Le village de Thame, au Népal, a été englouti par des coulées de boue le 16 août dernier. En cause: la rupture d’un lac glaciaire, qui menace encore.
Quelques secondes pour tout balayer. Le 16 août, aux alentours de 13 heures, une crue éclair et dévastatrice a englouti le village népalais de Thame, aux portes du mont Everest. Charriant une multitude de débris et de roches, les eaux boueuses ont dégringolé la vallée dans un fracas assourdissant. Les villageois ont à peine eu le temps de fuir en direction des hauteurs pour échapper au torrent éphémère, abandonnant la totalité de leurs biens. «Si cela s’était produit la nuit, les pertes humaines auraient probablement été inévitables», écrit The Himalayan Times.
Perchée à 3.800 m d’altitude, cette localité n’est pas étrangère aux férus d’alpinisme. Y a notamment grandi le sherpa Tensing Norgay, premier homme à avoir atteint le toit du monde en 1953 aux côtés de l’explorateur néo-zélandais Edmund Hillary. Apa et Kami Rita, deux autres sherpas détenteurs tour à tour du record du nombre d’ascensions, habitent la commune, où défilent encore aujourd’hui nombre d’alpinistes partant à la conquête des 8.848 m du sommet le plus mythique de l’Himalaya.
Par chance, les ascensions du mont Everest étant programmées au printemps, peu de personnes demeuraient à Thame au moment du drame. Plusieurs heures durant, la caserne de l’armée népalaise positionnée à une demi-heure de marche a tenté d’établir un contact avec les sinistrés. En vain. L’envoi de secouristes à l’aide d’hélicoptères et d’un avion a aussi échoué face aux conditions météorologiques désastreuses. Les victimes, patientant à ciel ouvert avec pour seule protection leurs vêtements, n’ont été recueillies qu’en fin de journée.
Le 17 août, à la tombée de la nuit, l’armée et la police népalaise recensaient 93 habitants secourus. Ils ont trouvé refuge dans un camp militaire, précise Akashvani News, la radio publique indienne. À cette date, un homme restait par ailleurs porté disparu, d’après les informations des autorités diffusées par The Kathmandu Post. Le journal rapporte que près de la moitié des maisons ont été détruites, et que celles qui restent debout sont désormais inhabitables. Une clinique, une école et une centrale électrique ont aussi été endommagées.
- Rupture d’un lac glaciaire
Diffusées sur X par Bhadra Sharma, un journaliste du New York Times, les images de la coulée de boue sonnent comme un douloureux écho au sinistre ayant frappé le hameau alpin de La Bérarde, deux mois plus tôt. Et pour cause! Le phénomène à l’origine des deux événements est le même: une vidange brutale de lac glaciaire, portant l’acronyme Glof pour «Glacial Lake Outburst Flood».
Le principe est simple: plus les températures augmentent, plus les glaciers fondent. En aval, se forment alors des poches d’eau, de plus en plus grandes, aux allures de lacs. Retenues par de la rocaille instable, elles finissent par déborder. Des milliers de m3 d’eau se déversent alors dans la vallée, drainant toutes sortes de débris sur leur passage. D’après une étude parue dans Nature Communications, les Glof menaceraient quelque 15 millions de personnes à travers le monde. Dont la moitié en Inde, en Chine, au Pakistan et au Pérou.
Le 17 août, le ministre népalais de la Défense, Manbir Rai, s’est déplacé dans la zone sinistrée aux côtés d’agents de sécurité et d’experts. Grâce à la comparaison des images pré et post-satellite, ainsi qu’un vol de repérage en hélicoptère, ceux-ci ont constaté que deux des cinq petits lacs dominant Thame avaient été vidés de leur eau la veille. Deux autres menacent par ailleurs de connaître le même sort d’un instant à l’autre.
En 2020, plus de 2.000 poches d’eau glaciaire au Népal étaient déjà répertoriées par le Centre international pour le développement intégré des montagnes (Icimod). Plusieurs centaines continueront à apparaître à mesure que le changement climatique affectera la chaîne himalayenne… décuplant ainsi le risque d’inondations meurtrières. En octobre 2023, plus de 70 personnes avaient ainsi perdu la vie dans le nord-est de l’Inde.
«Le changement climatique est une scène de crime, se désole Miriam Jackson, l’une des scientifiques du centre cités par l’AFP. Les glaciers le rendent visible. Nous ne pouvons pas détourner le regard.» Ce phénomène traduit aussi une injustice climatique criante, les Népalais contribuant très faiblement à l’augmentation des températures mondiales mais affrontant leurs répercussions de plein fouet.
Photo: Le village de Thame, au Népal, a été englouti par des eaux glaciaires le 16 août 2024. - Capture d'écran/X/Bhadra Sharma
Par Emmanuel Clévenot
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Posté Le : 22/08/2024
Posté par : akarENVIRONNEMENT
Ecrit par : Par Emmanuel Clévenot - 21 août 2024
Source : https://reporterre.net/