Diplômée d’Harvard, médecin de carrière et mère de deux enfants, Jill Stein se présente pour la seconde fois à la présidentielle avec le Green Party, le parti écolo états-unien. Elle explique son programme à Reporterre et son analyse décapante des Etats-Unis.
L’engagement écologiste de Jill Stein a démarré dans son cabinet médical du Massachusetts. Les nombreux cas d’asthme, de diabète, d’autisme ou encore d’obésité chez de jeunes adultes l’interpellent: «Nos gènes ne peuvent pas avoir changé du jour au lendemain! Il y a forcément un rapport avec l’environnement.» Aujourd’hui, elle aime à dire qu’elle pratique la «médecine politique»: traiter la maladie politique afin de soigner tous les maux qui en découlent. En 2012, malgré le soutien de Noam Chomsky, elle n’a obtenu que 0,36 % des voix à la présidentielle. Aujourd’hui, à 55 ans, elle n’est toujours pas découragée.
– New York (États-Unis), correspondance
- Reporterre – L’environnement est au cœur de votre engagement. Quel est votre programme en la matière?
Jill Stein – Nous vivons un moment de grande insécurité économique. Cela explique que les Américains [des États-Unis] parlent moins facilement d’environnement: ils sont inquiets pour leur quotidien et leur futur. Voilà pourquoi notre plan intègre deux crises, économique et environnementale. Nous l’avons appelé le «New Deal vert».
Nous proposons de créer 20 millions d’«emplois verts» à temps plein, avec un salaire décent. Nous nous fixons aussi un objectif de 100 % d’énergies propres en 2030. La barre est élevée mais nécessaire, car nous sommes dans une situation d’urgence qui doit être reconnue comme telle. Nous souhaitons par ailleurs transformer notre système alimentaire, en passant d’un système industriel à haute teneur en carbone à un système durable, local et sain. Enfin, il faut renforcer les transports publics, y compris sécuriser les trottoirs et les pistes cyclables pour encourager les gens à marcher et à faire du vélo.
L’objectif général est de relancer l’économie, d’inverser la tendance du changement climatique en réduisant réellement les émissions carbone et de rendre nos guerres pour le pétrole obsolètes.
- Que pensez-vous des propositions des candidats démocrates Hillary Clinton et Bernie Sanders en matière d’environnement?
Ils ne comprennent pas la profondeur de la crise et leurs solutions ne sont pas à la hauteur du défi. Bernie Sanders a un assez bon programme, mais son calendrier n’est pas assez ferme et la manière dont il compte s’y prendre est assez floue.
Quant à Hillary Clinton, elle n’a pas vraiment de programme. Elle appelle à développer les panneaux solaires, super! [Son programme prévoit 500 millions de panneaux solaires supplémentaires d’ici la fin de son premier mandat]. Elle utilise quelques formules pour faire le buzz mais qui sont en fait assez creuses. Par exemple, elle dit vouloir produire «un tiers de notre électricité à partir d’énergies renouvelables». Ce nombre semble complètement arbitraire, sorti de nulle part!
- Lorsque vous regardez les débats des républicains où s’expriment des candidats franchement climatosceptiques, que ressentez-vous?
Je me dis: voilà ce que produit le système politique aux États-Unis. Voilà le genre de fous qu’il peut engendrer. Ce sont des gens qui sont soutenus par des milliardaires ou qui possèdent eux-mêmes des milliards de dollars. Ce ne sont pas des êtres humains normaux. Ils sont financés par les pétroliers, les banques prédatrices et les marchands d’armes. C’est pourquoi ils ne régleront pas le problème environnemental. Ces gens-là ne devraient pas être en position de leadership, ils devraient être en thérapie!
Pour aller plus loin, le problème de notre système politique, c’est que les débats sont structurés par les partis pour créer un univers alternatif. Laissez-moi vous donner un exemple. Dans le passé, la League of Women Voters [un groupement d’intérêt public] avait pour habitude d’organiser des débats présidentiels. Elle a arrêté lorsque les partis démocrate et républicain ont créé la Commission pour les débats présidentiels en 1988 et ont insisté pour avoir un contrôle complet sur le public, les journalistes présents et les intervieweurs.
Les débats ne représentent donc pas un échantillon réaliste de l’opinion publique mais sont plutôt un exercice de tromperie du public. Il faut les considérer comme de la télé-réalité.
- Pensez-vous que les États-uniens soient prêts à entendre votre voix? Et pas seulement les plus urbains, éduqués, riches, etc.
Les médias «corporate» ont perdu espoir, ce qui est très dangereux pour la démocratie, mais pas moi. D’après mon expérience, même si l’économie reste leur préoccupation numéro 1, les États-uniens ont très peur de ce qui se passe au niveau du climat. C’est pourquoi l’«establishment» a très peur du Green Party et fait en sorte de nous réduire au silence.
Laissez-moi vous raconter une anecdote. Lors de ma première campagne électorale, en 2002, j’ai été recrutée pour défier Mitt Romney au poste de gouverneur du Massachusetts. J’ai pu débattre avec lui à la télévision. C’était dans un studio, sans public. Or toutes les idées que je suggérais, comme créer une économie verte, diviser le budget militaire par deux, faire de la santé un droit, ont été considérées comme sans intérêt. Personne n’y a répondu. Mais quand je suis sortie du studio, j’ai été assaillie par la presse qui m’a dit que, d’après les sondages, j’avais gagné ce débat.
En un éclair, cela a changé ma vision du monde. Je me suis rendue compte que tout cela n’est qu’un jeu : ils ont très peur que nous soyons entendus car ce que nous avons à dire résonne très fortement chez les citoyens des États-Unis.
