Au village Emmaüs Lescar-Pau, dans les Pyrénées-Atlantiques, des cultivateurs du monde entier se sont retrouvés fin septembre avec une idée en tête: «Semer la résistance».
- Lescar-Pau (Pyrénées-Atlantiques), reportage.
Sur une table, Nader Mahmoudi expose fièrement des bouquets d’épis dorés. Barbus, blonds, roux. Chez lui, en Iran, il cultive plusieurs centaines de variétés de blé. Un paysan français s’approche et lui tend un sac de graines d’épeautre: «C’est une céréale d’ici, mais elle se plaira peut-être chez vous!» Nader ouvre de grands yeux: il n’a jamais vu cette espèce. À grand renfort de mimiques et avec l’aide d’une traductrice, les deux paysans discutent pendant plus d’une demi-heure de méthodes de culture et de conservation.
Blé contre épeautre, sorgho contre haricot, carotte contre patate. Ces échanges informels de semences et de savoir-faire fleurissent dans les allées du village Emmaüs Lescar-Pau, dans les Pyrénées-Atlantiques. Entre le 24 et le 26 septembre, plus de 250 personnes du monde entier se sont retrouvées dans ce haut-lieu de la solidarité et de la convergence des luttes.
Paysans, compagnons ou citoyens, ils ont répondu à l’appel «Sème ta résistance!»: «Les semences, base de toute production agricole, sont le socle de la lutte pour la souveraineté alimentaire», écrit dans un communiqué le Réseau semences paysannes, co-organisateur de l’événement. «Nous ne sommes pas là en tant qu’Africain, Latino ou Européen, confirme Jacques Nametougli, venu du Togo. Nous sommes ici en tant que membres de la communauté humaine, pour défendre ce qui est la base de notre alimentation.»
Neuf paysans sur dix sélectionnent, échangent et sèment chaque année une partie de leur récolte. Ils utilisent des semences diversifiées et adaptées à leur terroir. Ainsi, près de 70 % de notre nourriture dépend aujourd’hui de ces graines transmises à travers les siècles par des générations de paysans.
Les multinationales utilisent les brevets pour privatiser les semences
«Un agriculteur qui n’a pas de semences n’est pas un agriculteur, dit Omer Agoligan, cultivateur béninois. Malheureusement, ça disparaît vite, nous avons perdu la moitié de nos variétés de sorgho en moins de dix ans.» Un constat amer partagé par l’ensemble des participants: la biodiversité cultivée s’érode dramatiquement, et les paysans sont peu à peu dépossédés de leurs semences et de leurs connaissances.
Au Mali, en Syrie comme en Colombie, les conflits déplacent les populations paysannes loin de leurs terres, délitent les communautés rurales et détruisent les stocks de semences. «En Irak, après des années d’exil loin de leur village, quand les paysans ont enfin pu revenir, les semences traditionnelles s’étaient perdues et ils n’avaient plus les connaissances», rapporte Zoé Beau, de l’association Graines et Cinéma.
Petites lunettes et casquette plate, Alvaro Salgado représente la Red en defensa del maiz (le Réseau pour la défense du maïs), une organisation paysanne mexicaine. Avec d’autres, il lutte depuis plusieurs années contre la contamination des maïs traditionnels par des plants transgéniques. «Les firmes, appuyées par des scientifiques et les gouvernements, veulent contrôler le centre d’origine du maïs, en Amérique centrale, à travers la diffusion des OGM (organismes génétiquement modifiés), constate-t-il. Il s’agit d’une stratégie de contamination biologique afin de retirer aux peuples indigènes leurs terres, leurs moyens de subsistance et leurs savoir-faire.»
Outre les OGM, les firmes multinationales recourent aujourd’hui aux brevets pour privatiser les semences. «Toute la diversité du vivant peut désormais être confisquée par des brevets octroyant la propriété industrielle sur des plantes ou des animaux, constatent les participants dans leur déclaration finale. Les plantes de nos champs pourront être, sans qu’on le sache, couvertes par un brevet industriel.» Brevet qui interdit de fait l’échange et la réutilisation des semences par les paysans.
