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Planète - «Les mégafeux deviennent de plus en plus intenses, fréquents et redoutables»



Planète - «Les mégafeux deviennent de plus en plus intenses, fréquents et redoutables»


Californie, Brésil, Argentine… les ravages des feux battent de nouveaux records du fait du changement climatique: températures élevées et sécheresse. En brûlant, les forêts accentuent encore le réchauffement mondial en émettant du CO2 et en réduisant leur capacité à absorber les gaz à effet de serre, comme l’explique Jean-Baptiste Filippi dans cet entretien.

Jean-Baptiste Filippi est chercheur au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et membre du laboratoire Sciences pour l’environnement de l’Université de Corse. Il est le coordinateur du programme FireCaster, qui crée des outils numériques de prévision des feux de forêt.

- Reporterre — Ces derniers mois, une myriade de feux ont été observés à travers le monde. Un arbre sur cinq est parti en fumée et trois milliards d’animaux ont été victimes des flammes en Australie. En avril, des feux ont dévasté 20 % de la forêt dans le nord de la Thaïlande. Actuellement, le delta du Paraná, en Argentine, la zone humide du Pantanal, au Brésil, la Californie, ou encore le sud de la France sont en proie aux flammes. 2020 est-elle une année exceptionnelle en matière d’incendies?

Jean-Baptiste Filippi — Au niveau mondial, il est encore difficile de le chiffrer, mais nous observons effectivement des feux d’une intensité monumentale. [Une étude du WWF et du Boston Consulting Group (BCG), parue le jeudi 27 août, après la réalisation de cet entretien, montre que le nombre d’incendies de forêt dans le monde a augmenté de 13 % au cours du premier trimestre 2020 par rapport à 2019, qui était déjà une année record.] Ce qui se passe en ce moment en Californie ou au Paraná est vraiment exceptionnel. En Californie, les deux foyers d’incendie qui sévissent en ce moment sont chacun aussi grands que le plus grand incendie que l’État ait jamais connu. Les mégafeux qui ont frappé l’Australie, ou encore l’Amazonie un peu plus tôt, ont battu tous les records en matière de superficie et d’émissions de CO2.

Ce qui est frappant, c’est que ces événements catastrophiques étaient beaucoup plus rares par le passé. Ce n’est pas un phénomène linéaire, mais leur occurrence s’accélère de façon évidente. Ce qui était exceptionnel hier ne l’est plus autant aujourd’hui. La situation dans l’ouest des États-Unis le montre bien. [Selon une étude datant de 2016, entre 1973 et 2012, l’État de Californie a connu une augmentation de 140 % des grands incendies dans la région, soit une moyenne de 20 événements supplémentaires par décennie.]

- Ces zones brûlent-elles pour les mêmes raisons?

Dans toutes ces zones, la végétation est rendue de plus en plus sèche et combustible en raison de l’augmentation des températures mondiales, et de périodes de sécheresse plus longues. Mais à ce stade, il n’y a qu’un danger latent, pas d’incendie. Il faut encore un élément pour déclencher les flammes. Il est souvent d’origine humaine, que ce soit par négligence ou intentionnel. En Californie, il y a eu des orages secs et des mises à feu par des éclairs un peu partout sur le territoire. C’est devenu ingérable. Dans le Paraná, la mise à feu est imputable au pastoralisme et à l’agriculture extensive. Des agriculteurs font brûler les terres pour étendre l’espace agricole. Or, cette pratique n’est plus adaptée aux conditions climatiques des endroits où elles sont encore employées. En Sibérie, comme dans le nord du Canada, il y a toujours eu des incendies pour permettre aux forêts de pins de se débarrasser de parasites, de se régénérer, à des graines de pouvoir germer. La mise à feu se fait en général par des éclairs secs. Mais la sécheresse est désormais telle que cet équilibre est bouleversé. Les incendies sont plus fréquents et intenses, et ne permettent plus à la nature de se régénérer.

