Algérie

Planète - "Il est urgent de protéger les éléphants d'Afrique"



Planète -




Face aux multiples crises et souffrances qui chargent chaque jour un peu plus le fardeau sous lequel ploie l'humanité, j'ai presque des scrupules à évoquer la disparition annoncée des éléphants de forêt d'Afrique centrale. Dans le climat de déprime actuel, une mauvaise nouvelle de plus n'est ni recevable ni recommandable, j'en suis conscient. J'en veux pour preuve que, depuis mon retour d'Afrique, je peine à trouver la moindre compassion au sort des éléphants. Mais si l'on attend que le monde s'apaise pour se préoccuper de ces pachydermes, ils auront disparu depuis longtemps.

Près de 60 % d'entre eux ont été décimés ces dix dernières années, le plus souvent par dizaines, à l'arme de guerre. Selon les acteurs de terrain croisés sur place, il reste cinq ans pour sauver les éléphants de forêt, espèce aujourd'hui la plus menacée. Qui recueillera leurs larmes?

Lire (édition abonnés): Le braconnage des éléphants à un niveau record

Nul doute que leur disparition ouvrirait une brèche irréversible dans laquelle s'engouffreraient éléphants de savane, gorilles, chimpanzés et tout un cortège funèbre de grands animaux. Dans la foulée, c'est toute la biodiversité ordinaire, mais non moins essentielle à notre survie, qui serait absorbée dans le flot de notre indifférence. Les grands animaux, par les symboles qu'ils représentent, sont une digue émotionnelle censée protéger ces êtres vivants, qui ne trouvent pas forcément grâce à nos yeux.

TRAFIC DES ESPÈCES MENACÉES

Tout se tient dans la nature. Nous ne sommes qu'un maillon d'une chaîne, aucun chercheur ne pourra dire que l'éléphant est inutile à l'avenir de l'homme. Il y a une unité des choses et des êtres et nous sommes liés au respect intangible de cette intégrité. Maudits justement soient les yeux fermés et les oreilles bouchées!

Après la drogue et les armes, le trafic des espèces menacées est le troisième au monde, il est devenu une criminalité organisée, au point d'ajouter de l'instabilité à l'instabilité à cette région d'Afrique qui n'en avait guère besoin.

Lire (édition abonnés): L'ivoire, facteur d'instabilité en Afrique centrale

Les causes de ce désastre sont multiples. Déforestation, pauvreté, conflits hommes/éléphants, corruption, impunité, rébellions... mais surtout une demande exponentielle des consommateurs asiatiques, notamment pour l'ivoire. A 1.000 dollars le kilo (770 euros) arrivé à Pékin, on comprend que les mafias se soient emparées du phénomène.

"Le problème des éléphants sera réglé, m'a dit un conservateur de parc, le jour où ils auront disparu, ou alors quand la demande d'ivoire aura cessé."

Résumé simpliste, mais qui a le mérite de pointer du doigt là où il faut concentrer nos efforts. Je compte proposer au président de la République une initiative diplomatique pour ne pas céder au fatalisme.

Une table ronde permettant un dialogue franc et exigeant, où toutes les parties prenantes, africaines, européennes, asiatiques, et notamment la Chine, seraient réunies sur le thème "Sauvons les éléphants !".

Du prince Charles, d'Hillary Clinton, qui se sont engagés pour cette cause, aux nombreux acteurs ou sportifs qui ont aussi exprimé leur indignation, j'aimerais créer un front pour s'interposer entre les éléphants et notre indifférence. La récente annonce de Barack Obama de débloquer 10 millions de dollars pour aider les autorités africaines à lutter contre le trafic illégal est un indice favorable.

DES TÉMOINS RÉSIGNÉS

Nous sommes la partie consciente de la nature. Que cette distinction au moins nous mette à l'abri de la résignation et nous aide à nous révolter contre cette vision anthropocentrique du monde. Ne soyons pas les témoins résignés de ce moment calamiteux de l'Histoire.

Je reviens avec en tête ces images, que m'ont montrées les rangers, de carcasses d'éléphants mutilés, y compris de bébés, de têtes coupées de chimpanzés agglutinées dans des coffres de voiture et autres atrocités.

Aux écogardes du Gabon, Cameroun, Congo-Kinshasa, Congo-Brazzaville, dont plus d'un millier ont été tués au cours des dix dernières années dans l'isolement des forêts sans aucune reconnaissance, j'ai promis de témoigner de cette situation et de m'engager à leurs côtés.

J'ai promis d'alerter sur les menaces réelles de mort qui pèsent sur les sept témoins, ainsi que sur les responsables de la lutte anti-braconnage d'Odzala, qui ont contribué à l'arrestation d'un des braconniers les plus importants jamais jugés au Congo-Kinshasa. Cet appel est le premier pas de ma promesse.

Des dispositifs urgents sont parallèlement à mettre en oeuvre. Entre autres : renforcer les moyens d'Interpol, notamment en matière de contrôle du trafic des espèces menacées sur Internet, seules deux personnes y sont affectées ; coordonner la parole des différents bailleurs de fonds vers l'Afrique centrale pour influer sur une meilleure gouvernance...

Lire: "Les dispositifs de lutte contre le trafic illégal d'ivoire sont un échec"


Dans sa Lettre à l'éléphant, Romain Gary, mieux que quiconque, pressentait l'immense préjudice que provoquerait la disparition des éléphants: "Si le monde ne peut plus s'offrir le luxe de cette beauté naturelle, c'est qu'il ne tardera pas à succomber à sa propre laideur et qu'elle le détruira."

Puisse Romain Gary enfin être entendu !

* Photo: Près de 60 % des éléphants d'Afrique ont été décimés ces dix dernières années. AFP/Laudes Martial Mbon


Nicolas Hulot (Envoyé spécial du président de la République pour la protection de la planète)



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