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Planète (France) - Laurent Tillon: «Un petit parc peut abriter un nombre incroyable d’espèces»



Planète (France) - Laurent Tillon: «Un petit parc peut abriter un nombre incroyable d’espèces»


Il est temps de retrouver abeilles, papillons et scarabées pique-prune dans les rues, et pour cela lutter la pollution sonore et lumineuse, explique le spécialiste de la biodiversité Laurent Tillon.

Laurent Tillon: «Un petit parc peut abriter un nombre incroyable d’espèces»

Laurent Tillon, chargé de mission sur la biodiversité pour l’ONF, se passionne pour les arbres depuis l’enfance alors qu’il habitait une cité HLM et trouvait refuge dans la forêt voisine. Dans son dernier ouvrage, Et si on écoutait la nature, il propose des solutions pour rendre les villes plus vivables. La présence des arbres permet non seulement de lutter contre le réchauffement climatique mais aussi de garder un minimum de biodiversité autour de nous.

- Pourquoi comparez-vous l’arbre à une ville?

C’est toute la magie de l’arbre: il constitue à lui seul un monde, une ville de biodiversité. De nombreuses espèces y circulent et s’y nourrissent. Cet organisme très complexe a son propre urbanisme. Certaines espèces sont en surface et d’autres dans le cœur du bois ou dans ces racines. L’arbre abrite des habitats spécifiques, des voies de circulations, des corridors, des zones de stockage, et même l’équivalent de «supermarchés» quand des insectes défoliateurs, les brouteurs, les déchiqueteurs, les décapeurs, arrivent. Cette activité attire toutes sortes de prédateurs, de la chauve-souris à la mésange ou la fauvette… L’arbre est un espace de vie incroyablement varié.

- Mais un bosquet de quelques arbres en ville peut-il abriter une si grande biodiversité?

Un seul arbre peut parfois même suffire! Les chercheurs ont constaté que lorsqu’elles n’avaient pas le choix, les espèces pouvaient se concentrer sur un seul arbre ou un petit parc qui concentrent un nombre incroyable d’espèces qui se seraient diluées et diffusées de façon beaucoup plus aérée si elles avaient bénéficié de l’espace d’une forêt.

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- Quels dangers doivent affronter ces «écosystèmes» urbains?

Jusqu’à il n’y a pas très longtemps, la ville de Paris traitait ses espaces verts, ce qui limitait beaucoup la biodiversité. Dès l’arrêt des traitements, les insectes, les oiseaux, les plantes de friches sont revenus coloniser l’espace. On voit aussi apparaître des espèces tels les insectes pollinisateurs sauvages, des abeilles, des papillons, qui fuient les milieux agricoles pollués par les insecticides et autres néonicotinoïdes. Mais la ville présente d’autres pollutions, sonores ou lumineuses, auxquelles les habitants de ces espaces végétalisés tentent de s’adapter. Les oiseaux sont obligés de chanter plus fort pendant la journée, à cause du bruit. Certains se mettent même à chanter la nuit comme le merle noir, pas seulement pour se faire entendre mais parce que la pollution lumineuse perturbe leur chronobiologie. Une nouvelle branche de l’écologie urbaine étudie l’effet d’une nouvelle stratégie d’aménagement, la «trame noire», dont l’objectif est de limiter la dégradation et la fragmentation dues à l’éclairage artificiel en restaurant un réseau écologique formé de réservoirs et de corridors propices à la biodiversité nocturne.

- Et la pollution automobile?

Curieusement, la nature urbaine s’en accommode, excepté quelques espèces comme les lichens, sur les murs comme sur les arbres. Ils sont des bio-accumulateurs et stockent tous les micropolluants qui se trouvent dans leur milieu et ils finissent par disparaître.

- Pour qu’un arbre soit un vrai refuge de diversité, il faut également qu’il soit âgé?

Quand on coupe un arbre de 200 ans, on interrompt son existence dans ce qu’on appelle le premier tiers de sa vie théorique s’il s’agit d’un chêne. Or les études portant sur les «habitants» des arbres montrent que certaines espèces ne peuvent être inféodées qu’à des arbres matures. Le pique-prune, une espèce de scarabée, l’illustre bien. On en trouve dans quelques villes même s’il est devenu rare, notamment dans la moitié sud de la France, dans des cavités qui se sont creusées avec le temps dans de vieux tilleuls. Il faut au minimum soixante-dix ans pour qu’un trou, une entaille faite par un oiseau, se transforme en cavité et se constitue en «loge» dans laquelle apparaît du terreau, grâce à la dégradation du bois. Puis il faut le passage répété d’insectes, d’oiseaux, de chauve-souris… pour former une sorte de mélasse au fond de la loge. Au bout de quelques dizaines d’années encore, quand cette mélasse a atteint un certain volume, un insecte très rare vient s’y installer, le scarabée pique-prune. Le chantier d’une autoroute dans la Sarthe avait d’ailleurs été suspendu pendant six ans pour préserver cet animal.

- Les pouvoirs publics ont-ils intégré la nécessité de préserver les vieux arbres?

De plus en plus, mais il est vrai que ces arbres anciens peuvent aussi poser des problèmes de sécurité publique, notamment dans des parcs urbains ou des bois en lisière des villes. Pour protéger le public des chutes de branches, on préfère donc parfois couper un vieil arbre et en replanter un jeune. Heureusement, une nouvelle politique émerge, déjà appliquée dans le bois de Boulogne par exemple, qui consiste à exclure certaines parties de la forêt contenant des arbres matures en limitant l’accès du public. A l’échelle nationale, 7 % de l’espace forestier a désormais un accès très limité, le public est prévenu qu’il pénètre dans une zone à risque. C’est une façon de recréer des petites parcelles de forêt primaire. Il y a encore beaucoup de travail de pédagogie à mener, aussi bien auprès du public qu’auprès de certaines municipalités… La ville de Bordeaux pratique cette politique dans quelques parcs urbains, et les résultats obtenus en termes de biodiversité sont spectaculaires.

- Faut-il revégétaliser la ville ?

C’est indispensable! Pas seulement pour protéger une biodiversité mais aussi pour lutter contre le réchauffement climatique. Paris, par exemple, est une ville encore beaucoup trop minérale. Implanter de nouveaux espaces verts n’est pas le seul moyen: il faut aussi penser les immeubles autrement pour qu’ils intègrent de la verdure, grâce aux murs ou aux toits végétalisés par exemple. Il faudrait les rendre obligatoires pour toute nouvelle construction.

- Vous dites qu’une «brique creuse» suffit, qu’est-ce que cela signifie?

Toute friche, même petite, est une opportunité de retour de la nature. Le moindre espace présentant quelques rugosités, même une brique creuse avec un peu de terre, ou un vieux mur avec des fissures, peut servir de nid aux petits oiseaux comme les moineaux domestiques. Les murs lisses et les façades en verre les condamnent à chercher un habitat ailleurs. Il y aurait certainement moins de moustiques à Paris si la ville offrait davantage de loges aux oiseaux et aux pipistrelles communes. On réhabilite aujourd’hui près de 500.000 immeubles par an, par volonté vertueuse de rendre des bâtiments moins énergivores, mais l’un des effets collatéraux de cette politique est de faire disparaître des loges pour oiseaux. Il faut accompagner ces réhabilitations de créations de nouvelles niches pour les oiseaux. C’est tout un urbanisme végétal à mettre en place.


Photo: A Paris, en 2017. Photo Patrick Kovarik. AFP

Catherine Calvet


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