- À l’échelle mondiale, la durée de la saison des incendies a augmenté de 18,7 % entre 1979 et 2013, selon une étude publiée dans la revue Nature en 2015. Peut-on dire que le changement climatique prépare, en quelque sorte, un terreau favorable aux incendies?

En effet. Ce n’est pas lui qui met le feu, mais le changement climatique lui procure des conditions favorables, avec des périodes de sécheresse beaucoup plus étendues qu’auparavant, et une végétation beaucoup plus vulnérable. En ce moment, le niveau du fleuve Paraná est dix fois moins élevé qu’à l’accoutumée [80 cm, contre 3 à 4 mètres normalement à cette période de l’année]! Mais le changement climatique ne prépare pas seulement un terreau favorable aux incendies, il favorise plus largement la fréquence événements extrêmes. Il est par exemple possible que le fleuve Paraná déborde l’an prochain… On est vraiment face à une perturbation globale. Pour revenir aux feux, l’ennui est aussi qu’avec la hausse des températures et les changements dans la pluviométrie, des incendies peuvent désormais démarrer dans des endroits où nous n’avions pas l’habitude d’en voir, et où l’on n’y est pas forcément préparé. En Europe, on a de plus en plus de feux d’hiver. À Fontainebleau (Seine-et-Marne), ça a beau nous paraître impensable, mais en cas d’énorme sécheresse, il est tout à fait possible qu’un incendie se déclare.

- Comment les incendies contribuent-ils de leur côté à aggraver le changement climatique?

Ils provoquent de grandes quantités d’émissions de gaz à effet de serre. Le programme de surveillance européen de la Terre, Copernicus, estime qu’ils représentaient entre 6 et 8 gigatonnes de CO2 émises en 2019. En comparaison, le Global carbon project a estimé à 43,1 gigatonnes la quantité de CO2 émise en 2019 par les activités humaines. L’autre effet est que l’efficacité des forêts en tant que puits de carbone diminue si elles n’ont plus le temps de se régénérer.

- Est-il encore possible d’inverser la tendance ou sommes-nous condamnés à voir chaque nouvelle année effacer les records de la précédente?

Au-delà du fait de limiter les émissions de gaz à effet de serre avec un usage plus raisonnable des énergies fossiles, nous devons nous adapter aux changements inévitables. Dans les endroits qui pourraient devenir propices aux incendies, il est nécessaire de former tous les services d’incendies et de secours à la gestion des feux de forêt. En France, c’est déjà chose faite, dans tous les départements. Au niveau européen, des pompiers allemands apprennent des pompiers grecs et croates. Dans certaines zones du monde, les pratiques pastorales doivent aussi arrêter ou diminuer l’emploi du feu, ou l’employer à d’autres périodes de l’année. En Corse, c’était encore une méthode utilisée il y a une vingtaine d’années, mais les agriculteurs ont cessé.

Nous, scientifiques, travaillons aussi à créer des outils pour permettre de mieux appréhender les mégafeux, imprévisibles, qui fabriquent leurs propres systèmes météorologiques en chauffant l’atmosphère. Nous essayons de comprendre leur fonctionnement, leur évolution, leurs trajectoires, afin de pouvoir réagir de façon plus précise dans l’envoi de pompier ou l’évacuation des populations.

- «Nous ne vivons pas seulement dans l’Anthropocène mais dans le Pyrocène», déclarait à Reporterre la philosophe Joëlle Zask, en janvier, alors que l’Australie était ravagée par les mégafeux. Qu’est-ce que cela vous inspire?

Cette formule est très juste, car même si les incendies ont toujours existé, on voit bien que nous entrons dans une ère où ils deviennent de plus en plus intenses, fréquents et redoutables. Les mégafeux sont des marqueurs très clairs du changement climatique, puisque après leur passage, le paysage est transformé du tout au tout. Ils provoquent la mort pour que naisse quelque chose d’autre: une terre plus aride, ou un couvert végétal plus adapté.



Photos:. chapô: incendie dans l’État brésilien du Rondônia, le 16 août 2020. © Christian Braga/Greenpeace

Propos recueillis par Alexandre-Reza Kokabi




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