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Planète - La répression violente contre le journalisme environnemental s’aggrave dans le monde



Planète - La répression violente contre le journalisme environnemental s’aggrave dans le monde




Depuis 2010, dix journalistes ont été assassinés parce qu’ils enquêtaient sur des sujets environnementaux, selon Reporters sans frontières. Les sujets écologiques traitent des enjeux qui peuvent bousculer les pouvoirs politiques et économiques, et il faut donc mieux protéger les reporters qui les couvrent.

Il y a des rapports qui nous touchent plus que d’autres. A Reporterre, on ne peut pas rester indifférent à celui publié samedi 5 décembre par Reporters Sans Frontières, intitulé Climat hostile contre les journalistes environnementaux.

On y apprend que depuis 2010, au moins dix journalistes sont morts pour avoir enquêté sur des sujets environnementaux. En Inde, cette année, ils sont deux à avoir été tués parce qu’ils enquêtaient sur l’exploitation minière illégale. Au Cambodge, c’est la déforestation et la pêche illégales qui ont coûté la vie à quatre journalistes entre 2012 et 2014. Autres pays concernés par des assassinats de reporters: l’Indonésie, les Philippines et la Russie. Dans la plupart des cas, l’enquête sur la mort de ces journalistes est classée sans suite. Autre signe que s’intéresser aux questions environnementales est dangereux, Global Witness rapportait il y a un an qu’entre 2002 et 2013, près de neuf cent militants écologistes ont été tués dans trente-cinq pays.

Et il n’y a pas que ça. Le rapport de RSF recense des agressions contre des journalistes au Pérou qui couvraient, au printemps 2015, des manifestations contre le projet de mine de cuivre à ciel ouvert Tia Maria ; en Italie, des menaces de la mafia contre un journaliste des Pouilles qui dénonce les touristes s’installant illégalement dans les zones protégées ; des menaces encore en Chine, contre un photo-reporter qui a réalisé un documentaire sur le braconnage des oiseaux migrateurs.

La menace peut aussi venir de l’État, note Reporters sans frontières. Par exemple en Ouzbékistan, où un pigiste (journaliste indépendant) trop curieux a été accusé de trafic de drogue et condamné à dix ans de prison. En Algérie, un caricaturiste qui a fait apparaître dans ses dessins l’opposition aux gaz de schiste s’est retrouvé devant le tribunal - il a été acquitté. En Russie, lors des jeux de Sotchi l’an dernier, une journaliste a été emprisonnée trois jours pour avoir voulu couvrir les dégâts environnementaux, subissant ainsi les mêmes pressions que les associations environnementales locales. Aujourd’hui dans le monde, au moins sept journalistes environnementaux sont en prison pour avoir exercé leur métier, estime l’ONG.

«Jamais un tel niveau de violence avait été atteint», estime le rapport.

Il observe que les terrains, souvent reculés, sur lesquels s’aventurent les journalistes environnementaux sont dangereux.

«Quand Naomi Klein évoque “un système économique [...] en guerre contre la vie sur Terre”, ne sous-entend elle pas que les journalistes environnementaux travaillent en zone de conflit, au même titre que les reporters de guerre?», s’interroge le document.

Quand les reporters ne sont pas directement menacés, il reste l’arme de la censure pour empêcher que certaines informations soient publiées.

En Chine encore, lors de l’explosion à l’usine de produits chimiques de Tianjin, «les journaux n’ont eu d’autres choix que de raconter la bravoure des pompiers et les sauvetages héroïques. En revanche, pas un mot sur l’origine des explosions, sur la mort de nombreux sauveteurs et sur les personnes disparues», remarque RSF. Les autorités chinoises ont également empêché les équipes de journalistes occidentaux d’approcher des lieux du drame, affirme le rapport. Il cite également l’Équateur, où les autorités tentent d’empêcher la diffusion d’information sur l’exploitation minière dans le parc naturel du Yasuni.

Les pays du Sud ne sont pas seuls concernés.

Au Canada, les sables bitumineux sont un sujet «tabou», observe RSF. Deux exemples sont cités: «Le bureau de conservation des ressources énergétiques (Energy Resources Conservation Board) a tenté par tous les moyens d’empêcher la publication du livre du reporter Andrew Nikiforuk,Tar Sands (Les sables bitumineux), en 2010.». Au pouvoir jusqu’en octobre dernier, le gouvernement Harper a également complexifié «les demandes d’accréditation pour les demandes d’interview auprès des chercheurs qui travaillent pour l’État.» Résultat: «Quatre scientifiques de renom, régulièrement sollicités par les médias, ont répondu à 12 interviews en 2008, contre 99 en 2007», regrette le document.

Le journaliste canadien Stephen Leahy, auteur de nombreuses enquêtes, confirme: «Un chercheur que j’avais interviewé sur la couche d’ozone a vu ses financements supprimés par le gouvernement. Et même de petites associations locales avaient peur de parler dans les médias, car elles craignaient un contrôle fiscal qu’elles n’auraient pas pu payer.» La situation devrait cependant s’améliorer au Canada, avec l’arrivée au pouvoir du nouveau Premier ministre, Justin Trudeau début novembre.

Enfin, RSF documente plusieurs cas de tentatives de corruption, où des journalistes se sont vus proposer de l’argent de la part d’entreprises, en échange de leur silence… Ceux qui témoignent ont bien entendu refusé.

Etre journaliste écolo, c’est parler, bien sûr, des fleurs et des petits oiseaux, mais aussi de sujets économiques et politiques.

«Ils traitent aussi de la déforestation, des exploitations de ressources naturelles ou de pollution. Des sujets dont les enjeux vont souvent au-delà de la protection de l’environnement, surtout quand il s’agit de mettre en lumière des activités illégales de groupes industriels, de la mafia locale, voire des autorités, remarque RSF. Les sujets environnementaux, habituellement relégués en queue de peloton en conférence de rédaction, défient désormais les grands thèmes d’actualité qui se disputent la Une des quotidiens ou l’ouverture des journaux télévisés. Il est également temps de prêter la même attention aux journalistes environnementaux pour mieux les protéger.»


Photo: Mikhaïl Beketov, ancien rédacteur en chef de Khimkinskaya Pravda, a succombé à ses blessures en avril 2013. Il avait été battu et laissé pour mort lors d’une manifestation contre la construction d’une autoroute dans la forêt de Khimki, près de Moscou, en novembre 2008. Durant ses cinq dernières années, il était resté handicapé. dervishv.livejournal.com

Marie Astier (Reporterre)



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