Pour autant, «les firmes multinationales dominent parce qu’elles sont soutenues par des politiques publiques», estime Antonio Onoratti, éleveur italien. Catalogue officiel, accord international ou norme sanitaire favorisent ainsi les variétés commerciales au détriment des variétés paysannes.
«La fierté et la dignité d’être paysan»
Pourtant, la résistance paysanne et citoyenne s’organise. Au village Emmaüs, les compagnons élèvent des poules dont la race est en voie d’extinction, et accueillent la Maison des semences paysannes du Béarn, une petite cabane inaugurée lors des Rencontres, pour conserver la diversité des variétés d’ici… et d’ailleurs. Boliviens, Sénégalais et Roumains sont venus déposer des paniers remplis de graines sur des étagères fraîchement montées.
Comme à Pau, nombre d’initiatives de gestion collective des semences se développent dans le monde. «Casa de sementes criollas» au Brésil, «banco de semillas communitario» en Colombie ou «grenier à semences» au Togo. Leur objectif : conserver les graines produites par les paysans, les protéger de la biopiraterie, les multiplier pour ensuite les redistribuer dans les fermes. «Les semences appartiennent à la communauté paysanne, c’est à nous d’en prendre soin et de les gérer», estime Yenly Angelica Mendez, membre d’une organisation colombienne, la Asociacion campesina del valle de Cimitarra (l’Association paysanne de la vallée de Cimitarra).
Ces structures permettent de préserver les variétés locales, qui peuvent disparaître à tout moment. Au Nord-Mali, la guerre ayant détruit la plupart des cultures, les paysans ont pu se tourner vers le Centre agro-écologique de production de semences tropicales, à Gao, qui produit des graines adaptées aux conditions sahéliennes depuis 2006.
Outre les plantes, ce sont bien souvent les savoir-faire qui disparaissent. Le centre de Gao enseigne ainsi comment produire des semences. Au nord du Togo, à Cinkassé, Jacques Nametougli accueille dans son école des jeunes ruraux dans la détresse. «Il nous faut des paysans pour avoir des semences, observe-t-il. Or ce métier est partout dénigré, méprisé. Les jeunes préfèrent partir en Europe plutôt que de travailler la terre. Dans notre centre, nous leur redonnons la fierté et la dignité d’être paysan.»
Mener la lutte contre les transgéniques
Bien que la recherche agronomique se fasse souvent dans des laboratoires éloignés des réalités du terrain, quelques chercheurs retroussent leurs manches pour accompagner les agriculteurs. C’est le cas de Salvatore Cecarelli, spécialiste de la sélection de l’orge. L’ingénieur développe depuis plusieurs années des programmes de recherche participative, où il travaille avec les paysans, directement dans les champs. Il y a neuf ans, il s’est ainsi rendu dans les régions montagneuses et arides de l’Iran, avec plus de 1.600 variétés d’orge et 400 de blé. «Il nous a dit d’augmenter la biodiversité, raconte Khadija Razavi, de l’ONG Cenesta. Grâce à lui, nous avons sélectionné des variétés qui résistent bien à la sécheresse, et nous avons considérablement amélioré nos conditions de vie.»
«Nous avons besoin d’entraide, de partages de connaissances et d’expérience», poursuit-elle. À ses côtés, Christophe Noisette, d’Inf’OGM, lui donne conseils et arguments pour mener la lutte contre les transgéniques. Car avec la levée de l’embargo, l’Iran pourrait bientôt devenir un nouvel eldorado pour les semences transgéniques. «Seuls, nous ne pouvons rien faire, mais ensemble, nous pouvons les empêcher», assure l’Iranienne.
Pour Christian Damasio, paysan boulanger en Rhône-Alpes, là est le sens de ces Rencontres internationales: «Nous avons besoin de ces moments d’échange, sinon on reste, chacun, isolé et débordé dans notre ferme.» Un agriculteur africain confirme, ému: «Jusqu’ici, je pensais être seul, mais maintenant, je sais que nous sommes nombreux.»
Photo: Le stand de l’Afrique.
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Posté Le : 09/10/2015
Posté par : akarENVIRONNEMENT
Photographié par : Photo: reporterre.net ; texte: 8 octobre 2015 / Lorène Lavocat (Reporterre)
Source : http://www.reporterre.net/