La «capitale la plus polluée au monde» fait face à un terrible épisode de pollution aux particules fines. La santé des enfants, notamment des plus pauvres, est fortement affectée alors que cet «airpocalypse» devient la norme.
New Delhi (Inde), correspondance
Aparna Agarwal revient tout juste de l’Himalaya où elle a fui avec sa fille de 6 ans et son fils de 3 ans. «Depuis l’arrivée du smog sur New Delhi, ils toussent comme jamais. Ma fille est victime de maux de tête constants. Il leur est impossible de se concentrer ou même de s’amuser. Alors, nous sommes partis dans les montagnes pour éviter d’aggraver ces problèmes respiratoires», raconte cette mère de 35 ans qui vit à Noida, une banlieue à l’est de New Delhi.
Après quelques jours au contact de l’air pur, les symptômes de ses enfants ont diminué, mais pour combien de temps? «Les habitants de New Delhi se réjouissent dès que la pollution a un peu baissé, mais les niveaux restent extrêmement élevés!», s’inquiète Aparna Agarwal. Il y a une semaine, la pollution aux particules fines 2,5 (inférieures à 2,5 microns) était 60 fois supérieure aux seuils fixés par l’Organisation mondiale de la santé à New Delhi. Elles sont aujourd’hui «seulement» 30 fois au-dessus des normes…
Maladies chroniques mortelles
L’air est vicié toute l’année à New Delhi, mais cette pollution explose en novembre. Le froid hivernal, les fêtes hindoues célébrées avec des pétards polluants, l’agriculture sur brûlis des régions alentour, les usines et chantiers de la capitale: tout concourt pour créer un cocktail mortel. Les mesures gouvernementales timides, telles que la fermeture des écoles ou les solutions fantasques comme les tours antipollution, sont impuissantes face à la catastrophe.
La revue Lancet a attribué à la mauvaise qualité de l’air la mort de 1,67 million d’Indiens en 2019. À Delhi, les experts s’inquiètent des conséquences pour les plus jeunes. «Les enfants continuellement exposés alors que leurs poumons se développent sont extrêmement vulnérables», explique le docteur Nikhil Modi, pneumologue. «En quinze ans, j’ai vu les cas d’asthme et d’allergies exploser. Cet hiver, les consultations ont été multipliées par trois.» Seule l’élite a les moyens, comme Aparna Agarwal, d’éloigner temporairement ses enfants de l’air empoisonné.
Ces maladies chroniques sont une bombe en puissance. «L’espérance en vie des enfants diminue alors qu’on les voit développer des maladies mortelles de fumeurs: cancer des poumons, attaques cardiaques, AVC», alerte ce spécialiste en pédiatrie pour qui cette année est une des pires jamais vues à New Delhi. «Cela affecte aussi les familles, avec des heures de travail perdues pour les parents, qui viennent ajouter à la précarité économique de beaucoup de familles.»
- Les plus pauvres sans solutions
Bhavreen Khandari, à la tête de Warriors Moms, une association de mères militants contre la pollution, ne décolère pas. «De qui se moque-t-on en faisant croire que fermer les écoles est une solution? Il n’y a que 3 % de la population qui dispose de grands appartements et purificateurs d’air. Les enfants vont s’entasser dans une pièce polluée où l’on se chauffe parfois au charbon!» Aparna Agarwal, elle, «empêche ses enfants de gambader dehors et leur fait suivre des cours en ligne», mais se lamente pour ceux «à qui on donne le choix entre la faim ou la toux, car le repas de midi à l’école est fondamental pour les plus pauvres».
«Les industriels devraient être jetés en prison»
Les associations de défense des enfants ont déposé de nombreuses plaintes auprès d’institutions comme la Cour suprême. Cette dernière appelle régulièrement à des mesures ponctuelles, comme, récemment, le contrôle des véhicules polluants. Des mesures rarement suivies d’effets sur le terrain. «La seule solution, c’est de combattre pour de vrai la pollution de l’air, juge Bhavreen Khandar. On perd espoir car, chaque année, on nous fait des promesses vides. Les industriels et responsables devraient être jetés en prison car ils tuent nos enfants!»
Photo: Des enfants en route vers l'école sur un rickshaw, en décembre 2023. - © Narinder NANU / AFP
Par Côme Bastin
Reporterre a été créé pour produire du journalisme d'une autre manière. Nous considérons l'écologie comme la question majeure du XXIe siècle. Nous refusons la facilité et les compromissions. Nous couvrons des sujets que d'autres ignorent.
Pas de propriétaire, pas d'actionnaires: nous sommes un média à but non lucratif, car ce que nous publions et mettons en lumière ne peut se faire dans un but de profit.
Tous nos articles sont en accès libre, car nous considérons que tout le monde doit pouvoir s'informer, quels que soient ses moyens financiers.
Il n'y a aucune publicité sur Reporterre, garantie de l'indépendance éditoriale vis-à-vis d'intérêts privés.
Nous avons besoin de votre soutien pour lutter contre les menaces qui pèsent sur la démocratie, et pour informer le plus grand nombre sur le péril écologique. Le financement des médias à but non lucratif est toujours un défi, et nous avons besoin de tout le monde sur le pont.
C’est le soutien des lectrices et lecteurs comme vous qui permet à Reporterre de traiter des sujets qui sont trop difficiles, coûteux ou gênants pour que d’autres médias s'en emparent. N’hésitez pas à faire un don aujourd’hui si vous le pouvez – même quelques euros feront une réelle différence. Un don mensuel serait incroyable. Merci.
Je soutiens Reporterre
Posté Le : 11/12/2024
Posté par : akarENVIRONNEMENT
Ecrit par : Par Côme Bastin - 28 novembre 2024
Source : https://reporterre.net/