Algérie - Ecologie

Planète (Niger/Afrique) - Tony Rinaudo, l’agronome qui fait repousser les arbres du Sahel



Planète (Niger/Afrique) - Tony Rinaudo, l’agronome qui fait repousser les arbres du Sahel


Le combat de l’Australien pour la régénération naturelle des arbres, qui permet de reboiser des terres dégradées sans nécessité de replanter, est au cœur d’un documentaire du cinéaste Volker Schlöndorff.

Pour les communautés nigériennes parmi lesquelles il a vécu dix-neuf ans, il est le «paysan blanc fou». Tony Rinaudo, agronome australien âgé de 65 ans, a consacré sa vie à la régénération naturelle des arbres en Afrique. Doté d’une forte capacité de conviction et équipé, pour seul outil, d’une machette, Tony Rinaudo a été à l’initiative d’un mouvement de reforestation massive des terres arides du Niger entamé il y a quarante ans et qui a permis de restaurer plus de 5 millions d’hectares de terres et faire pousser 200 millions d’arbres, le tout sans planter le moindre spécimen, en permettant simplement aux souches de se régénérer.

Ce combat est au cœur d’un documentaire du cinéaste allemand Volker Schlöndorff, programmé sur Arte jeudi 17 novembre: The Forest Maker. L’homme qui ressuscite les arbres. Dans ce long-métrage, le réalisateur octogénaire, oscarisé pour son film Le Tambour (1979), part à la rencontre des communautés, qui, grâce aux principes de la régénération, ont reboisé leur environnement avec simplement quelques tailles précises et en valorisant la présence des arbres. Un principe bien moins coûteux que les programmes de plantation, et bien plus efficace, assure Tony Rinaudo, que Le Monde a rencontré lors d’un déplacement à Paris, en octobre.

Tony Rinaudo n’a qu’une vingtaine d’années quand, fraîchement diplômé en agronomie, il a l’opportunité de travailler pour une organisation non gouvernementale (ONG) au Niger. Le natif d’une zone rurale de l’Etat de Victoria n’hésite pas longtemps, d’autant que son épouse, agronome également, accepte de le suivre avec leur bébé. Ils s’installent dans le district de Maradi, apprennent le français et le haoussa, et verront leurs trois autres enfants naître au Niger.

- «Au bord de la rupture écologique»

Au début des années 1980, le pays sort d’une longue période de sécheresses et de famine. Ses terres sont très dégradées, exposées aux vents depuis que les arbres de la brousse sont rasés pour faire place nette aux cultures. La mission initiale de l’Australien consiste en un classique programme de plantations d’arbres devant servir de pare-vent pour éviter que les récoltes disparaissent sous les tempêtes de sable. «L’objectif était de planter 6.000 à 8.000 arbres par an. Cela peut paraître peu, mais rien que ça, c’était un échec, confie-t-il. Quatre-vingts pour cent à 90 % des arbres mouraient.»

Pour les populations locales, planter des arbres était une aberration. «Ils me demandaient: pourquoi planter des arbres sur nos précieuses terres, alors qu’on souffre déjà de la faim et de la misère? Mais sans arbre sur ces terres, la fertilité des sols aurait décliné, et l’agriculture n’aurait plus été viable. On était déjà au bord de la rupture écologique.»

. Lire aussi: Une forêt a poussé sur des cailloux: au Niger, la Grande Muraille verte avance à petits pas (A lire sur site)

Après plusieurs années sans résultats sur le terrain, Tony Rinaudo songe à rentrer en Australie. «J’expérimentais, je consultais, rien ne marchait. Tout me semblait vain.» Un jour qu’il conduit sa camionnette à travers la savane, il doit s’arrêter pour vérifier la pression de ses pneus. «A 10 ou 15 mètres de moi, j’aperçois ce que je croyais être un buisson. En me rapprochant, j’observe ses feuilles: ce n’était pas un buisson, mais un arbre qui s’était couché, balayé par le sable. En apercevant sa souche, cela a fait tilt: tous ces buissons dans la savane, c’étaient les restes d’une forêt. Il n’y avait pas besoin de planter des arbres, ils étaient là, souterrains, il fallait simplement les faire repartir.»

