C'est une immense montagne de pneus déversés en pleine nature, posés en chevrons ou jetés en vrac. Plus de 20.000 tonnes de caoutchouc qui jonchent le sol d'une ancienne carrière sur la commune de Lachapelle-Auzac, dans le Lot, et peut-être autant enfouis sous terre.
Cette décharge sauvage, abandonnée avec la mise en liquidation judiciaire, en 2005, de la société Le Goff Pneus, qui avait pour vocation la récupération et le recyclage des pneumatiques usagés, doit être éliminée d'ici à 2016, tout comme 61 sites similaires en France.
"Nous sommes exactement à mi-chemin de l'objectif de résorption progressive des stockages historiques de pneus usés", indique Bénédicte Barbry, présidente de Recyvalor, l'association en charge de ce chantier lancé en 2008.
Au rythme de 8.000 tonnes par an, 31.000 tonnes de pneus laissés à l'abandon (l'équivalent de 4,1 millions d'unités) ont ainsi été enlevées dans 43 stocks.
Au total, ce sont plus de 60.000 tonnes qui devront être valorisées.
REVÊTEMENT D'AIRES DE JEUX
Les débouchés?
Les pneus sont réutilisés comme combustible de substitution en cimenterie, à la place du charbon ou du gaz (67 % de la valorisation en 2012), comme granulats pour fabriquer des murs anti-bruit, des revêtements d'aires de jeux pour enfants ou des roulettes de caddies (20 %) ou, à défaut, pour combler des carrières (10 %).
"On essaie de favoriser au maximum la valorisation des granulats, mais le plus souvent, ce n'est pas possible, car les pneus sont en très mauvais état et ont perdu toute élasticité, explique Bénédicte Barbry. Malgré tout, tous sont réutilisés. C'est une initiative sans équivalent en Europe, qui perdure malgré le contexte de crise."
INCENDIES ET MALADIES
Tout est parti du cri d'alarme de l'association de protection de l'environnement Robin des bois après deux gigantesques incendies qui ont embrasé des stocks de vieux pneus: celui de Saint-Amable, dans la banlieue de Montréal (Québec), qui a vu brûler trois millions de pneumatiques pendant quatre jours en 1990 ; et celui d'Artaix, en Saône-et-Loire, durant lequel cinq millions d'unités ont pris feu pendant neuf mois en 2002.
Dans les deux cas, la nappe phréatique et les eaux environnantes ont été contaminées, l'air, pollué, et les hommes et bêtes vivant à proximité, menacés.
En 2003, l'association entreprend alors, avec l'aide de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), de recenser les décharges illégales de pneus en France.
Résultat: 114 stocks sont découverts, abritant environ 240.000 tonnes de pneumatiques, aussi bien au milieu des forêts qu'à proximité des habitations, aires industrielles ou axes routiers. Du caoutchouc qui, au-delà de représenter un risque important d'incendie, s'avère aussi un incubateur à moustiques, vecteurs de possibles maladies, comme la dengue ou la fièvre chikungunya.
ARNAQUES AU RECYCLAGE
Comment de tels stocks ont-ils pu se constituer?
"Il s'agissait le plus souvent d'arnaques au recyclage, raconte Jacky Bonnemains, le président de Robin des Bois. En faisant miroiter la création d'emplois, des entreprises se créaient, récupéraient des stocks de vieux pneus dans des garages qui voulaient s'en débarrasser, en contrepartie d'une participation et de subventions de l'Etat, et les stockaient indéfiniment au lieu de les recycler.
Une partie était même envoyée en Afrique, pour être réutilisée sur des voitures ou des bus, ce qui pouvait causer des accidents."
"Pendant des années, on a donc assisté à un manque de vigilance de l'Etat et des collectivités locales, qui ont donné des autorisations pour des stocks de 1.000 pneus qui se sont transformés en 100.000", déplore-t-il.
CRÉATION D'UNE FILIÈRE DE RECYCLAGE
Ce laxisme prend fin avec la mise en place d'une filière de collecte et d'élimination des pneumatiques, créée par un décret de 2002. La totalité des 40 millions de pneus usés (300.000 tonnes) qui arrivent en fin de vie en France chaque année se voient ainsi recyclés en granulats et dans la cimenterie, grâce à une éco-contribution (1,35 euro) payée par le producteur.
Mais reste les stocks historiques que l'on qualifie d'"orphelins", c'est-à-dire ceux pour lesquels les derniers propriétaires ne peuvent être retrouvés afin d'endosser la responsabilité de l'évacuation des déchets.
Poussés par l'association, 28 entreprises et acteurs du pneumatique (fabricants, concessionnaires, distributeurs) se regroupent alors pour créer en 2008 l'association Recyvalor et signent un accord avec le ministère de l'écologie (PDF). Ces acteurs se répartissent les chantiers, en lien avec les préfectures. L'opération, estimée à 8 à 9 millions d'euros, est financée pour un tiers par les producteurs, pour un autre tiers par les distributeurs et les concessionnaires et pour un dernier tiers par l'Etat.
A ce jour, 4,7 millions d'euros ont été déboursés.
"MUTUALISATION DES MOYENS"
"C'est une mutualisation des moyens qui a très bien fonctionné, se félicite Jacky Bonnemains. Mon seul regret est que les collectivités ne participent pas davantage à l'effort financier. Elles n'ont pour l'instant déboursé que 150.000 euros."
Un accord reproductible dans d'autres secteurs, estime le président de Robin des Bois.
"15 000 stations-service fermées, qui occasionnent des problèmes de pollution des eaux par les hydrocarbures, pourraient être assainies par l'ensemble des acteurs de la filière pétrolière", livre-t-il.
En 2016, l'association compte aussi s'attaquer aux pneus utilisés dans l'agriculture pour couvrir les silos, évalués à 800 000 tonnes, essentiellement dans l'ouest de la France.
Photo: La carte de France des stocks de pneus démantelés et ceux restant à traiter, au 11 décembre 2012. | Robin des Bois
Audrey Garric
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Posté Le : 12/12/2012
Posté par : akarENVIRONNEMENT
Photographié par : Photo: Robin des Bois ; texte: Audrey Garric du mardi 11 décembre 2012
Source : lemonde.fr/planete