmes devraient y veiller.





Photo: Un cultivateur marche au milieu d’orangers victimes de la sécheresse près d’Agadir, en octobre 2020. FADEL SENNA / AFP

Pour accéder et lire les articles cités en annexe: https://www.lemonde.fr/afrique/article/2023/07/17/l-afrique-du-nord-s-est-deja-habituee-aux-vagues-de-chaleur-que-decouvre-l-europe_6182312_3212.html

Laurence Caramel


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