« Au lieu de traiter la désertification comme un sujet technique, nous la traitons comme un enjeu social. Cela prend du temps, mais je suis têtu » Tony Rinaudo

Dès lors, le travail de l’Autralien change radicalement. Il ne s’agit plus d’arriver sur un territoire pour planter des arbres, mais de convaincre les communautés de la nécessité de protéger et restaurer la végétation existante. «Au lieu de traiter la désertification comme un sujet technique, nous la traitons comme un enjeu social. Cela prend du temps, mais je suis têtu.» L’agronome a à cœur de bâtir une relation de confiance avec les paysans qu’il rencontre. «J’explique aux communautés qu’en laissant des arbres sur leurs terres, elles ne renoncent à rien. Au contraire, c’est un investissement pour leur avenir, qui leur apportera de nombreux bénéfices: plus de récoltes, plus de plantes pour leur pharmacopée, plus de bois pour le feu, plus de fruits, plus de pollinisation, plus de protection contre les ravageurs, etc.»

- Très bons résultats

Avec le principe selon lequel la nature est capable de se régénérer si on cesse de la détruire, les idées de Tony Rinaudo montrent très vite de très bons résultats. «Dans les années de sécheresse, les récoltes étaient infiniment plus abondantes sous les arbres… Je ne sais pas comment le principe s’est disséminé, mais de paysan en paysan, le mot a circulé tant et si bien qu’en une vingtaine d’années, ce sont 200 millions d’arbres qui ont poussé au Niger, sans en planter un seul.»

. Lire aussi: Les arbres ressuscités de Talensi, dans le nord du Ghana (A lire sur site)

Aujourd’hui, Tony Rinaudo observe avec méfiance certains Etats annoncer des programmes massifs de plantations et chercher à battre des records d’arbres plantés en une seule journée. «Il faut regarder combien de ces arbres survivent plus d’un an: je peux garantir que le taux est très bas.» Malgré un coût minime (deux euros par hectare, quand les projets de plantation peuvent grimper jusqu’à 8.000 euros par hectare), la régénération naturelle reste encore sous-exploitée. «Pourquoi dépenser des millions dans des techniques de géo-ingénierie pour le climat, quand des solutions très simples, fondées sur la nature, peuvent amener une partie des solutions?, s’interroge Tony Rinaudo. Le cofondateur de la permaculture, Bill Mollison, disait que les solutions aux problèmes incroyablement complexes de la planète sont d’une simplicité embarrassante. Je rajouterais pour ma part que je ne trouve pas ça embarrassant, parce que ça marche.»

Même si les principes de la régénération ont essaimé bien au-delà du Niger – au Sénégal, au Ghana, en Ethiopie, en Indonésie… –, avec le soutien notamment de l’ONG de développement Vision du monde, Tony Rinaudo a conscience du travail de plaidoyer qu’il doit mener pour «éveiller les consciences». Sur les 3 milliards d’hectares de terres dégradées sur la planète, l’agronome rappelle que si on pouvait en restaurer 1 milliard, on séquestrerait 16 % à 25 % des gaz à effet de serre actuellement émis. Un potentiel énorme. «Quand je dis que la régénération est révolutionnaire, ça l’est vraiment», insiste Tony Rinaudo, qui refuse de perdre espoir. «Si on est dans l’action, on n’a pas le temps de se sentir découragé. Il n’est jamais trop tard pour agir», poursuit l’infatigable sexagénaire.



L’homme qui ressuscite les arbres, de Volker Schlondörff, 88 min, 2022. Diffusion sur Arte jeudi 17 novembre à 0 h 15 et sur Arte.tv.





Photo: Tony Rinaudo, en mars 2017, au Niger, taille un buisson pour permettre sa régénération. SILAS KOCH / WORLD VISION

Pour accéder et lire les articles cités en annexe: https://www.lemonde.fr/afrique/article/2022/11/16/tony-rinaudo-l-agronome-qui-fait-repousser-les-arbres-du-sahel_6150155_3212.html

Mathilde Gérard


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