Les mouvements de la société civile sont en pleine expansion. Les États-Unis sont un peu comme une maison rongée de l’intérieur par les termites et sur le point de s’écrouler. À ce moment là, nous, membres du Green Party, devrons être prêts à incorporer un discours politique à ce mouvement social.
- Avez-vous été contactée par les grands médias durant cette campagne?
Pour le moment, c’est plus ou moins le black out. Ils ont mis l’accent sur Bernie Sanders pour leur «quota» progressiste, mais ses jours sont comptés. Tout d’abord, il est derrière Hillary Clinton dans les sondages. Ensuite, le Parti démocrate sait très bien à quel moment tuer la campagne du candidat progressiste. Ce que Bernie Sanders tente de faire, cela a été tenté depuis des décennies.
En 1972, George McGovern, un candidat progressiste, a remporté l’investiture. Depuis, le Parti démocrate a modifié sa structure pour que cela ne se reproduise jamais: il a créé les «Super Tuesday», qui exigent énormément d’argent pour diffuser des publicités télévisées dans plusieurs États à la fois. De même pour les «super délégués» [souvent des anciens cadres du parti qui ont le choix de soutenir qui ils veulent lors des primaires], qui ne sont pas choisis par la base.
Le Parti démocrate a donc de nombreuses stratégies pour liquider les campagnes comme celle de Bernie. Et il le fera. Cela deviendra évident lors du Super Tuesday. Le candidat progressiste au sein du parti démocrate, c’est un écran de fumée. Ce parti continue à marcher vers la droite, toujours plus proche des entreprises.
La bonne nouvelle, c’est que beaucoup de partisans de Sanders ne voudront pas suivre Clinton. Ce qui pourrait profiter à notre campagne. Si, à l’heure actuelle, les médias considèrent que Sanders remplit leur «quota» d’idées progressistes, quand il ne sera plus là, nous serons certainement plus présents. En attendant, nous ne comptons pas sur les organes traditionnels, mais sur les médias de niche ou sur les réseaux sociaux comme Facebook.
- Le projet de pipeline Keystone XL a été rejeté par le président Obama. Selon vous, quelles sont les prochaines batailles pour l’environnement dans les États-Unis d’aujourd’hui?
Il y en a trop pour pouvoir toutes les énumérer. Mais pour commencer, si le président se souciait vraiment du climat, il pourrait interdire par décret toute nouvelle exploration et extraction sur les terrains publics. Le président pourrait aussi mettre fin à l’exploitation du pétrole off-shore, à l’extraction de gaz de schiste et, de manière générale, à l’extraction de combustibles fossiles, qui continue à se développer.
Le président pourrait demander à la Ferc [Federal Energy Regulatory Commission, agence gouvernementale chargée de surveiller les producteurs d’énergie] de faire son travail et de vraiment protéger la santé et la sécurité des États-uniens.
Nous proposons un moratoire immédiat sur toutes les nouvelles infrastructures et explorations liées aux énergies fossiles, y compris les nouveaux ports méthaniers et les ports d’exportation de charbon.
Ces derniers sont installés dans des endroits très peuplés. Les trains transportant le charbon sont supertoxiques: leurs wagons sont à toit ouvert car ils exploseraient si vous les couvriez, donc ils propagent de la poussière de charbon partout. Quant aux ports méthaniers, une explosion pourrait anéantir de nombreux pâtés de maison en une seconde.
- Lors du dernier débat démocrate, juste après les attentats à Paris, Sanders a déclaré que changement climatique et terrorisme étaient liés, l’un nourrissant l’autre. Êtes-vous d’accord?
Oui. Par exemple, nous savons qu’en Syrie, une sécheresse majeure a poussé beaucoup d’agriculteurs vers les villes, où ils n’ont pas trouvé d’emploi. Cela a contribué à la détresse économique qui sous-tend le terrorisme.
Mais il ne faut pas exclure le rôle de la guerre comme moteur du terrorisme. Je pense au changement de régime catastrophique en Irak coordonné par les États-Unis, un échec lamentable en termes économique et humain.
La guerre est un outil très efficace si votre objectif est de vous faire des ennemis et de créer du terrorisme ou de vendre des armes. Mais c’est un désastre absolu pour toute personne qui a un cœur qui bat sur cette planète.
- Alors, comment combattre le terrorisme ?
Ça n’est pas si difficile. Nous avons créé le groupe État islamique, nous pouvons l’arrêter. Il faut un embargo sur les armes, en commençant par les États-Unis puisque nous contrôlons la plupart des armes. Nous pouvons convaincre les Russes de marcher avec nous. Nous pouvons exiger que nos amis saoudiens cessent de financer l’organisation État islamique, nous pouvons demander à nos amis turcs de fermer leur frontière avec la Syrie. Nous pouvons demander à l’Irak et à nos alliés d’arrêter d’acheter le pétrole que vend le groupe État islamique.
Bombarder une force terroriste ne la fait pas disparaître, au contraire. Cette leçon, nous l’avons apprise depuis le Vietnam. Ce qui nous attend, c’est le retour à l’âge de pierre. Et changer l’opinion de la population sur cette question n’est pas un problème. À vrai dire, je pense que nous avons déjà gagné.
- Propos recueillis par Yona Helaoua
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Posté Le : 06/01/2016
Posté par : akarENVIRONNEMENT
Photographié par : Photo: et texte: Propos recueillis par Yona Helaoua du lundi 4 janv 2016
Source : reporterre.net